Ce dimanche aurait pu être l’un des jours les plus exceptionnels de toute mon insignifiante petite existence. Celui d’une totale remise en question de mes théories à deux balles, de mon jugement à l’emporte-pièce et de mes certitudes immatures. Oui, aujourd’hui aurait pu faire de moi un être nouveau ouvert à une introspection salutaire qui aurait envoyé voler en éclats mes convictions les plus indéboulonnables, et peut-être serais-je même allée jusqu’à penser qu’il n’est finalement pas impossible que Dieu existe, même si je suis absolument convaincue du contraire depuis déjà bien avant ma naissance.
Car aujourd’hui, j’ai fait une chose qui m’a demandé une force et un courage que je ne me soupçonnais pas d’avoir. Je suis capable de presque tout, rien ne me fait peur. Dévaliser une banque, escalader jusqu’en haut à mains nues la statue de la Liberté pour nourrir des pigeons. Presque tout sauf une chose… Aller voir un film de David Cronenberg. Cronenberg et moi, c’est une longue histoire de désamour frisant la haine qui remonte à très loin. Aux années 80. Je l’ai découvert par son adaptation de La mouche, histoire fascinante qui a bercé mon enfance de petite fille en perpétuelle quête de sensations euphorisantes. Cette mouche, j’avais d’abord fait sa connaissance en piquant dans une librairie un recueil de nouvelles compilées par Alfred Hitchcock dans lequel se trouvait celle de George Langelaan. Puis, toujours haute comme trois pommes, en voyant à la télévision une rediffusion de l’adaptation que Kurt Neumann en fit en 1958. Quand, dans les années 80 donc, j’ai eu vent du remake de Cronenberg, je me suis précipitée au cinéma, et en suis ressortie furieuse devant le massacre lamentablement gore hollywoodien que le cinéaste canadien avait eu l’irrespect de produire en dénaturant au passage l’histoire. Ce jour-là, j’ai acquis un début de conviction que Cronenberg est un malade mental à l’esprit si bestialement tourmenté que si Freud l’avait eu comme patient, la complexité de son cas désespéré l’aurait tellement dérouté qu’il en aurait abandonné la psychanalyse pour préférer aller enseigner les mathématiques à des gamins de maternelle. Ce qui aurait dramatiquement changé le sort de l’humanité. Et la tentative de visionnement de Crash et d’ExistenZ bien des années plus tard (films que je ne suis pas parvenue à regarder jusqu’au bout) a achevé de me convaincre que Cronenberg est vraiment un psychopathe irrécupérable.
Mais aujourd’hui, donc… Je lis par hasard un article concernant un film actuellement à l’affiche dans lequel il est question de la relation conflictuelle qu’entretenaient, justement, Freud et Jung. Oh, me dis-je, chouette ! Jusqu’à ce que je lise que ledit film est réalisé par ma bête noire, le psychopathe… Toutefois, en poursuivant ma lecture malgré tout, je tombe sur cette petite phrase magique qui fout à terre mon aversion chronique pour les délires cinématographiques du dingue : « Cette œuvre est à mettre totalement à part dans la filmographie de Cronenberg ». Ah !, que je me pense alors, serait-il possible qu’en ce dimanche 15 janvier, je puisse réviser mes préjugés tenaces et pardonner à David ses errances névrotiques du passé ? Est-il concevable qu’il puisse y avoir UN film de lui qui me ferait accepter d’admettre que, malgré ma certitude absolue de ne jamais me planter dans mon jugement, je me doive de faire preuve d’un soupçon d’humilité et d’admettre que ça fait des décennies que je suis à côté de la plaque ?
Je suis donc allée trouver la réponse à cette insidieuse question en allant voir le film au cinéma. Je m’attendais à ce que, fidèle à sa nature perverse, Cronenberg nous y montre un Carl Jung décapitant Freud et manger ses intestins à la petite cuillère, mais non. Hélas d’ailleurs… C’eut finalement été plus divertissant que cette histoire d’amour soporifique qu’il filme avec autant d’inspiration qu’un canard qui tente de nous convaincre qu’il jubile en faisant des ronds dans l’eau. D’abord, Cronenberg mériterait un Oscar dans la catégorie du pire choix d’actrice pour tenir le rôle de Sabina Spielrein, une patiente hystérique de Jung qui deviendra elle-même psychiatre et avec qui il aura une relation tumultueuse. Keira Knightley est si peu crédible et tellement agaçante dans les scènes où son personnage disjoncte qu’on a une furieuse envie de lui plonger la tête dans une baignoire et de ne pas la relâcher avant le soubresaut final. La chimie entre les deux amoureux est totalement absente, à tel point que lorsqu’il se passe des choses aussi peu orthodoxes que catholiques entre eux, on n’en a strictement rien à foutre et on en vient à se dire que Mickey et Minnie, dans les vieux dessins animés de Walt Disney, possédaient bien davantage la magie de faire naître en nous des sensations érotiques. Quant à la relation entre Freud et Jung, elle nous semble ici bien anecdotique…
Bref, le nouveau film de Cronenberg est effectivement à mettre à part dans sa filmographie. Dans la case chiantissime. Et donc, le miracle n’aura pas eu lieu. David et moi, c’est fini pour de bon. Je sais maintenant que mon jugement est infaillible, en aucun cas à remettre en question. Et je peux aussi affirmer haut et fort qu’il est inutile de continuer à tenter de percer ce mystère qui perdure depuis des millénaires. Dieu n’existe vraiment pas.
Fichiers joints: |

Une-Méthode-dangereuse.jpg [ 36.97 Kio | Vu 1177 fois ]
|
|