«Travel light if you can, keep your thinking clear»
— “Come to me”
Archéoptéryx fossilisé dans la marne des jours ou vieil hadrosaure égaré dans les couloirs du Temps, The Travel Agency s’adresse au chineur, amateur de pièces rares et d’apagynes, traduisez: auteurs d’œuvres uniques divulguées par de savantes encyclopédies.
Evidemment, le groupe est mystérieux! L'on sait seulement le nom du chanteur, guitariste et, probablement, auteur de toutes les compositions: Frank Davis.
Frank Davis est texan. Il est connu, 1: pour avoir signé “Grand Candy Young Sweet” sur le deuxième album de Fever Tree, “Another Time Another Place” (1968), 2: pour avoir fait partie de l'éphémère Bob Segarini's Band (musicien canadien tenté par le soleil californien, qui formera The Family Tree), 3: pour avoir été ingénieur du son chez International Artists (officiant dès lors aux séances d'enregistrements de Thirteen Floor Elevator et de Fever Tree). Selon Philippe Thieyre (“Le Rock Psychédélique Américain”), il aurait également joué avec Chuck Berry à la fin des années 50.
Quant au groupe, on devine que c'est un trio grâce à l'illustration de la pochette. L'album fut réalisé en 1968 sur Viva, label psychédélique de Dot dirigé par Leon Russell. Passons au contenu.
Et bien, surprise, il mérite amplement ses éloges et sa légende de perle rare: les musiciens sont habiles et le jeu tonique et capricant du batteur est particulièrement plaisant.
Face A
“What's a man”. Son intro, sombre, lente, endeuillée, avec un orgue “requiem”, des chœurs “train fantôme”, de petits gizmos turlupins, fait songer à la bande-son d'un film fantastique. Mais cette ambiance funèbre et hypnagogique cède la place à un country-rock alerte, vivace, tressautant, dont les lyrics dénoncent la guerre au Vietnam: «You join the army, have you son?, To learn to march and fire a gun»... tout un programme!
“Sorry you were born” est une chansonnette pop-rock, bondissante, sémillante, dotée d’une basse couinant de judicieux poum-poums, d’une guitare picorante, hardie, versatile, d’une batterie véloce et kamikaze.
“Cadillac George” est un hit! un titre funky, gorgé de fuzz, parsemé de répons acumineux, coquins, désopilants: quatre minutes et demie jaspées d’élans acrobatiques et voluptueux où le personnage douteux qu’est Cadillac George parle des caisses minables stationnant dans l’allée de son garage, évoque son cheptel féminin quémandant salaire, célèbre les amis avec qui il bringue toutes les nuits.
“Lonely seabird” est une ballade éthérée et brumeuse, portée par des accords hachurés de guitare — une guitare claire, réverbérée —, un sthénique doublet basse/grosse caisse, de métronomiques mesures de caisse claire et de cymbales. Les voix, houleuses, mais douces, s'enchevêtrent délicieusement, portant haut le charme et le mystère d’un texte évoquant la mer et le soleil.
“So much in love” offre une suavité et un aspect médiéval qui ne peuvent qu'enchanter. C’est un titre acoustique où seule une guitare égrène de délicats et courtois accords, où la voix de Frank Davis doublée, puis triplée, exalte à ravir de lancinants regrets: la parfaite correspondance à “La séparation” d’Edvard Munch*. «The treasure we shared, we will share never more, You’ve found another, that you adore, Now my life’s worth nothing, there’s no love for me, I die, I can’t live, this shell I must be, So much love, If I only had it now, So much love, I’ll get it back somehow»
*
www.munch.museum.no/images/M0024.jpg
“Make love” est une nouvelle contribution au pop-rock, une aria "british” au tempo enlevé, presque frénétique, ripée de nerveux moulinets de guitare, lantée d’une basse et d’une batterie trépidantes: un hymne à l’amour, galvanisant, épicurien — «She loves you, she needs you, Don’t turn you away, Caress her, possess her, Make love every day»
Face B, moins convaincante! trois bons titres sur six.
“That's good” est une merveille. Un son percutant de guitare sèche, un tempo heurté, obsédant, hypnotique avec une batterie à contre-temps, un orgue monocorde et longiligne, des paroles mathématiquement scandées évoquant la nature, la joie de vivre et l’amour, l’immarcescible amour! Ça dure comme çà près de quatre minutes, puis le rythme s’accélère et la fin se dilue en méandres chamarrées d’où émergent des claquements de mains vaguement andalous, des cris d’animaux sauvages, de joviaux la-la-la.
“I’m not dead” est une brunette sautillante et légère, dotée d’une basse replète vantant le bonheur et les rêves. Le premier des titres “moins bons”.
“She understands” est une ode à la félicité conjugale, aussi guillerette que la précédente, mais plus ravigotante, avec une basse percutante et un désinvolte purement british.
“Come to me” est un air entraînant, hélicoïdal, flirtant avec le style des Who, nous remorquant itou vers la terre d'Albion, mais bien plus inspiré et bien plus enveloppé que les deux précédents avec son orgue filandreux et persévérant, ses irruptions bourdonnantes de fuzz, les prompts emboutissages du batteur.
“You will be there” est une cavatine calme et limpide d’une suave simplicité: arpèges de guitare, voix à l’unisson, basse veloutée, accents feutrées de trompette et sades déclarations sur l’amour éternel.
“Old man” conclue sur une note vivace: riff et rythme galopant comme un yearling. Troisième des titres “moins bons”.
Et après!?... Après Frank Davis se manifeste sous le patronyme de Frank Davis Foundation. Deux simples paraissent sous ce nom, “Time/Sandpiper” et “Grand Candy Young Sweet” (le titre joué par Fever Tree), sur le label Horizon. Ensuite, avec la chanteuse Cassell Webb (ex Children), Mayo Thompson et Rick Barthelme (tous deux ex Red Crayola) il forme l'éphémère Saddlescore. Puis il poursuit ses activités de manière plus solitaire. Peut-être un jour verrons-nous paraître “Metamorphosis”, son album inédit?