C’est une chronique laconique de Ferdinand* et la vue de cette estomirante pochette qui m’ont incité à commander cet album.
Je m’attendais à découvrir une œuvre riche et foisonnante, celle d’un guitariste chevronné propageant sa virtuosité, car — pour ceux qui l’ignorent (et je l’ignorais) — Robbie Basho est, au même titre que John Fahey et Leo Kottke (qu’il connaissait), un génie de la guitare. Mais c’est-là bien plus qu’une suite d’exercices de style, d’harmonies tarabiscotées, c’est un vin d’amour enivrant les étoiles, la main de l’instant caressant la peau du cerveau. Non! (je vous entends ricaner) ce n’est pas de la musique méditative, mais il faut que cesse de tourner le ventilo de sa pensée pour en profiter.
Robbie Basho (de son vrai nom Daniel R. Robinson jr.) a étudié beaucoup de genres musicaux, le blues, le folk, la musique médiévale et baroque mais aussi la musique orientale traditionnelle, notamment celle de l’Inde et du Japon: c’est la découverte, en 1962, des râgas de Ravi Shankar qui va déterminer son style, et c’est parce qu’il admire les haïkus de Matsuo Basho, grand poète japonais, qu’il va transformer son nom. Son inclination pour l’Orient dépasse le cadre musical, il s’intéresse également à la mythologie et à la culture de nombreux pays. Il se passionne aussi pour l’astrologie, et le titre de cet album n’est pas de pure fantaisie; l’auteur explique en «préambule» que remarquant, un jour, que chaque événement lui étant favorable avait des qualités propres au signe du Cancer, il s’aperçut que c’était-là son ascendant: son signe, Vénus, “était” en Cancer. Il découvrit aussi une superbe chanson un jour d’été «qui avait toutes les apparences du Cancer», et ce alors qu’il était «en compagnie d’une adorable “Venus”, aussi “en Cancer”! Ainsi, dit-il, eut lieu «la naissance d’un Royaume Musical appelé VENUS IN CANCER».
Adepte des jeux de cordes métalliques, c’est leur résonance escarpée qu’il exploite ici, enchevêtrant deux guitares en de longues pièces chatoyantes, y mêlant le timbre vibrant de sa voix et — pour l’une des chansons — les intonations romantiques d’un violon et d’un cor anglais. Ce n’est donc pas une musique “méditative” — terme par ailleurs ridicule, qui voudrait dire que la musique se livre à des réflexions —, mais plutôt une musique “réfléchissante” (comme une surface peut être réfléchissante), ce qu’on y “voit”, ce qu’elle donne à voir, est une suite de paysages, ou plutôt des suites de paysages, car à l’intérieur des six pièces qui la constituent se succèdent une multitude de “lieux” — vallées, océans, prairies — vers lesquels on est porté, imperceptiblement, oublieux du chemin qui nous y a conduit ; c’est une musique qui pousse et qui voyage, une musique libre et nomade guidée par des vents d’arpèges, tutélaires et accueillants.
“Venus in Cancer” débute ainsi, par des fontaines de notes ascendantes, descendantes, une sarabande bucolique et ensoleillée où viennent danser, miroiter, pirouetter d’autres notes créant ces paysages enchanteurs et imprévus.
“Eagle sails the blue Diamond Waters” est plus diffus, plus léger, plus éparpillé, il est surtout traversé par la voix de Robbie Basho, une voix de chanteur d’opéra, bondissant comme lui d’octave en octave et rappelant l’aigle dont il est question. C’est une mélopée joyeuse mais incompréhensible — les notes de pochette indiquent seulement qu’il s’agit du chant «d’un Vieux Sage vivant dans les Montagnes, d’un chant qui monte dans le Verger du Ciel au Crépuscule, dans la nuit étoilée des Immortels».
“Kowaka d’amour” se présente sous l’aspect d’une sonate — alors que le terme “kowaka” s’applique en réalité à une ballade propre au Japon médiéval (une ballade dans laquelle étaient récités les exploits des samouraïs). Elle est accompagnée d’un quatrain, écrit et non chanté: «Rain pattering on the outside, God pattering on the inside, Even in Zen, There is no substitue for a caress». L’atmosphère est fluide et mélancolique, certains accords rappellent celui du koto, s’étirant en des inflexions graves et solennelles, puis cascadant à une vitesse fantastique.
“Song for the Queen” est calme, serein, radieux. La mélodie berce les paroles, merveilleuses, mystérieuses: «Take care — Take care my love, The way to the castle is dark and long, and don’t stop at the stranger’s door, Don’t hark to witch’s lure, Till forest night is put to flight, By morning Song». Et la Reine va chevauchant, des larmes dans les yeux, portant un calice, et le Roi reçoit ses couleurs — le bleu et le blanc — des mains d’un Maître, et le cor anglais uni au violon exaltent un sentiment de gloire et de munificence.
“Cathedrals et fleur de lis” offre un mode d’expression français qui suggèrent des images pastorales et médiévales: des herbes hautes, des vols d’oiseaux, cette «cathédrale» dressée au sommet d’une colline... des notes, cristallines, surgissent en pointillés, certaines, plus saillantes, semblent émises par un clavecin... un mouvement évoque les «fleurs de lis», «leur senteur avant la pluie», puis nous sommes transportés dans la cathédrale... les reflets des vitraux glissent sur les dalles, accrochent leurs ocelles aux colonnes des travées, et un râga s’épanouit sous ses voûtes: envols légers, agiles, déliés, flocons d’Harmonie et de Sérénité.
“Wine song (sweet wine of Love)” reprend la ligne mélodique du premier morceau. C’est la seconde chanson, une chanson de taverne comme celle qu’elle évoque, où se boit «le doux vin de l’amour offert par une femme aux mains de velours, dans un calice d’émeraude bordée d’un cercle de neige semblable à l’argent». Le vin est Amour, l’amour est le Vin, «Come share this cup of wine with me, And leave your cares behind, Go hand your heart upon a tree, and watch the moonbeans, shining in your eyes».
* La chronique de Ferdinand, alias Raoulle, alias Phillipe L:
http://novland.blogspot.com/2007/07/rob ... -1969.html