par RRRouliane » 13 Aoû 2018, 17:36
Tiens, quelle question amusante ! J'aime tout ce qu'a fait Pink Floyd de 1967 à 1973, après "DSotM" je n'adhère plus que très partiellement à cette déprime de gens riches qui s'ennuient dans leur luxe par trop dénué d'humanité, mais dont ils savent qu'il faut désormais entretenir celui-ci, et qui pour ce faire publient des albums de rock dépressif et déprimant, dans lequel ils livrent leurs réflexions désabusées sur la condition humaine (vue du point de vue d'un jet setter qui culpabilise de crever sous le pognon alors qu'il voudrait bien pouvoir rester crédible dans sa stature d'homme de gauche), etc. Je grossis délibérément le trait, mais à peine. Toujours est-il que plus sérieusement, je reconnais à "Wish You Were Here" et "Animals" de vrais grands moments de grâce, mais trop souvent lestés de tics 70s dont j'ai longtemps feint de ne pas comprendre comment et pourquoi ils avaient contribué à enfanter le punk-rock et les réactions de ces jeunes gens en colère. "The Wall" m'a toujours pété les couilles, par sa lourdeur, ses ténèbres, ses longueurs inutiles à mon sens, alors que le Floyd aurait dû pour moi toujours avoir gardé sa vocation de "machine à faire rêver". Tout ce qu'ils ont fait ensuite est parfait pour accompagner le passage de l'aspirateur, fermez le ban.
Mais pourquoi le taire, je suis fan jusqu'au trognon. Plus encore à présent que l'âge et les milliers d'écoute m'ont permis de discerner chez ces icônes intouchables les défauts et faiblesses pourtant flagrants. Par exemple, après avoir comme tout un chacun été longtemps contempteur de "Obscured By Clouds", dont il me semblait qu'il s'agissait d'une très complaisante livraison de commande permettant de faire patienter le label, les fans et continuer de faire tourner la machine à billets en attendant le "grand-oeuvre", je me suis rendu compte que cet album rendait très exactement compte de la qualité du groupe, dans son expression le plus simple, sans concept égomaniaque, sans grand cirque, sans artifice fumeux. Juste les quatre mecs qui font une musique dont l'ambition est d'illustrer, de souligner des images, de traduire en sons le feeling d'un autre, et contre toute attente ces morceaux sont tout sauf mauvais, tiennent debout hors contexte, et restent agréables à écouter.
Ainsi en tant que fan irréductible, je me suis rué sur les différents éléments du coffret "Early Years" lorsqu'ils ont été vendus à la découpe. J'avais pourtant juré que non, non et non, la famille avait foutu suffisamment de blé dans les disques de Pink Floyd depuis 1968, trois ou quatre exemplaires de chaque album ça suffisait, tout ça pour leur permettre d'avoir une huitième salle de bains en marbre, tiens d'ailleurs ce robinet, là, il est à moi. J'ai craqué, je suis passé à la caisse, j'ai cru prendre mon pied et... je ne suis plus très sûr. Tout ça reste très frustrant : ils sont où maintenant ?
Donc j'y retourne occasionnellement, principalement à l'invitation de mes enfants qui découvrent à présent ces disques qui font partie de leur patrimoine familial et culturel, et je prends plaisir à redécouvrir ce que j'avais le plus ignoré par le passé (les choses les plus évidentes et immédiates, alors que je préférais volontiers le penchant le plus expérimental de leur oeuvre). "Seamus", "San Tropez", "Fearless", "Free Four", tiens donc, à présent ça passe sans problème, c'est même plutôt sympa. Mais rien ne supplantera pour moi "Alan's Psychedelic Breakfast", "Atom Heart Mother", "Summer '68", "Sysyphus", "The Grand Vizier's Garden Party'", "Echoes", "One Of These Days", "A Pillow Of Winds", etc. Ainsi que l'intégralité des trois premiers albums (plus les deux Barrett et "Opel"). Sans oublier la flopée de bootlegs amassés depuis que j'ai découvert le grand tuyau infini des espaces virtuels qui te permettent d'avoir accès à la Culture sans effort : les BBC Tapes de 1967 à 1971, le Paradiso 69, Stockholm 67, Boblingen 72, Munich 71, les live à Montreux 70 et 71, le Royal Albert Hall 69, Kralingen je ne sais plus quand, Plumpton, Essen 69, Rome 68, j'en oublie bien entendu. A présent je serais prêt à baiser goulûment les pieds de n'importe quel bienfaiteur se présentant un jour avec une bande de la brève période où ils jouèrent à cinq.
Pourtant lorsque l'on me demande quel est mon album préféré du Floyd, je réponds "Tous ceux de Ron Geesin sur lesquels ils ne jouent pas". "Fictitious Sports" est pas mal non plus, allez.