
«Everybody wants to know
Do I remember what I think?
About revolution, mind pollution
The kind of books I drink
After one last careful look around
I believe that I might like to settle down, alright
In a relaxing town»
— “Relaxing town”
—
Il y a bien du texte, bien des propos tout au long des douze chansons qui constituent cet opus: ici ils reflètent une certaine lassitude, celle du saltimbanque qui, à travers les vitres d’un train ou les hublots d’un aéroplane, ne voit des contrées qu’il traverse qu’un vague paysage; ailleurs ils traduisent divers sentiments: la plupart concernant ses relations amoureuses, d’autres abordant des sujets sociaux et politiques. — Remarquez le numéro de la place, sur la photo de la pochette: j’ai idée que ce n’est pas une coïncidence!Certes ce “2” ne possède ni le lyrisme des luxuriantes orchestrations, ni et la belle emphase que délivrait la grande équipe des chœurs sur le premier...
http://images.uulyrics.com/cover/s/step ... stills.jpgPar contre, il y a des cuivres* — trompette, saxophone, trombone — et des congas: ce qui veut dire des embardées soul — on s'en doutait! —, pas mal de fantaisies afro-cubaines et — on s’en doutait moins! — quelques incursions
jazz des plus pertinentes. Hormis les chœurs et les
horns, here is the casting:
Paul Harris - keyboards
Conrad Isadore - drums
Dr. John - keyboards
Gaspar Lawrawal - percussion
Nils Lofgren - guitar, keyboards
Billy Preston - keyboards
Fuzzy Samuels - bass, vocals
Dallas Taylor – drums
Fine équipe n’est-il pas!? On remarquera le dernier nom, Dallas Taylor: ce même Dallas Taylor figurant sur les LPs “Crosby, Stills & Nash” et “Déjà vu”. A cette liste officielle, il faut ajouter Jerry Garcia, au
pedal steel guitar pour le premier titre, “Change partners”.
*
The Memphis Horns:
Sidney George - saxophone
Jack Helm - trombone
Roger Hopps - trompette, cor
Wayne Jackson - trompette
Ed Logan - saxophone
Andrew Love - saxophone
James Mitchell - saxophone
Floyd Newman – saxophone
Je vous entends, embouvaté dans ma caverne comme un vieux dragon lucifuge: «Quand est-ce que tu la commences ta revue, hé, jarole!?». J’y viens, mes toüillauts! j’y viens! Je tiens juste à vous signaler que cette galette est aussi éclectique que l’autre, aussi ai-je choisi d’en parler par genres, notarialement numérotés et ainsi définis:
1 “Californian old style” — les titres rappelant l’atmosphère nonchalante de la zique californienne, et
particularly, of course, celle de C, S, N & Y)
2 “Soul, et même funky”3 “Blues”4 “Rock” — car il y a aussi du rock!
OK, let’s go!

Pierre-Auguste Renoir,
Bal à Bougival,1883
(SOURCE: WIKIPEDIA)
1 “Californian old style” > “Change partners”
Vifs et clairs accords de guitare, rubans irisés d’un
pedal steel guitar, batterie empressée, chaleureuse: l’on est de suite transporté, loin des falaises, au-dessus du Pacifique, dans un ciel céruléen, obligeamment bercé par ses courants calmes, gigantesques. Magellan navigue au loin, vers l’équateur, sur ses fières caravelles aux voiles peintes de grandes croix rouges, et l’on se laisse entraîner au tourbillon d’une valse incertaine... «All of the ladies attending the ball / Are requested to gaze in the faces / Found on the dance cards»... Les danseurs s’enroulent et pivotent. A la dernière mesure, les cavaliers saluent leurs partenaires et chacun regagne sa place avant que l’orchestre n’entame un autre air... «So we change partners / Time to change partners / You must change partners / Again»... Les chœurs éclatent, s’envolent, ardents, fervents, radiants, adossés à la batterie qui joute avec le tempo: l’emphase, le panache 70’s, l’esprit du style californien s’exaltent dans cette poussée de lave, vibre, puissant, robuste, dans tout cette chanson.
