Quand j'ai réfléchi à ce que je pourrais proposer pour un éventuel ADLS, j'ai pensé à deux albums : celui ci, et le premier Big Star. Il m'est cependant vite apparu que proposer le Big Star ne comporterait pas beaucoup d'intérêt, puisque ceux qui connaissait déjà auraient mis 10, et les autres auraient écouté et mis 10 aussi.
Donc, ai choisi de vous faire travailler un peu (qui a dit souffrir ?).
Je tiens aussi à préciser que je suis conscient que cet album ressemble pas mal à l'anti ADLS ultime : comment prétendre pour quelqu'un qui ne le connaisse pas, arriver à comprendre, puis aimer une telle chose en 1 semaine ? Aussi je ne considèrerais pas la note d'une grande importance, mais plutôt le fait qu'on en discute, et qu'éventuellement vous reveniez sur cet album plus tard, que votre approche change, que vous alliez voir d'autres albums (dont certain sont bien plus accessibles), ... Un tremplin, quoi.

Captain Beefheart & His Magic Band - Trout Mask Replica (1969)
Zoot Horn Rollo (Bill Harkleroad) : glass finger guitar, Flute
Antennae Jimmy Semens (Jeff Cotton) : steel-appendage guitar
Captain Beefheart (Don Van Vliet) : bass clarinet, tenor sax, soprano sax, vocal
The Mascara Snake (Victor Hayden) : bass clarinet & vocal
Rockette Morton (Mark Boston) : bass & naration
Drumbo (John French) : drums
Captain Beefheart plays tenor & soprano sax simultaneously on Ant Man Bee, simran horn & musette on Neon Meate Dream ; Antennae Jimmy Semens sing lead vocal on Pena & plays flesh horn on Ella Guru ; Special guest artist Doug Moon plays guitar on China Pig.
Produced by Frank Zappa
Arranged by Don Van Vliet
Don Van Vliet – Captain Beefheart sous le profil qui nous intéresse ici - n’est pas le genre d’artiste à nous faciliter la tâche lorsque qu’il s’agit de pénétrer son œuvre. Pire, l’homme est taquin. Preuve en soit la pochette de l’album ici présenté. Où le spectacle d’une face de carpe ébahie (et non de truite, comme le laisserait penser le titre) semble refléter la tête de l’auditeur lors de la première écoute. Le tout surmonté du salut insolent d’un Captain barbichette en embuscade, probablement ravi de l’effet suscité. Conciliant, Van Vliet n’est toujours pas en enveloppant dans ce délicat écrin 28 chansons, totalisant un peu plus de 79 minutes de musique. C’est le tarif, que le chanteur a pris un malin plaisir à fixer. Et à bien y réfléchir, tout cela parait logique : pourquoi enfiler des gants lorsqu’on prépare un attentat ? Lâché par un véritable terroriste sonore, Trout Mask Replica est une bombe. Dont les éclats furent dilués dans l’Histoire.
Acte ultime, mais isolé et trop radical, il sera récupéré. N’en seront relevés que les apparats, au préjudice de la substance. Passé outre, par exemple, l’incroyable travail du Magic Band, artisans de l'impossible, détenus du tyrannique Capitaine. Car écouter Trout Mask Replica, c’est aussi assister au spectacle d’un groupe en plein effort d’absolu. Concassant le blues. Le déstructurant pour le faire adhérer au magma poétique d’un Van Vliet au sommet de son art, en pleine confiance. Celui-ci qui, en enchainant avec sa voix - si particulière, puissante et libre, et pourtant extraordinairement maîtrisée - les évocations surréaliste d’un univers dont lui seul détient les clés, en tapissant les pistes de ses digressives nappes saxophoniques, empli l’espace sonore d’une fascinante autorité.
Et alors ? Qu’en reste-t-il ? Présent dans tous les débats et dans tous les classements, chacun est dès lors familier avec cette cacophonique bizarrerie. Tout le monde connait, mais personne (ou pratiquement) n’écoute. Et si ceux, nombreux, qui s’en revendiquent étrangers, et en viennent même pour certains à le moquer (vu dans une liste de disques à posséder pour « se la péter », ou autre expression au sens similaire), sont facile à repérer, il est beaucoup plus difficile de discerner ceux qui adhèrent véritablement de ceux qui s’en réclame par simple pose. De tout ceci (ajouté à l’originelle rudesse de la musique bien entendu) provient l’extrême difficulté pour l’auditeur du XXIème siècle de se saisir de l’œuvre, pratiquement inaccessible derrière ce marasme d’opinions. Ou comment transformer un disque en bête de foire.
Nous reste la musique. Et un dernier coup d'oeil à la pochette et son humour dada pour nous prouver que l’homme et son œuvre volent bien au-dessus des phénomènes suscités.
A prendre en 320 et en FLAC .
J'ai mis 10.