2005... Neil Young est sorti de sa décennie de grâce 1988-1997 où il a enchaîné les grands disques. Sa "période" suivante (ce qui ne veut pas dire grand-chose, mais nous permet de nous repérer, court jusqu'à aujourd'hui, et est plus controversée. Force est de reconnaître que Neil Young a beaucoup perdu avec le décès de David Briggs, producteur de tous ses albums avec Crazy Horse, qui apportait cette chaleur aux albums, qui pouvait laisser passer une faute technique mais pas un manque de feeling. Et de son côté, le loner a sans doute montré une exigence moindre lors des enregistrements, ce qui a donné plusieurs disques qui auraient gagné, souvent beaucoup, à être plus aboutis (BROKEN ARROW, YEAR OF THE HORSE, GREENDALE, LIVING WITH WAR...).
De point de vue, deux albums parmi les plus récents sortent du lot, ARE YOU PASSIONATE pourtant décrié (mais à mon sens très largement sous-estimé), et PRAIRIE WIND qui nous intéresse ici.
Le contexte qui domine ici est celui du décès récent de Scott Young, le père de notre homme. Un contexte omniprésent. L'album est paisible dans l'ensemble, une manière d'au - revoir... All Things Must Pass...
Nous sommes en terrain connu, avec l'éternel Ben Keith à la steel et Spooner Oldham à l'orgue, dont on constatera que l'apport ici est absolument énorme. L'inspiration de ces deux derniers est en effet au sommet, et ils tirent tout l'album vers le haut. La section rythmique est assurée par Rick Rosas à la basse et Chad Cromwell à la batterie (deux des Bluenotes de THIS NOTE'S FOR YOU, que l'on retrouve sur FREEDOM, et encore après sur LIVING WITH WAR). Karl Himmel tient aussi la batterie. En guest, Emmylou Harris aux harmonies vocales sur plusieurs titres..
THE PAINTER est une très belle chanson, qui m'a d'autant plus ému qu'une autre peinte que celle de la chanson avait croisé ma route musicale durant l'été qui venait de s'achever. L'instrumentation est parfaite, la partie de guitare acoustique de Young, superbe, se marie à merveille avec la steel de Ben Keith. Les harmonies vocales du refrain font merveilles sur ce morceau à coloration vaguement country. Le vécu d'un homme qui a déjà fait de la route mais ne compte pas s'arrêter : "Il y a une longue route derrière moi - Une autre longue route s'étend devant". "Si tu suivais chaque rêve, tu pourrais t'y perdre". Ca vaut peut-être le coup d'essayer...
NO WONDER. Une merveille, justement. Le meilleur titre de l'album, de mon point de vue. La composition est superbe, et l'arrangement qui en est proposé est irréprochable. Tout est parfait, à commencer par l'orgue de Spooner Oldham et la steel guitar de Ben Keith, inspirés comme jamais. Sur les ponts, les accords de guitare électrique tombent et colorent le morceau d'une intensité supplémentaire, qui fait regretter que Neil Young n'ait pas reconduit cette idée sur davantage de titres. La guitare acoustique nous ramène aux meilleures heures de CSNY ou encore de TONIGHT'S THE NIGHT, au choix. Et les chœurs, avec une première intervention d'Emmylou Harris (avec Pegi, notamment). Un certain nombre d'images évoquées dans cette chanson, allant de souvenirs d'autrefois, à des événements plus récents, ""America The Beautiful", cette vieille chanson du 11 septembre qui continue à me trotter dans la tête" - il allait d'ailleurs la chanter sur l'album suivant. Une autre influence plus surprenante sur ce titre aux racines folk, le gospel dans les choeurs. Une manière de revisiter toute la musique américaine, un aspect des plus intéressants que l'on retrouvera tout au long de l'album.
Le titre se clôt par une partie de violon magnifique signée Clinton Gregory.
FALLING OFF THE FACE OF THE EARTH est un assez bon titre, une jolie chanson d'amour, qui peut être dédiée à Pegi, à son père... Une composition qui ne va pas très loin, il faut le reconnaître. L'instrumentation est magnifique, encore une fois, c'est bien l'ensemble guitare acoustique - steel guitar - orgue qui fait tenir debout la chanson. Mais de belle manière. Un propos simple, mais touchant par sa sincérité.
FAR FROM HOME est, de manière plus explicite, une évocation de souvenirs de famille, lors des fêtes où l'on se retrouvait : "Quand j'étais encore en train de grandir et me balançais sur les genoux de mon papa, i prenait une vieille guitare et chantait (...), oncle Bob était au piano, mes cousines chantaient les harmonies (...), cela m'a profondément marqué". Une vie musicale en découle. Une coloration supplémentaire avec les cuivres ici, et l'harmonica de Neil Young en contrepoint. Encore une fois, le point le plus fort de cette chanson est la partie de Ben Keith. Pas un grand titre, encore une fois, mais toujours l'interprétation est toujours superbe.