> “Fishes and scorpions”
«Fishes and Scorpions / In the morning sun / Dance to the changing seasons / Get away with none»... Toujours de clairs accords de guitare —
pickings cette fois —, que viennent soutenir la basse et la batterie: une basse élastique, paternelle; une batterie bifide, nourricière, marquant la mesure avec la grosse-caisse, le contre-temps par des frétillements de charleston, légers, diaphanes, mutins. L’ensemble évoque l’image d’un poulpiquet s’en allant blic-bloc, vermeil, ascardamycte! Puis au refrain, une guitare érectile-électrique, crissante et saturée, s’immisce, s’impose: le rythme, enfle, bouffe, accélère, reptilien, fiévreux, circonvenant, sauvage, la batterie poinçonne la cadence à coups de cymbales, congrus et cinglants... «And can you tell me / What does it do for you girl / And can you tell me / Who is that you knew girl»... Et une deuxième guitare, gicleuse, oxalique, disperse ses notes vertes et juteuses, et une troisième surgit, ruginante, abrasive, bientôt blézimardée par celle qu’elle a remplacée... Et le tempo décélère, le climat doux, musard, feutré qui marquait le début revient, et la chanson s’éteint, tranquillement dissémine de petites notes aimantes et dociles.
> “Singin’ call”
«Listen to the sound of the night bird singin’ / I wonder who he calls»... Merveilleux
pickings énamourés, ocieux, joncés, tissant une ambiance douce et zinzoline, rappelant les soirs d’été, quand le soleil glisse derrière la rambarde de l’horizon, que les derniers baigneurs empaquettent leurs serviettes, dégonflent leurs bouées et replient leurs parasols. Une mélodie semblable à celle de “4+20” dans “Déjà vu”, mais vive, alerte, sertie par une basse ample, ronde et féconde, estampillé de vigoureuses “patoches”—
clacs des baguettes sur le bord de la caisse claire, syncopés, asticoteurs, factieux, auxquels répondent de sages et disciplinés grillotis. — «Hit a stretch of rapids in the rushing ragin‘ river / Looking out for boulders and falls / A woman she watches from the top of the canyon / Hopin’ we don’t drown us all / Help me now, I got to slow down / Hear my singin' call.»

Edward Hopper,
Gas, 1940
SOURCE:
http://artchive.com/artchive/H/hopper/gas.jpg.htmlGRANDE IMAGE:
http://www.ibiblio.org/wm/paint/auth/ho ... er.gas.jpg 2 “Soul, et même funky” > “Nothin’ to do but today”
«Already on my way
Goodbye. I can't stop to say
Just quietly slip away»
Il est là le funk! turgescent, déhanché, avec ses guitares crachant de pépineuses notes, succinctes et retenues: des guitares érupées, spinescentes et guerrières, et une batterie brandillant ses roulis, cisaillant la cadence, hachant ses
tchac-tchac insidieux et perpendiculaires! Il est là, le funk, batailleux, buqueux, évulsif, qui vous provoque et vous voque, vous papouille, vous arsouille, vous alpague et zigzague! — «Been on the road too long / Most of these changes should be past and gone / Clarify my position / Must be some kind of fool, I'm a musician /I got nothin' to do but today».
> “Sugar babe”
Un mid-tempo vaillant et calorifère, un épitomé de l’instinct grégaire, le tout rembourré de chœurs solidaires.. ??? Tu déconnes-là !? Mais non! Tenez: «People need love / People need trust / People need one another / And that means us / My sugar babe / Believe me, sugar babe». Vous voyez, j’invente rien! Et là encore: «Everyone knows it ain’t easy / But when you get it all together in your heart / It's the easiest thing to do to be pleasin’ / Folks ain’t made to live apart». Si c’est pas du socialisme-si-tous-les-gars-du-monde-voulaient-se-donner-la-main* ça!?... Mais pourquoi s’étonner sachant l’homme convaincu des valeurs démocratiques!? OK! OK! La musique maintenant! — Simple! Ça commence par des accords de piano, appuyés, protocolaires, sobres et concis, mais embroussaillés dans un son de tuyère, vrombissant et ranci, qui va durer jusqu’à la fin de ce cantabile, écranchant des flammèches d’orgues, moussues, veloutées, s’échappant à l’occasion d’un
break plus nerveux, se substituant alors en naines salamandres, piétinantes et quinchardes.
