Keith Jarret - The Köln Concert
Il y a longtemps que je voulais essayer d'écrire quelque chose sur le "Köln". Mais : trop de choses à dire, pas asser de mots pour exprimer réellement les étranges émotions que provoque l'écoute de cet album. Impossible de parler du "Köln" en l'écoutant, et difficile d'en parler sans en avoir une seule note. Des écoutes qui ont, parfois, tournées à la folie : 20 écoutes du même passage, des mêmes notes. Il y a quelque chose de mystique et d'insondable dans cette improvisation.
Car oui, mesdames et messieurs, le "Köln" c'est quand même et avant tout plus de 60 minutes d'improvisation totale.
Rien n'est pensée, écrit ou dictée à l'avance. Keith est derrière son clavier et se laisse totalement emporter, naviguant avec folie et douceur. Les notes et les les accords s'enchaînent à une vitesse dépassant l'imagination.
Keith Jarrett est alors hors du temps et du monde. Rien qu'avec la partie I, il livre 20 minutes d'improvisations absolument somptueuses, sans temps morts, avec une grâce qui nous fait douter de la véracité de l'impro elle-même. En 20 minutes, donc, on aborde tous les styles, tous les temps, toutes les variations.
D'accord, le "Köln" n'est pas rock. Ni même blues, classique ou encore moins jazz. Il est tout à la fois. Keith puise dans tous les répertoires et s'amuse à mélanger, tout brouiller. Pour le plus grand plaisir de ses doigts et de sa "vague". Car le "Köln", c'est un peu une marrée : ca monte, ca descend, c'est traître.
Bon alors les anecdotes. Elles sont connues, mais on en parle encore et toujours. Je ne vais pas déroger à cette régle ancestrale, pour une fois. 24 janvier 1975 :
Keith n'avait pas dormit depuis deux jours et venait d'éprouver un voyage chaotique dans une R4. Quand il arrive à l'opéra de Cologne, ce n'est pas le bon piano qui est sur scène. C'est un instrument de pratique, il est agé et certaines notes sonnent mal. Keith refuse de jouer. Vera Brandes, 18 ans, essaie de le convaincre. Il cède et s'envoit un repas avant de monter sur scène. Des techniciens ont placés des micros, pour se faire un souvenir. Keith s'assied, regard son piano et hésite encore fortement. Les secondes passent et il n'a pas encore osé toucher le clavier. Le public ne sait pas trop ce qu'il se passe. Soudain, la cloche de l'opéra (annonciatrice des concerts) résonne. Keith, d'un bond, en imite les premières notes pour démarrer son impro. Et c'était parti pour une heure incroyable.
Et puis tout s'est bien évidemment emballé. ECM publie la bande enregistré par les techniciens et paf... le "Köln" devient un des albums les plus vendus de tous les temps (plus de 3.5 millions de galettes). Keith Jarrett, lui, n'y pense alors déjà plus. Quand les musicologues lui demandent la partition, il rétorque qu'il a tout improvisé et qu'il ne se rappel plus du tout ce qu'il a joué ce soir là. Quand les journalistes lui demandent comment un miracle pareil fut possible, il ne sait pas quoi répondre.
Comment un truc pareil pouvait naître du chaos ? C'est comme si Keith avait fait son propre big bang ce soir là, hurlant et reniflant derrière son piano bancal. Jarrett le Créateur, qui modèle les notes à son image ? Ou alors était-il possédé par je ne sais quel démon ? Si c'est le cas, l'exorcisme fut de taille.