Lettre à Madame Mary Hopkin:
Chère Madame,
Je vous écris sur ce forum pour m’excuser. A l’époque de vos succès planétaires, je n’ai jamais vraiment osé dire que j’aimais votre voix, vos chansons et votre manière de les interpréter. Bien entendu, le fait d’écrire ici au lieu de vous envoyer une lettre personnelle peut sembler étrange et inapproprié c’est pourquoi, si vous le permettez, je vais resituer la période de mon manque de courage.
J’étais collégien puis lycéen. Je faisais partie de ceux qui tirent leur popularité de leur connaissance de la musique à la mode. Comme mon intérêt pour la musique dépassait de loin les hit-parades, je naviguais entre les différentes chapelles étanches constituées d’aficionados de genres pourtant pas si éloignés. Leur antagonisme était important et il n’était pas rare que des insultes fusent et même parfois quelques coups quand une discussion entre membres de groupes différents s’envenimait.
Il y avait un groupe qui échappait aux insultes et aux éventuelles rixes, c’était celui des amateurs de soupe. Ceux-là ne méritaient même pas qu’on les malmène, on les méprisait, c’est tout. Il était bien entendu préférable de prendre une tarte dans un débat houleux plutôt que d’être ignoré.
Quand vous avez obtenu un succès mondial et chanté en plusieurs langues « Those were the days », une artiste de variété française nommée Dalida enregistra cette chanson sous le titre: « Le temps des fleurs ». C’est ce qui vous grilla auprès de la plupart des amateurs de Pop Music, Rock Music, Folk, chanson française à texte, etc… Tous ceux qui aimaient les « musiques sérieuses » ne supportaient pas la variété. Je n’aimais pas non plus Dalida mais je pensais qu’on ne devait pas rejeter les interprètes des chansons originales sous prétexte qu’elles ont été mal reprises par d’autres.
J’ai commencé par argumenter avec mes camarades, comme je le fais ici, mais j’étais adolescent et j’ai très vite eu peur de me retrouver catalogué dans le groupe des amateurs de soupe et de perdre mon petit « prestige ». Alors je vous ai abandonnée un temps. Je m’apprêtais à revenir à la charge en parlant de vos collaborations avec Paul McCartney quand un article est paru dans Mademoiselle Age Tendre, une revue pour filles qui disait, à raison, beaucoup de bien de vous. Mais cela tuait dans l’œuf mes velléités. Cette revue était moquée par tous mes amis mélomanes, y compris les filles ! La presse féminine de l’époque était censée être futile et superficielle. Celle destinée aux plus jeunes était carrément la risée de l’intelligentsia dont il m’était si cher de faire partie. Un bon article dans ce genre de revue était rédhibitoire. Je peux avouer maintenant que je la lisais aussi avidement que Rock & Folk, le journal qui faisait autorité en matière de musiques modernes, dès que je pouvais, car elle parlait de filles et que les filles étaient mon principal sujet d’intérêt, bien avant la musique elle-même.
Comme je le disais en préambule, je ne vous envoie pas une lettre directement et, outre le fait que vous n’aurez sans doute aucun intérêt à lire le repentir d’un vieux fan caché, cela me permet de faire ce que j’aurai dû faire autrefois : avoir le courage de dire tout le bien que je pense de vous devant des gens qui aiment la musique, dont l’avis m’importe et dont je tiens à faire partie. C’est plus facile maintenant : beaucoup seront certainement de mon avis et ceux qui ne le seront pas ne m’excluront pas pour autant.
A l’époque de la sortie de vos disques sur le label Apple, nous nous réunissions aussi souvent que possible pour écouter ensemble un ou plusieurs disques puis nous en discutions, parfois avec passion. Cette époque est révolue mais Il existe sur ce forum un sujet qui recrée un peu les conditions de cette écoute collective. Il s’appelle « L’album de la semaine ». On y propose un disque qu’on aime et on le présente. Il s’ensuit une discussion qui me rappelle parfois celles que nous avions adolescents. Je vais donc demander à mon « groupe » d’écouter un de vos disques.