* «Si tous les gars du monde...». C’est Paul Fort qui a écrit ça. > “Open secret”
«Still my heart is an open secret / Someone tell me have I been gifted or robbed»... Moulé dans la même lingotière que le précédent — un peu poussif à mon sens —, mais que distinguent des
clap-hands (ou simili
clap-hands) évangéliques, et surtout des cuivres capiteux, involvants, analeptiques, dont une trompette, hennissante, “big band”, juteuse, annonçant un break latino-jazz plutôt frénétique. Là, Stephen Stills martèle son piano, le malmène, houspille, cigogne, chancagne, l’oblige à s’extraire des accords consuétudinaires, tandis que le trio batterie-basse-congas se dégogne, désampille la mesure, la forjette, déchiquète; tout ça à une allure Internet. Puis le piano met les pouces, la batterie, qui matraquait, se fait plus discrète, pizzicatant le haut de ses cymbales, et les percus s’en donnent à cœur-joie, escochant la peau de leurs congas, chaupillant-chapellant la cadence, la réduisant en mini wallabys, en exocets sans patience, en épileptiques prognichthys.

Photo intérieure de l’album
> “Ecology song”
Trombone, trompette, saxo, piaffants, étincelants! — Allez, hop! debout là d’dans! Ça sonne comme du Chicago, le corpulent-coruscant Chicago, avec, en sus, un duo basse-batterie qui sort toute l’argenterie, un piano holophrastique, des chœurs explicites — répondant à «Fortunes of time making up a rhyme» par «How do we save tomorrow?», et à «Given a voice, can you make a choice?» par «Is it black, is it grey, is it yellow?», puis, ardemment, proclamant: «Mother nature made it green / Prettiest place you've ever seen / People don't know what they need / Open your window / What do you see / Do you remember / How it used to be». Assez de saccage se lamente Stills, «The earth is dying», «America is lost»... «You can hang your head in shame / It's disgusting»! — Il n’y va pas avec le dos de la cuiller notre protest singer! Ce titre volubile et virulent n’a qu’un défaut: celui d’être trop court, de disparaître sur un solo de trompette éminemment rouspéteur et vultueux alors que l’on attend davantage de tumulte et de culbutes!
> “Bluebird revisited”
“Bluebird” date de l'époque — à l'époque —, pas si lointaine, du Buffalo Springfield, et conclut la face A de son deuxième album, “Again”. Tout d'abord — versant
rock — environné de guitares étincelantes et siliceuses, spitantes et corrosives, puis — versant
folk— d'almes
arpeggios de guitare et de banjo, ce titre, fantasque — en fait très pop, très anglais — se métamorphose ici, en houleux cantabile, puissant, royal,
soul évidemment: 100 000 joules dardant somptueusement, tout élans, clameurs, chaleur, lyrisme... Début tendre, opalin: un orgue déversant des notes indécises et rêveuses... «The pain of losing you / Well it made me an angry man / Was there something else that I could do / Was it over, had I a chance?».... et c'est l'entrée, pétaradante, cuivre-batterie, dans la grande tradition “Muscle Shoals”-Otis Redding-“I've been loving you too long”. Ah l'amour!... «L’amour refuse le temps, affirme que le passé n’est pas mort» — qui disait cela!?... Et l'homme gémit et regrette: «So I listened once again / To my bluebird sing / Oh yes! and children / How she made the mountains sing / Now it haunts me still / That gentle voice of spring / Oh! my precious, my soul sister, / My blueyed sparrow»... «Come back, come back» houvent les chœurs et l'amoureux repentant, tandis que brame le trombone, cacarde la trompette, hôle l'orgue. Puis ça
sprinte, bondit, cravaché par la batterie: l'orgue guenivelle*, se gondivelle**, la trompette piète, attendant ses copines, les congas latines, qui choulent, baroulent et ginginent, puis elle éclate, écarlate, orgueilleuse, superbe, catapultée par les heurts sécuriformes de Dallas Taylor... Après le refrain, cette belle ardeur s'éteint: le tempo décélère, les chœurs roulent des «ouh» doux et lénifiants, un xylophone éparpille de miroitants tintinnabulements, le trombone barytonne de longues notes mollassonnes, et accompagne, secondé par la trompette, le solo de Stephen, qui détache de ses six cordes des notes dolentes, amandines: amers tanguins gorgés de fuzz — comme une épaisse liqueur profuse.
