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C'est avec un immense plaisir que je découvre le topic et vos commentaires, car il s'agit de mon album préféré des Stones, talonné de peu par "Let It Bleed".
On dit souvent que c'est un mauvais album des Stones, moi je répondrais que c'est un excellent album psychédélique PAR les Stones. On considère souvent que les Stones ont pris en marche le train psychédélique avec ce disque par pur opportunisme, ce n'est pas tout à fait exact. Je serais tenté de faire remonter cet état de fait à "Have You Seen Your Mother Baby Standing In The Shadow", soit une bonne année plus tôt. "Between The Buttons" aussi proposait quelques morceaux dans lesquels on trouvait une veine trippante, clou évidemment enfoncé avec "Satanic Majesties". Le contenu du disque est à l'image de l'époque, inspiré par une grande diversité de styles, musique indienne, avant-garde, électronique, jams, sunshine pop, etc, etc. Et chacun des morceaux de l'album se place dans un de ces créneaux, le plus souvent avec beaucoup de bonheur.
Les Stones s'approprient très pertinemment les codes du rock psychédélique, les meilleurs exemples sont "2000 Light Years From Home" et "Citadel", croisements de psychédélisme et de rock stonien, et qui bénéficient d'arrangements et d'une production efficaces. "In Another Land" par Wyman (sur lequel on entend chanter Steve Marriott), "The Lantern" sont également de grandes chansons, qui fourmillent d'excellentes idées (le jeu de Richards sur "The Lantern" est passionnant d'un bout à l'autre). "2000 Man" est un autre grand moment, avec son break délirant et le jeu absolument extra-terrestre de Charlie Watts, décalé mais solide. "On With The Show" a également quelque chose de fascinant, entre les mellotrons inquiétants de Brian Jones et la gouaille de Jagger. "Sing This All Together" est peut-être le titre le plus embarassant du disque, par ses textes qui en font un poil trop dans le registre "flower-power". Néanmoins, la jam du même nom n'est pas, comme on le lit généralement un peu partout, un gros tas de merde, on y entend les Stones qui tapent un boeuf assez inspiré, avec une progression passionnante et un final à propos. "Cosmic Christmas" qui clôt la face A aurait gagné à être un peu plus développé, là, sous cette forme ça tient un peu du gag. Contrairement à beaucoup de morceaux sur lesquels l'utilisation du sitar est franchement ridicule, "Gomper" montre une science certaine des arrangements de la part de Brian Jones, dont on connait par exemple l'amour pour la musique marocaine et une capacité à s'approprier des traditions musicales extérieures au strict langage blues-rock. "She's A Rainbow", chanson-pop parfaitement écrite, arrangée, un des meilleurs titres des Stones, et qui reste encore aujourd'hui un standard, justement réévalué avec le recul.
Je comprends que la frange des fans purs et durs des Stones ait flippé en entendant ce disque en 1967, mais il était à mon avis, tout aussi intéressant que les grands albums psyché anglais de 1967-68 et ne faisait pas honte aux Stones. On leur reproche à eux de s'être laissés embarquer dans ce style, mais en fait-on le reproche aux Who ("Sell Out"), aux Small Faces ("Ogden's Nut Gone Flake") ou aux Pretty Things ("SF Sorrow") ? La suite a montré que les Stones étaient plus à l'aise dans la synthétisation des musiques américaines (blues, country), plus en rapport avec leurs racines musicales et leurs aspirations personnelles, que dans une direction artistique de recherche musicale beaucoup plus européenne (qui historiquement menait tout droit au rock progressif). Et les albums qui on suivi, "Beggars' Banquet", "Let It Bleed", "Sticky Fingers", "Exile", etc, sont de grands albums DES Stones, tandis que celui-ci est un très bon disque de rock psychédélique PAR les Stones, une tentative, mais pas un ratage. Les Stones savaient à mon avis - puisque c'est quand même de ça qu'il s'agit dès lors que l'on parle de psychédélisme - transcrire en musique des sentiments, visions et impressions liés aux substances hallucinogènes ("2000 Light Years From Home", "Citadel" parlent tout seul) et ont à mon avis inventé ce que des groupes comme Hawkwind ont repris plus tard avec plus de recul et de maîtrise (et plus de LSD certainement).
La pochette, elle, malgré les qualités du travail de Michael Cooper et la valeur ajoutée de la 3D, trahit un suivisme vis-à-vis des Beatles (la preuve en est que l'on retrouve leurs visages dans le collage sur le recto) et ne possède pas les qualités de la musique. Les collages dans les volets intérieurs font un peu images d'Epinal psyché, c'est un peu cheap par moments, mélange de space-ologie et de Jérôme Bosch pas toujours à propos. Dommage, mais pas grave !
Allez, 9 sur 10, parce que c'est les Stones et que dans 50 ans on se dira peut-être "ils jouaient le blues comme des nazes mais leurs titres psychédéliques étaient de première bourre". Je prends les paris !
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