«I remember David, Mary and Baby Jane
And Junkie John
Junkie John was a kind of person
When he walks into a room
You’ve got feeling that somebody just left»
— “Junkie John” (Tim Dawe)
Il est des œuvres-remèdes, ou paravents, dont j'use quand la méphitique odeur du siècle refoule un peu trop, “Fred Neil” du même, “Blue Afternoon” de Tim Buckley, “Forever Changes” de Love, “Mu” de Mu, “Quicksilver Messenger Service” de Quicksilver Messenger Service... je serais tenté d'ajouter ce “Penrod”, tant il est chaleureux et brillant. Les claviers rehaussent l'excellence des compositions: l'orgue magnifie la dansante vitalité de “Nite Train Home”, le clavecin la gaîté azurée de “Some other time”, le piano le câlin et séraphique “Nothing at all”. D'autres titres sont allégement et bonheur: le mouvant, bigarré, soul, puis jazzy, “Junkie John”, ourlé du you-you de cuivres, de zigzagantes biffures de guitare électrique; le cavalcadant, pétaradant “Sometimes alone”, serti d'une myriade de percussions; le caressant “Not exit (café and gallery)”, dont la mélancolie se raréfie dans le jeu baroque des violons.
Tim Dawe, de son vrai nom Jerry Penrod, vient de San Diego (Californie). Il fait partie, comme bassiste, de la première formation d'Iron Butterfly et joue sur “Heavy”, le premier album du groupe, sorti en janvier 1968. Il rejoint ensuite Rhinoceros (agrégation de talents réunie par Paul Rothchild), en compagnie de Danny Weiss, également membre d'Iron Butterfly — il figure au line-up des deux premiers opus, issus en 1968 et 1969.
Son album paraît en 1969 sur Straight, le label de Frank Zappa: pièce rare, ô combien convoitée, que voila enfin exhumée pour le plus grande joie du roquentin nostalgique, comme celui du miston passionné.
“Penrod” est aussi le nom du personnage de comic strip (1914), qui figure sur la pochette («the first bite convinced him that he had made a mistake» indique la légende). L’intérieur révèle le portrait figurant en tête de cette revue, ainsi que le nom des musiciens: Tim Dawe (guitar, vocals), Arnie Goodman (keyboards), Chris Kebeck (guitar), Claude Mathis (drums), Don Parrish (bass); aucun, si ce n'est Tim Dawe, ne semble avoir participé à d'autres albums. L'auteur signe la totalité des compositions, Jerry Yester (un temps membre de Lovin' Spoonful) assure les arrangements et la production; Zappa est le producteur exécutif.
Je ne sais rien des retombées commerciales (sans doute modestes), je sais seulement que “Junkie John” se voit récompensé d'un succès national, jusqu'à ce qu'il soit banni des ondes pour ses références à la drogue. («Turkish hash, Always payed in cash, Darling David’s sometimes smashed, Never coming down, No, no, no, never»)
Ensuite Tim Dawe joue un temps au sein d'un groupe nommé Flintwistle (dans lequel on retrouve Darryl DeLoach et Erik Braunn, exs-Iron Butterly), puis écrit des chansons pour Rod Taylor et It's A Beautiful Day; il forme même avec deux membres de ce dernier (Mitchell Holman, basse, et Hal Wagenet, guitare) un combo-satellite baptisé Natural Act*. En 1976, il revient avec un album de style west-coast: “Timothy and Ms. Pickens with Natural Act”. Timothy c'est lui, Ms. Pickens c'est Patricia Pickens: la chanteuse avec qui il partage la vedette. La galette est produite par Mitchell Holman (qui participe également à l'œuvre, tout comme Hal Wagenet); on peut y entendre une nouvelle version de Junkie John.
Tim Dawe, Mitchell Holman, Hal Wagenet, Ralph Benkus
*comme on le voit ses cheveux ont poussé!
Timothy and Ms. Pickens with Natural Act (recto)
Timothy and Ms. Pickens with Natural Act (verso)
En 1978, il produit “A Night On The Wine Cellar”, un album live, à la fois folk et blues, auquel participe Billy Roberts et d'autres artistes de la scène californienne, et où il interprète trois nouvelles chansons.
En guise de conclusion, voici une anecdote que l'artiste relate via Internet: «About a year ago a Japanese disc jockey walked into a club I was playing with a copy of “Penrod” under his arm. He had apparently been looking for it for some time and he asked me to autograph it for him. [...] He said he paid 50 bucks for the album so I guess it's a collector's item. Subsequently, he sent me a tape of a show he did on his radio station in Kobe, Japan called “An evening with Tim Dawe”. What a grin! Talk later.» (Il y a un an, un D.J. japonais vint me trouver, dans le club où je jouais, avec un exemplaire de “Penrod” sous le bras. Il avait, apparemment, mis pas mal de temps à l’obtenir et me demanda de lui dédicacer. Il me dit qu’il l’avait acheté cinquante dollars, aussi je pense que ça doit être une pièce de collection. Il m’adressa par la suite un enregistrement d’une émission intitulée “Une soirée avec Tim Dawe”. Quel plaisir! J’en parlerai plus tard.) (Tim Dawe, December 2001)
Tim Dawe, assis à droite, avec les membres de Rhinoceros