Je ne les renvoie pas dos à dos. Les choix des éditeurs ne sont pas toujours cohérents, et je ne les cautionne pas systématiquement (loin s'en faut). Les difficultés des auteurs incombent d'ailleurs bien davantage aux éditeurs qu'aux lecteurs (clients ou pirates, qui peuvent être les deux à la fois d'ailleurs). L'industrie du papier n'est pas si moribonde (ça fait quinze ans qu'on nous le dit, et pourtant), surtout en ce qui concerne la bande dessinée - je dis juste qu'on n'est pas obligé de fournir le bâton pour se faire battre. La presse oui elle morfle, ça découle au moins en partie d'une évolution logique - l'actualité nécessite l'immédiateté et un quotidien est obsolète au moment même de sortir de presse. Et d'un manque de réactivité des éditeurs, oui.
La presse jeunesse, c'est encore autre chose. Le magazine pour lequel je bosse c'est encore un cas particulier puisqu'on est leader sur notre créneau et qu'on se porte à merveille. Et pourtant une bonne partie des histoires qu'on publie ont cinquante ans d'âge... Et sont dispos partout. Peut-être même qu'elles devraient tomber dans le domaine public, qui sait. Je pourrais me leurrer et me convaincre que c'est la valeur ajoutée (c'est à dire nos articles) qui font ce succès mais la vérité c'est plus probablement que la notoriété spontanée du personnage reste très forte et surtout qu'une bonne histoire reste une bonne histoire. Ce qui m'aide à faire ce taf sans tricher.
Je n'ai pas vraiment d'avis sur la bd numérique, je dis juste que concrètement pour l'instant ça rapporte rien. Peut-être que l'offre proposée n'est pas attrayante, je n'en sais rien, je n'en lis pas. Peut-être que les droits d'auteurs ne sont pas assez élevés, peut-être que le système d'avances sur droits est une saloperie (sur ce point je pense pouvoir être affirmatif, le fixe devrait être la norme). Peut-être que l'avenir est à la bd de blog, je ne sais pas, j'en lis quelques-uns et c'est un autre rythme, un autre type de narration, plus proche du strip quotidien. Ça aussi j'en lis en ligne, et ça met en relief la singularité des deux formats ; certains daily strips restent excellents une fois en recueil, d'autres font rire à raison d'un par jour mais sont indigestes une fois rassemblés.
A propos des bds de blog, on a là un exemple intéressant : des auteurs comme Bagieu, Boulet... Ont construit leur notoriété en ligne. Les bds qu'ils publiaient tiraient parti des spécificités du support et du format. Mais quand est-ce que ça a commencé à leur rapporter du pognon, avec la pub me direz-vous ? A d'autres ! Les dessinateurs ne sont pas des youtubeurs, les clics dont ils sont gratifiés doivent à peine payer les clopes. Non, ils ont commencé à toucher quelque chose quand leurs blogs ont été édités sur papier. En dur. Ironique non ? D'autres blogueurs bd (Laurel, Dav...) ont tiré parti de leur notoriété en ligne pour lancer avec succès des crowdfundings pour... Imprimer des recueils de leurs bds, indépendamment de tout éditeur. On y revient toujours hein ? Moribond le papier ? Moi j'dis qu'il se défend encore pas mal, et que les deux supports se complètent.
Je suis pas fan du numérique parce que ça implique l'acquisition d'une liseuse, ou d'une tablette - et que ça laisse la possibilité à un tiers (Apple anyone ?) d'intervenir sur le contenu en se passant de ta permission. Un bouquin c'est inerte, neutre, ça consomme pas d'énergie, et il faut davantage qu'un clic pour le détruire et te priver de son contenu. Pour l'heure la bd numérique profite aux fabricants de tablette, pas de contenu... Cherchez l'erreur.
Mes bouquins ont été lus et le seront encore - comme ceux de n'importe quelle bibliothèque, je suppose

Je n'étais pas un accumulateur, très peu de séries complètes. Et des trucs obscurs qui n'intéressent que moi, en grande partie. Je lisais (et relisais : la bd se relit bien) chacun d'entre eux. J'ai mis 20 ans à les rassembler ; peut-être qu'un jour je voudrai m'en défaire, peut-être bientôt, en attendant je m'accorde la possibilité de ne pas faire de choix

Je ne donne pas mes Placid & Muzo (par Nicolaou ? Mais non, par Arnal et Olivier !) mais dès que je ramasse des magazines à la rédac' je les redistribue à ma nièce, aux enfants de mes potes, et j'en ai toujours un sous le coude si le plombier ou l'électricien intervient. Ça leur parle sans doute plus que mes vieux Norakuro que même moi je n'peux pas lire ! (c'est en japonais. Mais très jolis !)
On PEUT lire de la bonne bd gratuitement et légalement en ligne, comme sur ce site :
http://digitalcomicmuseum.com/Des vieux comics libres de droit ; ah forcément c'est pas tout jeune ! Et il faut lire l'anglais. Mais il y a du bon, voire du très bon ; les tous premiers Pogo de Walt Kelly par exemple.
Et je ne tape pas systématiquement sur les pirates ; très actifs dans le domaine du Manga, ils permettent à certaines œuvres qui n'arriveraient jamais chez nous d'être accessibles. Ou dans le meilleur des cas, mettent la pression aux éditeurs français pour qu'ils en proposent une traduction officielle

Ils se côtoient d'ailleurs, c'est une sorte de gentleman agreement tacite.