FAR OUT 
Que cache cette pochette au gant pendant ? L’album éponyme du groupe japonais Far Out sort en 1973, soit la même année que le Dark Side of the Moon des légendaires et très reconnus Pink Floyd. Mais les anglais de Pink Floyd sont loin de Tokyo, au Japon. Nous savions que les Japonais savaient et pouvaient déjà faire du bon rock (hard ou progressif) à l’image des plus grands groupes européens ou américains. Ici Fumio Miyashita, Eiichi Say, Kei Ishikawa et Manami Arai nous invitent à un voyage, un long voyage qui nous mène bien au-delà de l’Extrême-Orient.
Le disque est composé simplement en deux partie, la face A et la face B. Autrement dit nous avons deux longs morceaux impressionnant à découvrir.

Too many People débute par de très timides battement de cœur qui frapent nos tympans de plus en plus fort. Puis un souffle stellaire nous met dans une ambiance calme, voluptueuse afin de bien entamer ce long périple. Far Out ménage notre monture. Tout est douceur, quiétude et poésie comme l’est l’art de vivre nippon. Tient, une délicate mélodie arrive par là. Crescendo, la guitare acoustique est laissée seule, derrière le vent se calme. Vous êtes assis confortablement dans votre siège, la navette spatiale va partir. Le chant est en anglais, la voix du chanteur transpire de sentiment et d’émotion. On entend parfaitement que le jeune homme est un asiatique mais il n’a pas l’accent qui déforme son anglais. Clavier, batterie et guitare électrique arrive avec le chant. Enfin le premier solo sobre, unique et émotif gravit les échelons sans fausse note, sans démesure. L’agilité de la composition et du musicien nous entraine dans des galaxies inconnues. Le thème principal sert de tremplin afin de continuer l’ascension vers le rêve. Le chemin est ici difficile, rude, escarpé. Nous avons le souffle coupé, nos muscles nous font souffrir, nous sommes proche du malaise. La guitare hurle de douleur, point de coté, essoufflement, courbatures. Nous sommes torturés. Un ultime effort est une pause s’impose ici. Je me repose et j’observe le paysage stellaire. Comme les astres sont beaux. Je monte encore et la vue ne sera que plus belle. Je reprends la marche vers le sommet. Le soleil brille, il me chauffe le dos, ses rayons me propulsent en avant. Ne jamais regarder derrière même si le cœur veut lorgner dans le rétroviseur. Une autre station. Un nouveau jour se lève, le soleil rougit l’horizon. Tout recommence, l’éternelle renaissance du matin m’émerveille. Baignées par notre étoile, les planètes sont sublimées par son éclat. Unique mais pourtant éternel. Beau mais pourtant simple. Je vois, je grandie, je vis. Le parcours me mène bien au-delà de mes espérances, je m’étonne de mon courage. Sans regarder derrière, toujours fixant le sommet, j’avance sur les pentes d’une montagne imaginaire. Des voix célestes chantent des louanges exquises. Qui peut rester insensible à cet appel. Pressons le pas le sommet est là, je touche les ailes des anges.
Nihonjin est sur la face B. Tout commence dans un tonnerre grondant et inquiétant. Le thème est puisé dans la culture nipponne. Sans détour la guitare le répète sans cesse sur un jeu dansant de percutions. La finesse est toujours le maitre-mot. Néanmoins l’ambiance est bien moins rassurante qu’auparavant. Une angoisse, une peur, peut être une nostalgie du pays pour cet écolier expatrié. Le chant est encore une fois anglais et il est toujours très bien interprété. Le solo guitaristique qui suit, est tout simple impressionnant. Non, ce n’est une démonstration technique et virtuose du guitariste mais bien un solo racontant une émotion s’ancrant parfaitement dans le thème triste et inquiétant de la chanson. Le développement est lent sans être ennuyant. On ne perd rien, le thème est redit ici avec toujours des couleurs locales sans pourtant tomber dans le folklore. Et la guitare soliste revient plus fort et avec son unique pour nous conter un nouveau chapitre de l’histoire. Et il y a des arguments solides. La rythmique ne bouge pas d’un pouce assurée par la batterie, la guitare acoustique, la basse et le clavier assez discret. Doucement la transition nous transporte de l’autre coté du morceau. Sans ménagement cette fois, l’Asie se livre à nous. La guitare est clairement démonstrative dans ce domaine. Far Out maitrise son sujet et intègre ses racines sans fausse note. La vulgarité est contournée par l’intégration des sonorités nipponnes par dose homéopathique mais aboutissant tout de même à un résultat convaincant et suffisamment clair. Enfin nous arrivons vers le final tout à fait psychédélique qui prouve que Far Out connaissait les meilleurs albums de la West Coast américaine aussi bien que le rock psychédélique anglais. Inlassablement répété, le couplet est soutenu par des cris faisant références aux prières bouddhistes. Cette ambiance enfumée augmente de volume et de puissant jusqu’à retomber brutalement. Là, seul des coups de tambour raisonnent rapidement. Une flûte aigue tinte dans une atmosphère vaporeuse et froide où le sitar joue un rythme héroïne alors que l’album s’achève dans cette ambiance inquiétante qui a habitée l’intégralité de la composition.
Far East Family band rencontre Klaus Schulz en 1975 Que cache cette pochette au gant pendant ? La question reste entière. Néanmoins avec Far Out le voyage est permis. Sans faire une analyse musicologique, j’admire cet album pour le travail inventif par rapport à leurs origines tout en respectant des codes spécifiques au rock psychédélique ou au space rock. Les ambiances établies sur chaque face sont parfaitement maitrisées et jamais défaillantes. Le chant, les soli de guitare, les percutions, les thèmes asiatiques sont superposés ou juxta positionnés avec intelligence. J’apprécie cette volonté et cet effort réalisé par ce groupe. Ils n’ont pas cherché à faire une copie des albums européens ou américains mais de belle et bien créer une identité propre à eux. Bravo.
