Album mythique s'il en est, et sans doute le plus emblématique de l'ère acid-rock version côte ouest de la fin des années 60. Une folie préside à l'atmosphère de cet album, lequel se révèle d'une approche assez abrupte. La parution d'un tel enregistrement semblerait assez difficilement envisageable aujourd'hui... Une liberté totale dans l'expression du groupe au travers ses individualités : la complémentarité entre le son plus "jazzy" de Gary Duncan et celui plus flamboyant de John Cippolina (à grands renforts de vibrato Bigsby) induit une folie inégalée, dans ce style d'improvisation débridée.
Magnifique introduction donc par le thème de Bo Diddley, "Who Do You Love (Part 1)", enchaîné par une partie instrumentale des plus inspirées ("When You Love") signée Gary Duncan au chorus.
Après l'apaisement "Where You Love" où chacun joue sur la retenue dans une climat typique de cette époque, la tempête John Cippolina se déchaîne sur "How You Love". Inoubliable... (trop court ?). Le relais est pris par David "Which Do You Love" Freiberg, avec un son de basse digne de Jack Bruce, le tout permettant au groupe de poser le rythme dans une accalmie ne faisant que précéder l'explosion finale de "Who Do You Love (Part 2)", sur lequel la complémentarité de rythme et de timbre de Duncan et Cippolina s'exprime pleinement.
Sur "Mona", Cippolina, bien soutenu par les autres, instaure un climat tout en retenue, avec une ambiance suggérée par un son de guitare empli de wah-wah, ainsi que d'un jeu de vibrato à rapprocher de celui d'un Neil Young (le Bigsby, toujours...) - avant que Duncan ne prenne le relais par-dessus cette tapisserie sonore, puis Freiberg reprend son hurlement, magiquement soutenu par des harmonies vocales empreintes de cette folie omniprésente sur "Happy Trails". "Maiden Of The Cancer Moon" redonne la main à Cippolina, une partie d'une grande spiritualité, idéalement accompagné par l'ensemble Freiberg - Elmore - Duncan, ce dernier donnant de nouveau la réplique à Cippolina, en s'en montrant un contrepoint idéal... et c'est John qui conclut par quelques notes...
Une pause qui nous permet de démarrer "Calvary", le morceau le plus déjanté de l'album (une longue suite de 13'30 avec une ambiance évoquant souvent les westerns, déjà suggérés par la couverture de l'album)... nous n'en somme pas encore là, les premières minutes de cette pièce posant le groupe d'une manière libre de toute entrave rythmique, où seul le son compte, l'instauration d'un climat... les choses ne reprennent leur cours qu'après trois minutes, Cippolina et Duncan amènent alors le thème de l'ensemble, soutenus par une guitare acoustique. En tous cas, nous y sommes, en plein dans cette cavalcade au travers l'ouest sauvage - comme sur la pochette, laquelle vend finalement bien l'album. C'est Duncan qui prend le relais au sein de choeurs plongés dans la reverb, ce qui leur confère une dimension encore plus ésotérique. Les scansions d'Elmore et la wah-wah de Cippolina confèrent à l'ambiance un catharsis émotionnel inouï.
Les choses se posent à 8'30... déjà. Un tapis de larsens arythmés se doit d'apaiser l'ambiance après une telle décharge, à la manière d'un océan qui se retire doucement après s'être déchaîné, pour finir de manière totalement dédramatisée avec un rythme de basse vaguement country qui s'en va dans le lointain...
Impression confirmée par le dernier titre, "Happy Trails", qui peut sembler hors sujet ici, ne serait-ce le rythme de cow-boy donné par Elmore. Une pièce studio après un live, la sensationde dégonfler une baudruche, le revirement d'ambiance propre à la liberté qui a présidé donc à cet album.
Une album ultime en quelque sorte, un classique inaltérable sinon un chef d'œuvre, un symbole surtout d'une époque révolue...
A posséder absolument, même si comme je l'ai déjà dit, ce disque peut se révéler d'une écoute assez ardue pour l'auditeur non habitué à ce type d'ambiance...
A posséder aussi, le premier album studio, "Quicksilver Messenger Service", indispensable si vous avez aimé "Happy Trails" quoique nécessairement différent dans sa construction, et dans une moindre mesure, l'album "Shady Grove" qui a suivi "Happy Trails", largement dominé par le grand Nicky Hopkins qui avait alors intégré le groupe (que Duncan avait quitté), surtout pour le dernier titre "Edward, (The Mad Shirt Grinder)" qui figurait dans une autre version sur un album solo de Hopkins.
_________________ Jamais ne fut de temps où toi et moi n'ayons existé. Et jamais ne viendra de futur où nous cesserons d'être...
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