IT'S A DREAM termine la "face 1", l'album semble en effet conçu comme un vinyle, avec une certaine symétrie de faces. Neil Young est au piano dans cette valse soutenue par un orchestre de cordes, dans un arrangement assez bien vu, encore qu'il aurait gagné à être dans une formation plus réduite, c'eût été mieux senti, je pense, avec un quatuor à cordes. Une guitare acoustique habille le tout, avec encvore Spooner Oldham à l'orgue. La voix est parfaite, à fleur de peau comme sait si bien le faire Neil Young. Encore un titre assez personnel, semble-t-il. "J'essaie d'ignorer ce que disent les journaux, j'essaie de ne pas les lire". "C'est un rêve, seulement un rêve, et il s'efface maintenant que le soleil s'élève"... Et qui est ce vieil homme ? "Un vieil homme marche le long du trottoir, avec des lunettes de soleil et un vieux stetson". Son père ? Lui-même, tel un prolongement du vieil homme qu'était son père et qu'il devient lui-même à son tour... Et nous finissons par passer et nous effacer, tel un rêve alors que naît un jour nouveau.
PRAIRIE WIND entame la "face 2", et est un autre sommet de cet album. Un titre profondément autobiographique sur cet album, décidément résolument un hommage à son père, avec ce vent de prairie qui lui souffle dans la tête, encore et toujours, ce vent de prairie de son enfance qui lui souffle les paroles de son père. Encore une superbe partie de guitare acoustique, un véritable morceau d'école à sa manière... Et l'instrumentation ! Les cuivres et l'orgue se répondent parfaitement. Les chœurs féminins sont très bien sentis, également.
HERE FOR YOU est un titre résolument country, avec une belle intro d'harmonica. Encore une fois, il vaut surtout pour le tandem Oldham - Keith, qui fonctionne à merveille. La composition est ordinaire. Sympa, mais on peut attendre mieux de la part d'un artiste de l'envergure de Neil Young. Assez touchant, encore, malgré tout.
THIS OLD GUITAR peut présenter un côté assez insupportable pour les fans qui auront tous noté l'auto-plagiat par rapport au riff de HARVEST MOON (notons au passage, et c'est moins connu, que ce dernier était déjà un recyclage d'un motif de LITTLE THING CALLED LOVE, sur TRANS, paru en 1982 !). A mettre en avant, la très belle seconde voix chantée par Emmylou Harris. J'aime beaucoup les paroles de cette chanson, sur cette vieille guitare qui l'accompagne sa vie durant, et qui prendra la route d'un autre après lui, peut-être. Comme l'avait dit une violoniste de mes amis, nous ne faisons que passer dans la vie d'un instrument - j'espère que celui-ci se souviendra de moi. Et je pense au jour où ma Martin acquise pile à la sortie de cet album sera elle-même une vieille guitare... Où serai-je ? Neil Young a cette force de chanter nos vies aussi bien que la sienne.
HE WAS THE KING est un hommage inutile à Elvis, une composition qui ne méritait pas forcément de figurer sur un album de Neil Young. Ben Keith est (encore !!!) gigantesque sur ce titre et lui confère toute son énergie. Pour l'anecdote, cette chanson évoque un peu ce que pouvaient produire les Rolling Stones à leur meilleure époque dans les morceaux acoustiques country-folk (la qualité d'écriture en moins cette fois, malheureusement).
WHEN GOD MADE ME clôture l'album de belle manière, Neil est de nouveau au piano. L'influence gospel se fait à nouveau entendre dans les chœurs, dans le texte aussi, peut-être. Une belle réponse au 11 septembre, à sa manière, beaucoup plus subtile que ce qu'il donnera dans l'album suivant. "A-t-il pensé à mon pays ou à la couleur de ma peau, a-t-il pensé à ma religion (...) quand Dieu m'a créé ?" Une belle façon d'envisager nos différences pour mieux aller au-delà.
"S'est-il occupé des croyants uniquement, de ceux qui avaient la foi ? Avait-il envisagé toutes les guerres qui allaient être commises en son nom ? A-t-il pensé qu'il y avait seulement une façon d'être près de lui ?" Sans commentaire. Le propos est puissant, pas besoin d'en rajouter. Ce n'est pas Dieu qui fait la guerre, ce sont les hommes dans leur imperfection.
"M'a-t-il donné la parole pour que d'autres me réduisent au silence ? M'a-t-il donné la vue sans savoir ce que je pourrais voir ? M'a-t-il donné le don de compassion pour aider mon prochain, quand Dieu m'a créé ?" Autant de phrases, superbement enchaînées, que l'on peut longuement méditer, sans que leur auteur tombe jamais dans le prosélytisme. Neil Young nous invite à la réflexion sans jamais nous dire ce que nous devons penser. Le libre arbitre nous reste. "I can't think for yourself, You'll have to decide" chantait déjà Bob Dylan en 1964 dans WITH GOD ON YOUR SIDE. C'est toujours le cas ici, avec une certaine similitude dans le moyen pour faire passer le propos...
PRAIRIE WIND est un très bel album. Pas forcément un de ses meilleurs (pas du niveau de HARVEST MOON, par exemple), mais vu la densité de la discographie du loner, cela le situe néanmoins à un très haut niveau. Superbement produit. Pour moi, un de mes très bons disques de 2005, pas très loin derrière le CHAOS AND CREATION IN THE BACKYARD de Paul McCartney.
_________________ Jamais ne fut de temps où toi et moi n'ayons existé. Et jamais ne viendra de futur où nous cesserons d'être...
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