Puisqu'on en parle ailleurs et que certains membres ne sont pas allés jusqu'à télécharger Vapeur, le succulent journal des membres du forum, je la recase ici

Frank Zappa - Joe’s garage Act 1, septembre 1979, Act 2 et 3 novembre 1979.Parmi l’impressionnante discographie de Frank Zappa, il existe une œuvre qui regroupe tous les styles que la musique ait enfanté depuis les années 1950 : surf, rythm’n’blues, garage, doo-wop, hard rock, disco, funk ou reggae sont parfois mélangés au sein d’un même morceau, le tout adjoint de polyrythmies d’une complexité typiquement zappaïenne. Le triptyque Joe’s garage est comme une ode ambivalente à la musique américaine, dont Zappa aura délibérément voulu précipiter la sortie.
Le personnage principal de ce conte musical surréaliste est le dénommé Joe. Tout commence dans le garage des parents de Joe alors que celui ci monte un groupe de rock, ce qui va par la suite lui jouer bien des tours. Le personnage secondaire (ou n’est ce pas plutôt le vrai personnage principal !?) est le Central scrutinizer, sorte de Big brother (1984) qui espionne tout le monde et s’évertue à faire respecter la loi et éviter les déviances de la société. Cette société que dépeint Zappa est une caricature poussée des USA des années 1970, où la musique serait interdite, la religion le seul garant de la morale, la sexualité un péril à encadrer. Alors que Joe découvre la vie et tente de s’émanciper, le Central scrutinizer le traque et le recadre afin qu’il devienne un bon citoyen, discret et respectueux des normes sociales restrictives de cette société aliénante ; mais parce qu’il a des peines de cœur, le Father Riley de la fameuse église d’« appliantology » explique à Joe qu’il est un «latent appliance fetichist » (ne cherchez pas à traduire) et qu’il doit admettre devoir recourir à des appareils pour assouvir ses besoins sexuels ! Après des scènes d’amour torride avec un robot mi-aspirateur mi-cochon (!) qu’il «
plook to death », Joe va en prison où il est abondamment violé, et dont il sort plus que jamais sur de son désir : il aime la musique et finit par s’inventer des mélodies imaginaires pour échapper à la censure.
Alors que l’acte 1 est presque une œuvre en soit, l’acte 2 et surtout le 3 sont des prétextes pour utiliser des prises de guitare live, et notamment de formidables soli de 6 minutes comme Zappa sait les libérer du manche de son instrument. Néanmoins, les illustrations des scènes olé-olé par de suggestives parties de Stratocaster ne sont jamais purement décoratives.
Joe’s garage que beaucoup considèrent comme un opéra-rock est en fait une revue socio-historique de l’évolution des mœurs et l’impact de la musique sur la société américaine, si chère à ce bon Franky ; tout l’album possède une assez forte dimension politique, mais Zappa ne nous a pas franchement habitué à la légèreté. Au travers des différents styles qu’il aborde, Zappa nous raconte une histoire tour à tour drôle, pathétique, parfois à la limite de la pornographie (franchement vulgaire par moments) mais toujours grinçante et comme à son habitude, bourrée de bons mots, de messages et de clins d’oeils (dont certains à ses propres morceaux).
Bien sur, c’est au travers du prisme de l’humour, indissociable de la musique de Zappa, qu’il brosse le portrait de cet univers cauchemardesque (rendez-vous compte, la musique est interdite !). Des talk-shows télévangélistes aux groupies de musiciens, en passant par le fétichisme gay et ses clichés ou les critiques de rock, c’est toute l’American way of life qui est passée au girobroyeur pour nous en délivrer un pamphlet amusant voire divertissant mais qui interpelle néanmoins inévitablement.
Finalement, l’histoire de Joe n’est autre qu’une allégorie de celle de Zappa lui-même, de ses problèmes rencontrés à cause de la musique, des activités socio-culturelles préformatées et de l’église, de la mode et de la consommation, de l’industrie du disque, etc. Cet album est finalement une réponse de Zappa à ce background social et au consortium musico-industriel qui le repoussent, à son insuccès commercial du début des années 1970, à la censure dont il est manifestement la victime et des critiques acerbes contre son précédent album Sheik Yerbouti trop ouvertement satiriste ; blessé dans son ego, de plus en plus attaché à son rôle de citoyen et à sa liberté en tant qu’artiste, Zappa débute avec Joe’s garage une série d’actions explicitement politiques. Suivront entre autres l’album Tinseltown rebellion, un autre pavé dans la mare, et un engagement civique qui mènera Zappa devant le sénat, et même jusqu’aux portes de l’élection présidentielle.
quelque liens utiles !