
Paix... Tranquillité...
La femme marche dans le jardin où elle rêve...
Dans la fraîcheur où elle rêve...
Dans un jardin rêvé.
«Come away and follow me
On a winding to the sea
Come away and follow me
Unwinding to be free»
— “Call of the river”
«Who walks beneath dripping melancholy branches listening to the rain? Who is there in the rain’s million-needled blurring splash, listening to the grave music of the rain at night, September rain, September rain, so dark and so soft?» (Jack Kerouac, “The town and the city”, 1950, p. 138)
CHIMACUM RAIN... La pluie à Chimacum... «Ils pénètrent en toi, Les silences, je veux dire, Ils sont comme une enveloppe autour de toi / Et défont toutes choses»...
La voix, les mots se faufilent entre les arpèges, se partagent en échos, encerclant des sons cuivrés, longs et brumeux.
Est-ce que les femmes sont magiques?... comme la musique!?... comme les images de la musique?... Sept chansons voltigent de cette façon: en caresse, en paresse, en petits récits lumineux et secrets...
DOLPHIN... «Dauphin, emmène-moi avec toi, Je veux sentir la vitesse et la pulsation du mouvement, De l’éloignement»...
Tout est calme, bleu, vaste et lent. La guitare faseye — misaine sous le vent. La voix s’étarque, s’égrise, rejoint la brise.
«She will stand in the sea with her body like sand
And the dolphins will come kiss the palms of her hand» (Country Joe & The Fish, “Pat’s song”, 1967)
DELICIOUS... «Voilà l’instant qui se ressert, Quand je regarde à travers toi, Et je désirerais être une émotion nue, simple et sûre»...
La vie diffracte le bonheur, s’attarde dans les sillons du présent, et, telles des sauterelles ouvrant leurs ailes de couleurs, deux guitares babillent et cabriolent.
CALL OF THE RIVER... «Viens, sent à ton côté, le long et frais courant, Comme une vie lointaine remémorée»...
Un moment unique, féerique, emporteur, tissé de brumes et de langueurs. Les voix s’évadent, serpentent et caressent. Les tons de la mélodie peignent des mers lointaines et des nuits parfumées.
«Blue River, keep right on rollin’
All along the shore line
Keep us safe from the deep and the dark
Cause we don't want to stray too far» (Eric Andersen, “Blue river”, 1972)
PARALLELOGRAMS... «Paralllllel-o-gram gram, Spiralllll-o-gram gram, Quadrehedral, Tetrahedral, Mono-cyclo-cyber-cilia»...
Des noms scientifiques se muent en arabesques, s’enchevêtrent... Puis, un roulement sec, une cascade de notes cristallines, un friselis de flûte nous propulsent dans un monde étrange et nébuleux, un kaléidoscope de mots — chutant, rebondissant, s’évanouissant —, une aura de mélopées en suspens.
HEY! WHO REALLY CARES?... «Je souhaite être quelqu’un d’autre, Hé! qui s’en soucie?, Hé! Quelqu’un écoute-t-il? Laissez-moi dire ce qui occupait mon esprit»...
Ma chanson préférée! Chanson veloutée, câline, où, aux grappes d’arpèges, virevoltants, biseautés, s’ajoutent une basse placide et feutrée, des ramilles de notes huileuses et fuselées.
MORNING COLORS... «Parfois je me demande, Si je dois le réveiller afin qu’il voit, Toutes ces brillantes petites bulles tomber, Dans les rues luisantes et tranquilles, Parfois je me demande, S’il les a vraiment vues, Parfois je me demande, S’il m’a vraiment vue»...
Légèreté! Clarté! La guitare papillonne, les mots s’ababouinent en petits nuages, les souvenirs, les sentiments, les couleurs ne cessent d’exister. Viennent les doux alizés d’une flûte et d’un saxophone, cette aubade resplendit plus encore.
«C’est si chaud, et si paisible
Le café frais, les oranges...
Bientôt des gâteaux aux amandes
Il dormira jusqu’à ce qu’ils soient cuits»
«Woke up, it was a Chelsea morning, and the first thing that I saw
Was the sun through yellow curtains, and a rainbow on the wall
Blue, red, green and gold to welcome you, crimson crystal beads to beckon» (Joni Mitchell, “Chelsea morning”, 1969)
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Les quatre chansons restantes sont plus toniques; sinon plus orchestrées, toutes sont rehaussées de percussions.
MOON AND CATTAILS... «Accompagne-moi, Revenons vers ces pierres humides, Au goût des feuilles mouillées, Mémoire rafraîchissante des ombres, Accompagne-moi, plus loin que la caverne, Plus loin que le cri, accompagne-moi»...
Nictitantes congas, trilles flexueux de flûte, guitares vrillant leurs
pickings, Linda ululant la fin des diphtongues — «Moons and cattails-ail-ail-ail, Sun and sand stone-one-one-one» — cette cantilène palpite, ondule et s’octroie, de surcroît, des allures orientales, troquant congas contre tablas.
PAPER MOUNTAIN MAN... «Tu vis hors de la ville, Au bout d’une route sale, Après dix poteaux de téléphone, deux arbres, Tu apprécies les dames délicates, Qui ont la peau fine, Tu les caresseras, Mais ne les aimeras pas, Tu as toujours été comme ça»...
Une plainte d’harmonica, une gigue de percussions distinguent cette chanson où viennent parader des roulements de toms basses et les
tac-tac d’une baguette appliquée sur le haut d’une cymbale.
PORCELAIN BAKED CAST IRON WEDDING... «C’est un jour splendide, à la taille haute, Un jour à la saveur blanche, C’est Pavlov qui aboie, Et des plumes et des perles, C’est de la porcelaine, oh! si ennuyée, Et des visages, et des spirales, