Tu parles de juger, mais n'est-ce pas finalement nous qui nous jugeons à travers ces rêves ou ces pensées ? Bien sûr que si. Dans mon cas, il paraît clair que je me place en position de me juger par rapport à lui, et qu'il faudrait que je me débarrasse de ce problème. Il y a aussi une chose étrange. Dans mon cas, je ne sais pas si c'est aussi le tien. Comme un transfert, comme si nous avions ce besoin de protéger nos parents quand ce rôle aurait dû être le leur.
Pour des raisons personnelles que je veux pas évoquer ici, c'est encore plus mon cas, enfin c'est un peu différent. En gros, c'est plutôt que mon sentiment de culpabilité touche à ce que j'aurais dû le protéger, et que je suis fondé à me sentir coupable parce que j'aurais pu le faire. C'est très différent, et c'est difficile de se détacher de ce genre d'appréciation, aussi faussée soit-elle. Même si tu aurais pu, aurais-tu vraiment dû ? Nous ne sommes ni coupables ni responsables de la vie de nos parents. Mais voilà, quand ils partent, nous prenons sur nous cette responsabilité. Je ne suis ni coupable ni responsable si mon père n'a pas connu ses parents. Je pensais qu'il ne voulait pas les connaître, mais ma soeur m'a révélé qu'avant de mourir, il en a parlé. Et surtout une chose que j'ignorais totalement avant. Qu'adulte, il avait fait des recherches pour retrouver sa mère, sans succès. Quand on apprend ces choses trop tard, on n'y peut certes rien, mais il y a ce sentiment de l'avoir laissé seul face à cette détresse, que j'aurais peut-être pu faire quelque chose, rechercher moi-même sa mère même si je ne sais pas vraiment comment. Mon père était souvent silencieux, il parlait peu, de son enfance, de lui. Il ne parlait jamais de ses parents, ou plutôt de leur absence. Je sais qu'il a eu une enfance malheureuse, qu'il a dû vivre à l'orphelinat d'abord et qu'à 8 ans, il a été envoyé chez une fermière qui ne le traitait pas comme un enfant, mais comme son larbin. Mais je le sais parce qu'un jour, ma mère m'a résumé tout ça en quelques phrases seulement. Mon père, lui, ne se racontait jamais. Parfois, dans des moments de rage contre mon père, ma mère laissait échapper quelques phrases terrifiantes. Je ne sais pas qui était cette fermière, ce qu'il est advenu d'elle, mais dans les phrases de ma mère, je pouvais comprendre qu'il y a eu un drame auquel mon père était mêlé. Quand, comment, je l'ignore. La vie de mon père est un mystère pour moi, mon père est un mystère, et de ma mère, je ne sais pas grand chose de plus. Il y a peut-être aussi cette culpabilité-là. Ne pas être allée plus loin pour les connaître vraiment, tous ces mystères qui, maintenant, ne seront jamais résolus. Et la pensée de cette grande détresse psychologique qu'il a dû vivre toute sa vie, jusqu'à sa mort.
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