Mercredi 16 septembre.Colissimo — la préposée sur mon palier: «Voilà votre colis, Monsieur!» — «Merci ! Bonne journée!»...

Stephen Stills! Ah !Je vais bientôt vous parler de Stephen Stills!

The Association: “Birthday”! — et l’autre jour icelui...

... est arrivé. — Je vais sans doute vous parler, encore, de The Association!

Et ça! — monument, pierre de touche du folk anglais. Ah cette pochette! ce noir austère et superbe!
La journée aussi est austère, grise: ciel de zinc, nuages d’aluminium, la deuxième. Il fait froid entre mes quatre murs. Je me couvre de pelures comme un oignon, m’encercle la gargamelle d’un vieux batik, me verse un petit verre de rhum, et introduit ce dernier CD dans mon lecteur, mon avide, mon goulousant lecteur!...
1/ “Leavin’ blues”, de ce vieux Leadbelly... transfiguré! Ah! les modulations asiatiques des cordes étirées, puis le clopinement de la contrebasse, et la diane crescendo de la caisse claire... “I’m leavin’, leavin’, mama, but I don’t know where to go”... Et ça vient jazzer, frétiller! — Ça y est! j’ai changé d’époque, j’ai changé de décor... C’est pas le rhum, c’est l’harmonie! Je rêve, je suis ailleurs, ailleurs que derrière mes volets clos, n’ayant pour toute lumière que le blanc-lithopone de l’écran de mon ordinateur.
2/ ”Cocaine”. Quelle version!J’écoutais, hier au soir, celle de Dave Van Ronk (même époque!), flâneuse, opiniâtrement désenchantée, tout à fait contraire à celle-ci, pimpante, insolente — qui appelle des
snap snap décontractés —, où la guitare et la basse allient leurs subtiles sonorités, claires et parfaitement détachées.
3/ “Sally free and easy” — «Sally, free and easy, That should be her name...» —. Marianne Faithfull l’a chanté, Pentangle aussi, et... oui! Dorris Henderson dans son album en duo avec John Renbourn. Rien ici des accents vibrants, tragiques et gémissants de cette noire tigresse, ni des volées d’arpèges citigrades du compagnon de Bert Jansch: la ballade reste calme, Davy se contente de frotter ses cordes sans faire d’esbroufe et les cascades de derboukas qui l’accompagnent demeurent sages et feutrées.
4/ “Back is the colour of my true love’s hair”, «Her face’s so soft and wonderous fair, The purest eyes and the neatest hands, I love the ground whereon she stands». Ambiance calme et sereine pour cette vieille chanson écossaise portée par des accords déliés et picotant. C’est bon, mais je m’assoupis là !
5/ ”Rock me baby”, du sieur Big Bill Bronzy! Ah! Guitare, contrebasse, batterie! — Pas de grand jeu farouche, tribouillant, sauvage, frénétique — «Rock me baby, rock me slow » —, mais de l’élasticité du confort, du bien rebondi!
6/ “Seven gypsies”. Chanson de l’auteur!.. très proche de la comptine: une ondée de pickings tourneboulants et des paroles charmantes — «Seven gypsies stood in a row and they sang so sweetly through the air, They sang so sweet, so very sweet, they stole the heart of the lady fair».
Je m’endors un peu quand même. L’analgésie oui, la léthargie non!
7/ “Ballad of Sad Young Man”. Bon! là c’est carrément la berceuse: très jazz, très club, avec les balais musardant sur la peau de la caisse claire.
Il est temps de faire une pause, un peu de rangement; d’inciser la cellophane des deux autres CDs, mater leur intérieur!... Le
digipack trois volets de Stephen Stills est superbe: trois belles photos noir & blanc, plus une couleur. Et une petite note du musicien se terminant par ces mots: «... these songs now feel like great friends when they were really young».
