«Something keeps telling me to turn around
And I’m keep telling it “No, no, no”
(Pulling and pushing keeps)
(I’m on my way, I won’t let go)
Something’s trying to hold me down
And I don’t believe it, no, no, no
(I won’t let go, no)»
— “Stop pulling and pushing me” (Richie Havens)
Miscellanée d’influences folk, rock, pop, gospel et country, cet album est une œuvre essentielle — la plus aboutie, selon la critique, de Richard Pierce Havens, né le 21 janvier 1941 dans le ghetto de Bedford-Stuyvesant à Brooklyn. Un album que l’on peut aussi loger à l’enseigne du psychédélisme pour les sonorités bohèmes et orientales de quelques chansons, leurs mélodies erratiques, l’opulence de leur instrumentation: piano, orgue, slide guitar, flûte, sitar, congas, tablas, etc. (et pas moins de quatorze musiciens cités dans les “credits”).
Les compositions de l’auteur sont captivantes notamment “What more can I say John”: une poignante et délicate anti-war song, très douce avec deux guitares, une caisse claire imitant celle d’une parade militaire, une basse ronde et précise et quelques calmes et délectables répons. J’aime aussi:
“For Heaven’s sake”, où domine la guitare, le piano et l’orgue, une longue, aventureuse et mélancolique complainte évoquant la fuite du temps et qui, vers la fin, s’amplifie, se ouate et ricoche de droite à gauche.
“Just above my hobby horse’s head”, la chanson la plus popla plus nimbée d’optimiste: un titre catchy, pimenté de sitar, de crécelle et d’orgue fluet.
“Putting Out The Vibration (and Hoping It Comes Home)”, une ode au pacifisme, abondamment orientale avec tablas et sitar proéminents, le tout très proche du “Within without you” des Beatles.
“Stop pulling and pushing me”, expérimental, électrique, psychédélique, buriné de fuzz et de caisse claire avec une superposition de voix et de chœurs. Le son est saturé et la voix de Richie émise comme par un gramophone.
“Indian rope man” — co écrit avec Mark Roth, le producteur, et Joe Price —, second titre électrique avec un riff heavy et bourdonnant et un mélange bizarre, orgue, flûte, piano, qui draine cette ardente composition comme une marée capricieuse. A noter qu’il sera repris (et quelle reprise!) sur le fameux “Streetnoise” de Julie Driscoll, Brian Auger & The Trinity.
“The parable of Ramón”. Premier des enregistrements publics de l’album (quatrième face); on y entend babiller un enfant. «Ramón, he drives a four wheeled cart, His plow cracks the hardened sod». La triste et lamentable histoire d’un paysan et de sa femme, Serene. Du folk pur et profond: Richie y égrène des accords sombres avec un feeling bouleversant.
Les reprises sont, pour la plupart, émoustillantes et magiques, en particulier le poignant et poétique “Priest” de Leonard Cohen: une chanson éthérée et sinueuse aux sonorités flamenco. Curieusement, le créateur de “Suzanne” ne l’a pas interprétée sur ses albums, mais Judy Collins la chante sur “Wildflowers” (1967).
Je chéris aussi:
“Cautiously” (aka “Lotus Weinstock”) de
Maury Hayden (?). «Cautiously you handed her a rose, Yes you did, yes you did, Pretending to know all a lover knows, Yes you did, yes you did». Une batterie un peu boléro, prégnante, sculptant le rythme, plus un harmonium et un slide guitar servent doctement cette romance.
“Wear your love like heaven”, une aubade, enchanteresse et paisible de Donovan: un titre acoustique provenant de la face “public”.
Toujours sur la face “public”: “Run saker life”. Ecrit en 1835 par Elder Isaachar Bates, “Come Life, Shaker Life”, de son vrai nom, est un chant emprunté au patrimoine des Shakers, une communauté chrétienne anglaise émigrée aux Etats-Unis en 1774*. Il figure sur “Something Else Again”, l’album précédent (1968). On reconnaît l’inspiration de “Freedom” avec ce “strumming” très personnel, les vocaux exaltés et les congas trépidantes.
* Pour en savoir plus:
http://www.nea.gov/honors/heritage/fell ... id=1983_01
Du folk encore! “I pity the poor immigrant” de Bob Dylan. Piano, batterie, slide guitar et une empreinte soul forgée par la voix rauque de Richie: le frisson!
Reste les Beatles! Dans l’ordre: “Strawberry Fields forever”, une version “droite”, très rythmée, sans fioritures psychés, néanmoins envoûtante; “Lady Madonna”, chaloupée, rehaussée de congas, de vibraphone et — jolie trouvaille! — de clap-hands consolidant sa magnétique vivacité; “She’s leaving home”, qu’à vrai dire, j’aime moins que les deux autres, n’y retrouvant pas la grâce aérienne de l’original, avec piano, slide guitar, ainsi qu’une batterie sourde, feutrée, basée sur des roulements de toms basse. Richie, avec bonheur, s’attache à la mélodie et à l’émouvante simplicité des paroles. Il reprend aussi “With a little help from my friends” (face 4, “public”), mais se contente de la fredonner accompagné par le public (bof!). — Pour être exhaustif, il convient d’ajouter (face 4, “public”, toujours) “Do you feel good”, rappel qui semble une improvisation et que Richie conclut en enchaînant avec le “Run saker life” déjà cité (rebof!).
Merci à Jamesblues de m’avoir fait découvrir cet album; à ceux qui auront partagé cette découverte, je peux communiquer les textes, transcrits ou glanés via Internet.
So long,