* gueniveller: bouger, remuer
** gondiveler: réjouir
SOURCE:
http://myheadisajukebox.blogspot.com/se ... n%20Stills3 “Blues” > “Know you got to run”
«Know you got to run
Know you got to hide
Don't know who to follow
Who is on your side
Don't know where you're going
You won't talk of where you've been
And I may see you tomorrow
Never more again»
Mon préféré, gémissant, martelé, évoquant l’errance, la peine, les routes poussiéreuse et les champs de coton; et aussi le “Captain Kennedy” que Neil Young n’a pas encore écrit. Du blues à l’ancienne, donc, rustique, élémentaire: dobro, guitare égrappant des notes plaintives, berçantes, épineuses et ductiles, frappements d’un tambourin, secs, réguliers, et la voix de Stephen Stills, rêche, écorchée, traduisant cette souffrance, la transformant comme le balancement du rythme transforme le poids d’un labeur monotone et déprimant.
> “Word game”
« And the well fed masters reap the harvests of the polluted seeds they've sown,
Smug and self-righteous they bitch about people they owe,
And you can't prove them wrong, they're so God damn sure they know»
Cette longue harangue sur la rapacité humaine, le mensonge de nos gidouilleux* plénipotentiaires et la misère tous azimuts est à vrai dire plus folk que blues. Du blues, elle a sinon le genre du moins l’obstination et la simplicité: obstination d’un
riff protestataire, clair, insistant; simplicité d’abruptes
frottés mêlés d’adustes
pickings... Il faut dire que, comme sur son premier opus avec “Black queen”, notre ami Stephen bataille seul — tel un vieil Héraclès affrontant le lion de Némée! —, et il y met de l’ardeur, du nerf, de la poigne, lançant ses rudes dénonciations sans trêve, sans répit.
* ventrus
Gjon Mili,
Lindy hop, juillet 1943
SOURCE:
http://www.vpphotogallery.com/photog_mili_lindy.htm4 Rock > “Relaxing Town”
Guitare électrique... et électrocutante! toute vibrante et voltaïque! Quelques accords en ouverture,
mezzo forte,
staccato, puis ça démarre!... Du rock donc! avec le côté baroudeur-matuvu-rouleau compresseur symptomatique du genre! Et notre énergumène, Stephen, qui prend une voix de rogomme, exagérée presque caricaturale, qui, brusquement, change — est en fait remplacée par la tessiture habituelle grâce à un bref yo-yo du mixage.... Versant textuel, l’auteur manifeste un ras-le-bol et une lassitude que l’exergue dévoile en partie, et qui constitue le deuxième volet d’une sorte de triptyque éminemment rouspéteur et caustique. Versant mélodique, rien de remarquable: un petit solo de gratte,
andante, pantouflard, et, à 2’16”, révérence,
bye-bye:
decrescendo sur les derniers mots soulignés d’une longue note de guitare, fine et distendue.
> “Marianne”
Rock toujours, cette fois
allegro, aéré, badin, où passant d’un excès à l’autre, notre quinteux Stephen adopte une voix de fausset, où la batterie roule comme un
scenic railway, la guitare escopette des riffs menus, joufflus, “langue de belle-mère”, l’orgue, comme emmitouflé, effectue quelques voltes empesées assez “mémères”. Quant à la Marianne, tendre “objet”, elle paraît plutôt nunuche: «Everyone seems to think you're too much Marianne / Everyone seems to think they know you Marianne / Why you don't even know yourself / Poor little girl you're out of this world Marianne / Wake up Marianne!»... Bon! je dois dire que je n’aime pas ce morceau; il faut croire qu’il est bon pourtant car il figure sur le “Best Of” sorti en décembre 1976.

That’s all folks!... La suite demain avec Manassas!