
«And where I’m bound
Oh Lord, I can’t be sure now
From the Arizona dustbowl
Out Van Diemen’s land
To the North-West Passage snowbound
Where Lord Franklin made his stand
While high above I’m singing
With my guitar in my hand
I’m thinking about one tiny grain of sand»
— “Travelling man” (Bert Jansch)
“L. A. Turnaround” est le neuvième album de Bert Jansch. Il paraît en septembre 1974, exactement deux ans après “Solomon’s Seal”, le dernier L.P. de Pentangle. Il est enregistré dans la région de Los Angeles, à Sepulveda (aujourd’hui North Hills), mais aussi (deux instrumentaux ajoutés) à Paris, et encore en Angleterre, dans le Sussex, à Crowbridge, au manoir dit Luxford House, la propriété de Tony Stratton-Smith, le directeur de Charisma Records*.
Après le fol engouement pour le psychédélisme, la
country a retrouvé du crédit aux Etats-Unis. En 1972, Nitty Gritty Dirt Band s’auréole de gloire avec “Will The Circle Be Unbroken”, double album où place est faite à des pionniers tels Roy Acuff et Maybelle Carter. Cette année marque aussi le foudroyant début des Eagles! Stratton-Smith va dans le sens du vent, et pousse notre chanteur 100% écossais à donner à ses compositions la teinte
country, savamment américaine, qui imprègne cet album. Pour ce, il embauche l’ex-Monkees Mike Nesmith comme producteur, et une brochette de musiciens déjà célèbres: O. J. “Red” Rhodes au
pedal steel guitar, Jesse Ed David au
slide guitar, Byron Berline au violon. — Voyez Wikipedia* pour les
curriculum vitæ; on trouve les noms des deux premiers derrière les Monkees, celui du troisième derrière Taj Mahal, celui du quatrième derrière les Dillards et les Flying Burrito Brothers. Pour être exhaustif, il faut citer encore Klaus Voorman à la basse — et oui!* —, Danny Lane à la batterie, Jay Lacy à la guitare et Michael Cohen au piano électrique. Tous ne jouent pas ensemble: en Angleterre sont seuls présents Bert Jansch, Red Rhodes, ainsi que Mike Nesmith, qui les accompagne à la guitare.
C’est là, en Angleterre, à Crowbridge, qu’une équipe de techniciens débarque un matin d’un studio mobile, déroule des câbles et installe des micros dans un salon du manoir. Vient ensuite une équipe de cinéma. Elle va réaliser un reportage dont subsiste un montage de treize minutes. Ajouté aux pistes du CD, il montre Bert Jansch interpréter trois chansons et témoigne de l’atmosphère tranquille et vacancière de ce séjour. — Les musiciens sont venus avec leurs compagnes et leurs enfants. Il y a parfois un peu de vent, mais il fait beau, et de grandes pauses ont lieu dans le vaste parc qui entoure la maison. Le soir, les hommes jouent au billard — un curieux billard, petit, étroit, avec six trous et des quilles qu’il ne faut pas renverser —, puis tous passent à table et y restent bavarder après le repas. On voit surtout Bert Jansch et Red Rhodes en train de jouer; l’un est installé sur une chaise près d’une cheminée, l’autre à côté d’une fenêtre, ouverte à demi. On voit aussi Mike Nesmith: dans un plan où il joue avec eux, dans un autre où il les écoutent, dodelinant de la tête, les yeux clos.
Mais revenons à cet album: au mariage country-folk si particulier qu’il représente. La première fois que je l’ai écouté, j’ai eu l’impression que ça ne collait pas — je voyais Bert Jansch coiffé d’un Stetson! Mais non! L’alliance est réussie, les
pickings de la guitare se mêlent aux
glissandi du
pedal steel avec grâce et légèreté, apportant un sentiment de douceur et de liberté — idéal dans “Fresh as a sweet Sunday morning”, le premier morceau, et encore “Needle of death”: cette triste complainte qui marque le premier album de Bert Jansch, ici comme illuminée. A côté de ces
highlights se distinguent “Travelling Man”— plus
middle of the road, imprégné de ce
wanderlust que le titre laisse deviner —, ainsi que “Of love and lullabye”, tressé d’arpèges
bluesy, cinglé par une basse alerte et dodue.
Plus franchement américains, brillent des titres tel “Open up the watergate” — dont les paroles ne reflètent pas moins de trente-deux chansons connues —, bien rythmé, sans
pedal steel, mais corsé par le
slide, la basse, la batterie; tel aussi “Check old hen”, joyeusement
hillbilly, où excelle Byron Berline — au violon comme à la mandoline.
Puis il y a les titres irréductiblement anglais: les deux instrumentaux évoqués plus haut, “Chambertin” et “Lady Nothing”, ainsi que la chanson “One for Jo”. Les premiers proviennent d’une session produite par Danny Thompson où furent enregistrés six autres titres: du pur Bert Jansch pour l’un — vif et poétique —, une reprise de John Renbourn pour l’autre — tendre et délicieusement médiévale. Quant à “One for Jo” — d’une douceur un peu précieuse —, il devait être accompagné de
pedal steel guitar, mais sera finalement laissé au naturel — la prise avec cet instrument étant moins émouvante en comparaison.
Enfin, il convient de citer à part la dernière chanson, “The blacksmith” dont la teinte plus “progressive” rappelle le long “Reflection” de Pentangle (sur l’album du même nom): une basse pertinente, une batterie opiniâtre — étayée de claires cymbales — et les mêmes dérives capricieuses et
jazzy, ici marqués par le jeu de piano de Mike Cohen, d’abord papillonnant et fluide, puis turbulent et disloqué.
La réédition CD — toute récente — offre trois versions alternatives — dont celle de “One for Jo”, déjà évoquée —, plus une reprise de “In the bleak midwinter”: une chanson de Noël dont les paroles sont l’adaptation d’un poème de Christina Rossetti. Produite par Ralph McTell, avec, à la basse, l’ex-Lindisfarne Rod Clements, icelle fut l’objet d’un
single paru à la fin de l’année 1974. Un treillis de guitares acoustiques, sades et douillettes... une basse moelleuse et discrète... des chœurs — féminins-masculins (le groupe Prelude) — paisibles et chaleureux: c’est une merveille, un pur enchantement!
Voici Noël, kiddies. Alors, offrez-vous cet album!... ou offrez-le, ou faites-le vous offrir!
*Charisma Records:
http://en.wikipedia.org/wiki/Charisma_Records* Mike Nesmith:
http://en.wikipedia.org/wiki/Michael_NesmithO. J. “Red” Rhodes:
http://en.wikipedia.org/wiki/Red_RhodesJesse Ed David:
http://en.wikipedia.org/wiki/Jesse_Ed_DavisByrone Berline:
http://en.wikipedia.org/wiki/Byron_Berline* Klaus Voorman:
http://fr.wikipedia.org/wiki/Klaus_Voormann