1974. Neil Young approche de la trentaine, les années 60 et leur cortège de rêves sont bel et bien terminées... le désenchantement est le trait le plus caractéristique de l'atmosphère qui règne tout au long de cet album. Un album très adulte, joué tout en retenue, avec une certaine variété de styles, ce qui en fait un des disques difficiles du loner, au même titre que "Time Fades Away" et "Tonight's The Night" enregistré auparavant, ce dernier publié après "On The Beach", le tout formant une trilogie des plus sombres, de laquelle pourra se rapprocher, plus récemment, un album comme "Sleeps With Angels".
WALK ON - Neil Young avec Crazy Horse moins Danny Whitten récemment décédé (Frank Sampedro n'est pas encore de l'aventure) plus Ben Keith, compère incontournable du Canadien depuis ses débuts, et dont l'inspiration n'aura jamais tari dans ses accompagnements. Allusion à tous ceux qu'il a croisé et l'ont intronisé gourou, à son corps défendant, et pour lesquels ils n'avait pas les "réponses" que ceux-ci attendaient de lui. "C'est dur de changer. Je ne peux pas leur dire comment ils doivent se sentir. Certains se défoncent, d'autres deviennent étranges, mais tôt ou tard la réalité nous rattrape". Accompagnement des plus enlevés par Ralph Molina et Billy Talbot.
SEE THE SKY ABOUT TO RAIN - Superbe chanson, le texte est magnifique, idéalement accompagnée par Neil au wurlitzer, avec le génial batteur du Band, Levon Helm. Ben Keith est toujours impérial. "Certains sont voués au bonheur, d'autres à la gloire, d'autres encore à vivre avec moins - qui peut dire votre histoire ?"... La voix est sans égale, à fleur de peau, toujours...
REVOLUTION BLUES - Le morceau le plus enlevé de l'album, superbe rock bluesy en mineur. Levon Helm est toujours là, rejoint par son collègue du Band Rick Danko à la basse et par David Crosby à la guitare rythmique. Et quelle rythme ! La chanson parle de Charles Manson qu'il avait côtoyé peu de temps avant qu'il ne dérape avec ses "fidèles" et n'assassine Sharon Tate et sa famille. On se doute, le propos est encore une fois des plus cyniques. Curieusement, alors que Crosby participe au morceau, CSNY ne tenait pas à l'interpréter en concert lors de la tournée de reformation qu'ils donnaient à l'époque. Gênés aux entournures, les collègues, d'avouer avoir fréquenté Manson. Grand moment.
FOR THE TURNSTILES - Un duo entre Neil au banjo et Ben Keith au dobro, les deux chantant en harmonie. Encore un titre désabusé, car quoi que tu fasses, "Tu peux beaucoup apprendre ainsi. cela te changera au milieu de la journée. Ta confiance peut en être ébranlée, cela n'a guère d'importance." Permanente interrogation sur le sens à donner à nos existence... Superbe exercice de style en tous cas.
VAMPIRE BLUES - On continue dans le même type d'ambiance, plus clairement bluesy ici, mais totalement décalé, un peu comme si Neil méprisait ce blues qui le fait ici tenir debout, face à toutes ses désillusions. Neil continue à chanter ses flips. Nos flips. Car son histoire peut aussi être la nôtre... "Good times are comin' / I hear it everywhere I go / (...) / Good times are comin' / But they sure comin' slow", cette strophe ayant été citée dans son intégralité par Michel Houellebecq dans son premier livre, "Extension du domaine de la lutte"... deux univers qui se croisent. La déprime est réellement là. "Je suis une chauve-souris noire, se cognant à la vitre de ta fenêtre"... toujours l'humour dérisoire du loner. L'orgue dissonant de Ben Keith fait merveille ici.
ON THE BEACH - Titre qui entamait la seconde face du 33t. Le plus haut sommet de l'album qui n'en est pourtant pas avare. Superbe blues en mineur, la dépression toujours. "Le monde tourne, espérons qu'il ne se détournera pas". Tim Drummond et Ralph Molina accompagnent idéalement, et ici le wurlitzer tenu par Graham Nash confère une dimension sonore impressionnante à ce titre. Le thème de la solitude encore, associé à sa condition d'artiste. "J'ai besoin d'une foule de gens, mais je ne peux leur face de jour en jour" - "Je suis allé à cette interview à la radio, et ai fini seul au micro"... Tonight's the night, décidément. Il est temps d'en finir ; "Je vais me casser de cette ville. (...) Je suis la route, bien que je ne sache pas où elle finit". Enorme chorus de guitare, d'un incisif digne d'Albert King... Monument.
MOTION PICTURE - Un moment d'apaisement, peut-être... de confinement à l'intérieur de soi aussi. Une vague évocation à sa liaison finissante de l'époque avec l'actrice Carrie Snodgress. Et surtout, un compte-rendu de l'impression qu'on peut avoir du monde qui nous entoure, dérisoire lorsqu'on est entièrement face à soi-même. Le doute persiste... Seul le sourire qu'on peut apporter à l'autre donne un sens à nos vies.
AMBULANCE BLUES - Dernier titre, et encore un grand moment. (Au passage, Neil Young avait déclaré lors d'une interview en 1991 qu'il avait entièrement pompé le premier mouvement de ce titre au "Needle Of Death", sur "Bert Jansch", le premier album du guitariste écossais : connaissant par coeur ledit album, je me dois de confirmer cet emprunt manifeste...) Une ballade acoustique avec un violon vibrant d'inspiration en contrepoint. Le rêve est fini. "En ces jours emplis de folk, l'air était magique lorsque nous jouions". Etait... le texte est ici assez énigmatique, tout au plus peut-on lire ici et là, une attaque aux critiques "Vous ne valez pas mieux que moi, d'après ce que vous avez montré". On parle encore d'un homme, jamais on n'a vu un tel menteur, qui a une histoire différente pour chaque péquin qu'il rencontre... C'est Richard Nixon, au moment du Watergate, que Neil avait en point de mire. Si on regarde la pochette du disque (c'est plus facile sur le vinyle) le journal dans le sable dit "Senator Buckley calls for Nixon to resign". Cette pochette est en elle même emblématique du parcours de Neil Young à cette époque.
Il est au bout de son voyage de son Ontario natal, à la Californie, il se retrouve dos à l'Amérique et face à la mer. En fin de compte, "il n'y a rien de tel qu'un ami pour te dire que tu en train de pisser contre le vent". C'est un peu notre histoire, encore, que le loner - qui n'a jamais si bien porté son surnom - raconte encore et toujours.
Superbe monument désenchanté, voire désespéré. Avec son "Plastic Ono Band", John Lennon chantait le générique final des 60's. Neil Young Nous dit ici que la messe est dite. Il n'y a plus rien à attendre. Des jours meilleurs arrivent, c'est sur, on l'entend partout où on va. Des jours meilleurs arrivent, mais c'est sur qu'ils arrivent lentement... Les années allaient lui donner raison, comme toujours. Sauf pour lui. Il continue son chemin en solitaire.
_________________ Jamais ne fut de temps où toi et moi n'ayons existé. Et jamais ne viendra de futur où nous cesserons d'être...
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