J’ai choisi le « Live at the Royal Festival Hall 1972 ». Il a l’avantage de regrouper plusieurs de vos succès et surtout, il permet d’entendre votre voix très bien mise en valeur par des instruments acoustiques. Il est toujours difficile de décrire une voix qu’on aime. La votre, d’une justesse parfaite, est capable d’aigus cristallins qui font frissonner. Mais surtout votre interprétation est toujours chargée d’une émotion contenue dont la pudeur est irrésistible. Mon oreille de Français est limitée et quand j’entends votre langue maternelle parlée, le Gallois, je lui trouve peu de qualités esthétiques. Quand c’est vous qui la chantez, elle me charme comme Aderyn Pur sur ce CD.
Sur ce disque, on retrouve trois personnages importants de votre carrière, deux à travers des chansons et un qui vous accompagne lors de ce concert. C’est d’abord Ralph McTell dont vous faites une version caressante propre à consoler tous les clochards des « Streets of London ». Ensuite, c’est Paul McCartney qui a produit plusieurs de vos disques, dont vous transcendez le « If I Fell ». Et c’est enfin Tony Visconti, le producteur de David Bowie, qui vous accompagne à la guitare et qui compose les arrangements. Ces trois monuments de la Pop Music, du Rock et du Folk se sont impliqués à un moment ou un autre dans votre carrière et on les comprend. Tony Visconti a carrément décroché la timbale puisqu’il est devenu votre mari et le père de vos enfants.
J’ignorais tout ça à l’époque. Si j’avais pu avancer ces noms, mes amis auraient été conquis. Mais de ce point de vue, je n’ai pas de regret, ce que j’avais à leur dire était plus naïf mais c’était l’essentiel : « Qu’est-ce que c’est beau ! Comme elle chante bien ! » C’est ce que j’aurais dû dire. Pas pour vous défendre, bien entendu, votre succès était mondial, vous n’aviez que faire de ma voix, mais pour me défendre moi. C’est un peu de moi que j’ai laissé tomber en vous abandonnant.
Alors je dis à mes amis du web : écoutez bien les chansons de Mary Hopkin, Ocean song, Sparrow, Earth Song… Remplissez-vous de la subtilité de ses reprises, Morning Has Broken, de Cat Stevens, Donna Donna de Aaron Zeitlin. Voyez comme elle fait la plus belle version de Both Sides Now de Joni Mitchell, frissonnez quand elle attaque le refrain : « I’ve looked at clouds from both sides now… ».
Pour moi, vous faites partie des chanteuses de langue anglaise au charisme et au charme irrésistible telles que Joan Baez, Judy Collins et Julie Felix. C’est vous que je préfère car « Those Were the Days » m’a accompagné durant toute un partie de mon adolescence. Vous le chantez lors de ce concert avec un accompagnement minimal agrémenté d’un violon tzigane impeccable. Votre version de « Let My Name Be Sorrow », adaptée par une française, qu’on ne trouve pas sur ce live, est une de mes chansons préférées.
Et puisque je déballe tout, une photo de vous publiée dans la presse jouant de la guitare en minijupe a carrément rendu amoureux transi l’ado que j’étais. Sur mon cahier de chansons, de dessins et de collages qui n’était accessible qu’à très peu de personnes, ma sœur et deux copines, j’ai collé plusieurs photos de vous découpées dans ces journaux pour filles.
Depuis quelques temps, j’achète un a un vos disques sur votre site web. L’ironie est généreuse, tout comme vous qui avez décidé en plein succès de vous éloigner du show business, ce sont vos disques qui me consolent de ne pas avoir osé parler.
Comme vous le dites : « Those were the days my friend, we thought they’d never end”
Je vous quitte à regret mais je vous retrouverai très bientôt dans un de vos albums et je vous prie de croire à l’expression la plus sincère de ma gratitude pour vos chansons et, vous l’aviez compris, de mon admiration.
Dark Pink
MH Live 72.zip