http://www.amazon.fr/John-Fogerty/dp/B0 ... 97&sr=1-36
1975 : trois ans déjà que les Creedence Clearwater Revival sont séparés. Tom Fogerty a quitté le navire en premier. Il poursuit une carrière solo en demi-teinte, ponctuée par une production discographique régulière mais quasi ignorée des charts. Stuart Cook, le bassiste, offre ses services ici ou là, tandis que Doug « Cosmo » Clifford, le batteur, après un album solo passé totalement inaperçu et des coups de main périodiques à qui sollicitait ses fûts, intégrera la formation tex mex de Doug Sham.
John Fogerty, quant à lui, s’est consacré à son album de reprises country/rock se réfugiant pour l’occasion derrière le pseudonyme collectif de « the Blueridgerangers » dont il est le seul membre. Comme cela au moins, il ne s’engueule avec personne me direz-vous.
Néanmoins, il avait trouvé le temps de pondre un 45 tours couplant « comin’down the road » et « ricochet », histoire de rassurer les fans quant à sa faconde créative. Bien lui en a pris, car la séparation du groupe mythique avait réjoui ses détracteurs, fort nombreux au demeurant. Quatre ans que les Creedence trustaient les classements. Quatre ans que leurs albums, frappés du célèbre sticker jaune « pop group n° 1 in the world », proposaient des hits singles à la pelle, poussant parfois même le vice à mettre en concurrence les faces A et B (comme « Fortunate son » et « Down on the corner » ou « Bad moon rising » et « Lodi », ou encore « Hey tonight » et « Have you ever seen the rain ? »). Face aux musiques « compliquées » où la bouteille de thermos et le casse-croûte étaient de rigueur pour ne pas mourir d’ennui et/ou d’inanition, Creedence proposait un style direct, jouissif, directement nourri de blues, de country et de rock and roll. Un groupe de « tchac a poum » comme les qualifiaient ceux qui ne supportaient pas leur insolent succès.
Alors pensez, Creedence splité, John Fogerty qui se réfugie dans la country et pis encore dans des reprises de morceaux ringards, c’était la fête ! vidé le John Fogerty, plus de jus, plus rien !
Et pourtant, il est bon ce Blueridgerangers : de la country certes (mais j’adore ça), mais aussi du country rock avec la meilleure version de « hearts of stone » qu’il m’ait été donné d’entendre. De toute façon, John Fogerty est, dans le domaine musical, à l’image du prof de maths que j’avais à 18 ans : capable de faire aimer la country à quelqu’un qui y est totalement, viscéralement et éthiquement hostile !!!!!!!!!!
C’était aller un peu vite en besogne, car voici que paraît son premier album solo. Pas de titre, mais sa signature orne la pochette. Celle-ci le représente assis sur un tronc d’arbre coupé, en chemise à carreaux un stetson posé par terre. Un chien est à ses pieds. Le parfait gentleman farmer qui a toujours préféré la nature, la pêche et les bayous aux paillettes. Sur ses rails à lui ce n’est pas la coke qui roule, mais la Western Union et la seule fumée qui l’enivre est celle des feux de camps. Encore de la country ont dû se dire certains. Et ben non, désolé !
Les hostilités débutent avec «
Rockin’ all over the world » qui sera notamment repris (brillamment) par Status Quo. Du Creedence pur jus, pur sucre. Un rock mid-tempo aux guitares flamboyantes et à la rythmique imparable qui met tout le monde d’accord.
Clin d’œil à ses détracteurs qui le croyaient fini ou aux Beatles via « La Marseillaise », le deuxième titre, «
You rascal you » débute au saxo par le refrain du célèbre et traditionnel « ce n’est qu’un au-revoir mes frères » et se poursuit sur un rythme boogie au ralenti dans le plus pur style New Orleans. Piano bastringue en retrait, saxos en fête, nous sommes en Louisiane chers auditeurs !
"
The wall" est un blues rock dans la lignée de « run through the jungle » (de l’album Cosmo’s Factory) et « Graveyard train » (de l’album Bayou Country). Dans son imparable solo, la guitare simule le bruit du moteur d’un vieux truck carburant au diesel, tandis que l’harmonica plaintif épouse la voix déchirante de John qui retrouve sa verve d’antan.
«
Travelin high » démarre sur un riff de saxo auquel lui répond une guitare acérée. C’est un solide rythm’n’blues puisé dans la potion magique des Otis Redding, Wilson Pickett, Sam and Dave et autres Arthur Conley.
«
Lonely teardrops » lui succède sur les chapeaux de roues. La rythmique boogie/rock décontractée imbibée de piano et d’orgue, se voit ici renforcée par des soli de guitare et de saxo qui nous ramènent une nouvelle fois du côté de la New Orleans. John Fogerty se déchaîne au milieu d’un bûcher incandescent où jaillissent des flammes de guitares, d’orgue et de cuivres (saxo)
Vite, la face 2 de la galette !
«
Almost Saturday night » débute par une intro directement inspirée de « Hey tonight » (de album Pendulum). Le morceau se poursuit selon le même schéma tant au niveau de la rythmique que des soli qui l’accompagnent.
«
Where the river flow » est une ballade à la « Lodi ». C’est mon morceau préféré. John Fogerty a toujours été inspiré par la flotte, qu’elle se présente sous forme de mare, de marais, de mer ou de pluie. L’eau c’est son élixir à lui ! Et quand il ne peut vraiment pas interpréter une ode à la flotte, il se fait le chantre de la marine (« Sailor lament » de l’album Pendulum)
Ben tiens, quand on parle d’eau, Fogerty n’est jamais loin. Le troisième titre «
Sea Cruise » pointe le bout de sa cloche en intro. Une reprise géniale, dans laquelle la voix « noire » de l’ex leader de Creedence fait merveille, efficacement épaulée il est vrai par un saxo et une rythmique impeccable.
«
Dream song » est une ballade/complainte qui rappelle concurremment « Lodi » et « Have you ever seen the rain ? ». Qu’est ce que j’aime les ballades ciselées par John Fogerty !!! Quelques discrets cuivres louisianais viennent spontanément prêter main forte ici ou là, mais la guitare reste maîtresse du jeu.
«
Flyin’ away » vient conclure de la plus belle façon cet album remarquable. Ballade rock conduite sur un tempo moyen, ce morceau fait la part belle à la guitare rythmique qui joue habilement à cache-cache avec la gratte solo dont les accents rappellent les meilleurs moments du 33 tours « Willy and the poor boys ».
Interviewé à propos de cet album il y a maintenant quelques années, John Fogerty avait déconcerté son intervieweur, en balayant d’un revers de la main, tous les propos dithyrambiques que celui-ci avait tenus. L’ex leader de Creedence jugeait ce disque médiocre, arguant du fait qu’il se trouvait alors en plein procès avec le responsable de Fantasy (sa maison de disques). Contraint malgré tout d’honorer son contrat qui stipulait la ponte d’un album frais tous les ans, John devait donc faire gaffe à la date de péremption, ce qui, selon lui, nuisait à sa créativité. Fort heureusement, John Fogerty a toujours été élevé en plein air et n’est donc pas un poulet de batterie, pas plus qu’il n’est le perdreau de l’année. Le résultat, c’est que même forcé de pondre, ses œufs sont d’une qualité extraordinaire.
J'vous emballe ces 10 oeufs ou c'est pour manger tout de suite ?