8/ “Moanin’”. Du rythme! du nerf! du remou! La guitare tricote, fait pulluler ses notes, la basse pogote, la batterie dépote, kaléidoscope, composte la mesure, sans chichis sans bouffissures! Ça ressemble furieusement à “Work song”, la version-dynamite de Paul Butterfield Blues Band, ou bien au “Sing-Sing” du turbulant Nougaro!
9/ “Skillet (Good ‘n’ greasy)”. Autre composition de Graham. Un peu moins fougueuse, mais tout aussi sautillante et plaisante, oscillant entre rock ‘n‘ roll et mambo.
10/ “Ain’t nobody’s business what I do”. Graham again! Du bon vieux blues, celui des années 20, celui des
tent shows et des bastringues, ici très policé, très long fume-cigarette, chinchilla et Hispano-Suiza.
11/ “Maajun”. LE TITRE de l’album. Splendidement transméditérannéen, soit marocain en diable, attirant comme les hanches d’une Ouled Nail, sucré comme une brouiatte, enivrant comme deux trois sepsis de kif, après un bon thé à la menthe! LE TITRE sur lequel s’extasie tous les critiques, et qui a aiguillonné mon désir. LE TITRE dont ce
wizard de la guitare peut, avec “Anji” s’enorgueillir. Ah! ces pépiements chaloupés, filant comme des gazelles! ces vrilles lancinantes et hypnotiques! Et les pirouettes batterie-derboukas — la cavalcade de ces dernières, grisantes et aguicheuses! LE TITRE à inscrire au chapitre sur les origines de la musique psychédélique, parce qu’oriental sans être folklorique, échappant aux genres bien définis, s’engouffrant, tel le lapin de Lewis Caroll, dans le terrier où seuls les rêveurs convolent.
12/ “I cant keep from cryin’ sometimes”. Et une autre composition de Graham, une! Excellente qui plus est! Guitare + contrebasse, pickings trotteurs, véloces + poum-poums corroborants... Résultat: une guillerette chanson qui sonne comme du folk grand teint, amical et chaleureux.
13/ “Don’t think twice, it’s alright”.Une reprise galopante, sémillante, élégante, diligemment conduite par le trio basse-guitare-batterie, et joliment agrémentée d’un petit solo vivace et pertinent — un régal!
14/ “My babe”. Autre reprise: un blues de Willie Dixon, aussi nerveux, swing et sautillant que “Moanin’”, avec Davy qui dégaine ses jocondeux pickings, la batteur qui étrille sa caisse claire avec ardeur, le contrebassiste qui pétrit débonnairement son jeu de cordes tendu et consentant.
15/ “Goin’ down slow”. Encore un blues: un standard signé James Burke Oden, et qui remonte aux années trente. Du rhythm ‘n’ blues en fait, mid-tempo, avec plein de fougueuses giclées de guitares, têtues et pointilleuses.
16/ “Better git it in your soul”. Dernier titre! Du jazz et pas n’importe lequel: celui de Charlie Mingus. Le riff rappelle curieusement “Waltz” de Pentangle (1er album). C’est prodigieux, hâtif et virevoltant. Le passage le plus stupéfiant est celui où le batteur extirpe des roulements secs, tendus, impétueux qui se mêlent aux pickings comme catapultés du guitariste.

Ce CD décidément magnifique, offre encore cinq
ultra petita; soit les trois titres du premier EP de Davy Graham (1962), dont le fameux “Anji”, ainsi que deux de celui (quatre titres et
live — “From London to Hootenanny”, 1963) qu’il partage avec les guitaristes Marlon Grey et Martin Carthy, ainsi que le bassiste Pete Maynard; il s’agit des deux titres où il joue: “She moved thro’ the fair”— splendide et exceptionnelle version (instrumentale) de ce traditionnel irlandais — et “Mustapha”, encore un traditionnel — non! pas la chanson de Freddy Mercury! — algérien, je crois: le genre de truc qui passait dans les scopitones au début des années 1960, et qui résonne dans ma mémoire comme le “Fais-moi du couscous, chérie” de Bob Azzam, si bien qu’il est difficile d’en apprécier toutes les audaces musicales et les subtilités.
That’s all folks!