
Pochette original du 1er album (RTV, 1972)
Au 1er plan:
Jeff Cotton: vocal, guitar, bass and clarinete
Merrel Fankhauser: vocal, guitar
Au second plan:
Randy Wimer: drums
Larry Willey: vocal, bass

Pochette originale de sa réédition (United Artists, 1974)
MU est le mythique continent perdu. Derrière ce nom minimaliste et saisissant se profile Merrell Fankhauser, ex-musicien de surf, ex-Exiles avec Jeff Cotton, puis leader de Fapardokly (un album éponyme en 1966), ainsi que de H.M.S. Bounty, qu’il forme avec le guitariste Bill Dodd. Un album paraît sous ce nom, “Things” (1968) — un des sommets du psychédélisme! —, puis Merrell retrouve Jeff Cotton — qui entre-temps a joué avec Captain Beefheart —, et forme l’étrange, le palpitant MU que voici.
Sa première œuvre est céruléenne, emplie de pétulances nacrées, gorgée d’arcadiennes amabilités. C’est du bonheur en buée, un épitomé de sérénité, du plaisir en ondes pour l’Eternité. Ah, le son! mes amis, le son! Rien est meilleur que cette pâte chaude, bénigne, dorée... c’est du rêve en beignet: l’
oubli(e) d’une vie robotisée emmurée d’insolent barouf, une part de ce doux passé qui trucide la mort avant de finir au musée.
«Look at the sun and look at the moon / Brother, we are one / Nobody wants to shine»... “Nobody wants to shine”, cinquième titre, transsude de ce bel esprit œcuménique et transcendant qui s’immisce dans les consciences en quête de valeurs nouvelles, et, musicalement, a les allures d’un hit — d’ailleurs, il sera choisi pour premier single, en 71. Fluide, séduisant, sillonné de glissantes guitares, ourlé de basses chamarrées-chamoisées — basse dodue et toms des
drums —, agrémenté de saxophone — un solo
plan-plan et jazzy, comme mitonné au bain-marie, plus un passage gentiment
free —, il ne vaut pourtant pas certains autres, moult friands, moult affriolants... exemples:
1. “Ain’t no blues”. — Du blues, corpulent mais subtil, entêtant mais volubile, orné de miroitantes harmonies. La batterie y débite son rythme métronomique, l’effritant de césures et de légers entrechats, les guitares s’entremêlent, joutent et pétillent comme jouent de petits chats.
2. “Ballad of brother Lew”. — Ballade chaloupée, louvoyeuse, emmantilleuse et débonnaire. La
slide se contorsionne et vibrionne, liquoreuse et dorée, lézarde, colimaçonne, s’élance en slaloms élaborés. Elle cliquète aussi, s’égrène en naines hosties, pulpeuses, minutieuses:
percus succédanées répondant aux fantaisies fantassines d’une batterie dépliant de savantes aunées.
3. “Blue form”. — Une vaillante aubade, luxuriante et sade... Basse superbement sphérique qui grince, zonzonne et crique, chahutant l’ordre de ses cordes... Batterie polygonale qui picore le rythme, l’époularde et l’arrime, froissant ses toms et ses cymbales... Guitare qui répand ses étamines radieuses et câlines, lustrant, épanouie, l’opime mélodie... Et ce solo de saxophone! qui s’avance avec la majesté d’un voilier, la joie d’un écolier; saxo sirupeux, sinueux et jazz, poussé par des roulements isophases.
Il n’y a pas à fouiller, et je pourrais aligner les neuf titres de cet épatant
platter, tous aussi “exemplaires” ; notamment “Eternal thirst”, long mais inlassant, épique, fabuleux! Je crois que l’on peut qualifier de salsa cette incandescente cavalcade. Sa couleur éminemment latine, joliment hédoniste, s’amplifie, s’exalte dans un gourmand remous percussionniste: congas, maracas, cow-bell, tom basse, souffle de chimère, “oms” lamellaires... tout un assortiment psychédélique, bouillonnant, excentrique:
rambla imaginaire où l’esprit décélère, court sur son erre.
«Mu est un chef-d’œuvre, une pure merveille, d’une beauté incomparable. Il occupe une place à part dans le Rock US. La rythmique soutient les solistes avec finesse et subtilité tout au long des compositions intemporelles qui s’enchaînent à merveille. On ne peut rêver plus belle voix, plus chaleureuse que celle de Merrell Fankhauser, tandis que Jeff Cotton égrène aussi bien en rythmique qu’en slide ou en solo les notes les plus incroyables, formidables de puissance et de légèreté à la fois. Ces deux derniers sont aussi responsables, ensemble ou séparément, de la musique et des textes, de la longue mélopée incantatoire de “Eternal thirst” aux sublimes ballades telles que “Ain’t no blues”, “Ballad of brother Lew”, “Blue form”... Toutes mériteraient d’être citées.» C’est au “Rock psychédélique américain” de Philippe Thieyre que je dois la découverte de ce MU; découverte toute théorique, puisque ce n’est qu’en 1997 que j’ai pu le découvrir réellement, sensoriellement, grâce à la réédition Sundazed; superbe réédition, 2 CDs, offrant l’intégralité des enregistrements du groupe, à savoir: les trois singles (71, 72, 73), le second album, “The Last Album”, enregistré en février 1974 et inédit jusqu’en 1982, plus une séquelle, “Children Of The Rainbow” parue en 1985, et,
ultra petita, un interview où les musiciens témoignent de l’apparition d’un O.V.N.I.!

(Apaloosa, 1982 )
Pour faire un peu d’historique, sachez, frétillants lecteurs, que Jeff Parker s’en vient remplacer Larry Willey à la basse pour le deuxième opus, rejoint par une certaine Mary Lee, violoniste, qui s’y fait entendre sur trois morceaux. Icelui opus, comme tout le reste, est aussi enchanteur que le premier. S’il ne possède pas sa pulpeuse densité — ce son halitueux et musqué qui le caractérise —, il a pour lui une placidité franchement bucolique,
come back to mother Nature, qui en fait tout l’attrait. Oyez, oyez seulement, joyeux chochons, les accords aquatiques de “The land of Mu” — premier titre —, le scintillant “Blue jay blue” ou le souriant “I saw your photograph” afin d’en mesurer le degré. Oyez aussi et jouissez de titres plus citadins, tels ”Haleakala”, instrumental serpentant orné de saxophone, “Waiting for the sun”, mon préféré, chaloupé comme le bassin d’une almée, dobro et
slide emmêlés, tout lanté d’échos fougueux et de chœurs mamelonnés; titre hyper-dansant à placer absolument sur un CD de fête! Ajoutons qu’en 1974, nos musiciens se sont installés sur l’île de Maui, en plein Pacifique — émergence présumée du Mu légendaire —, et que cela transparaît dans leurs compositions, tout comme transparaît la Californie dans celles de leur premier album, enregistré à Los Angeles.
Voilà, c’est fini! Pour plus de détails, reportez-vous au site officiel de Merrell Fankhauser, notamment à un interview très complet en deux parties:
http://merrellfankhauser.com/ Voyez aussi ce petit condensé:
http://terribabuleska.free.fr/index.php ... s-les-ilesYours, faithfully
Carcamousse, laudator temporis acti