En 1965, les « puristes » du folk sont quelque peu désabusés, Bob Dylan vient de se convertir à l’électricité et fait exploser les frontières musicales du genre en exposant un univers lyrique totalement révolutionnaire. S’il semble surgir alors ex nihilo, le guitariste écossais Bert Jansch n’est cependant pas un inconnu car il a déjà écumé tous les clubs folks, de plus, il est apprécié des deux côtés de l’Atlantique, notamment pour ses passages à Greenwich Village.
Enregistré par Bill Leader, « Bert Jansch » est le premier album du guitariste. Avec sa guitare pour seule instrumentation, cet album pouvait être perçu comme réactionnaire dans le contexte post-dylanien évoqué plus haut. Il n’en sera rien, bien au contraire : si cela est difficilement perceptible aujourd’hui, il fera l’effet d’une bombe lors de sa sortie, tant au niveau critique que par l’accueil de ses pairs. Si Davy Graham et son merveilleux « Folk, Blues And Beyond » lui sont chronologiquement antérieurs, c’est bien ce premier album de Bert Jansch qui est, à la fois, fondateur et pierre angulaire du renouveau folk, tout en entraînant dans son sillage un courant inédit de british folk, avec les groupes Pentangle, dont il sera l’un des créateurs, ainsi que Fairport Convention. On pourrait citer également Joni Mitchell, Tim Buckley, Nick Drake et bien sur, CSNY, parmi les artistes les plus éminents qui allaient apparaître alors.
Si Bert Jansch n’a pas les qualités vocales de ces derniers, ni ne dégage la puissance émotionnelle d’un Bob Dylan, il apparaît comme un guitariste exceptionnel, fusionnant de manière inédite folk, blues, ses premières influences, avec un jeu d’une dynamique inégalable, comme d’une inventivité totalement débridée. Beaucoup de guitaristes, et non des moindres, sont traumatisés à l’écoute de cet album : il devient l’influence majeure de personnages tels Neil Young, Jimmy Page ou Nick Drake, pour ne citer qu’eux.
Musicalement, au-delà du guitariste, Bert Jansch se révèle être un grand créateur, ce que ne manquera pas de percevoir John Renbourn qui croisera sa route pour le meilleur. L’album est partagé entre instrumentaux et chansons aux couleurs les plus diverses, sans jamais perdre en cohérence. L’enregistrement est parfait, la dynamique de la guitare est très présente, tandis que le mixage guitare-voix s’avère idéal.
Les thèmes des chansons sont variés : le premier titre Strolling Down The Highway (avec sa partie de guitare immédiatement reconnaissable) est sa profession de foi, l’attraction de la route à parcourir avec une guitare, un principe de vie cher aux lecteurs de Kerouac et à la culture beat du moment, un thème que l’on retrouve dans Running From Home ou Rambling’s Gonna Be The Death Of Me. L’amour est également présent (Oh How Your Love Is Strong, Do You Hear Me Now et le contemplatif Dreams Of Love) ainsi que la peur du lendemain en cette période de guerre froide (I Have No Time). Le thème de la drogue est aussi présent (il venait de perdre un ami, victime d’une overdose) : il est avec Needle Of Death un des premiers à en parler. Plus encore, seul Neil Young écrira un hymne aussi définitif que ce poignant Needle Of Death avec son The Needle And The Damage Done, sept ans plus tard.
Alternant avec ces chansons Bert Jansch nous gratifie d’instrumentaux où son inventivité ne se dément jamais, comme en atteste Smokey River et sa rythmique arpégée tout en dynamique. Le très subtil Alice’s Wonderland ou encore l’ébouriffant Veronica (dont l’intitulé est inversé avec Casbah sur le disque) montrent déjà les qualités d’écriture du musicien. Le clou de l’album reste bien entendu Angie qui clôture la face 2. Si Davy Graham en est l’auteur, la version de Bert Jansch est tellement définitive que c’est elle qui est devenue un classique maintes fois repris, alors que c’était déjà un standard, une référence folk incontournable.
Par la suite, Bert Jansch allait constamment se réinventer afin d’élargir son horizon musical, allant du jazz à la musique médiévale et ne cédant jamais aux modes. Il croisera le statut de superstar à l’occasion, un peu à son corps défendant (les années Pentangle), mais restera toujours ce nomade que l’on peut croiser au détour d’un café, un monsieur tout le monde pourtant pas tout à fait comme tout le monde…
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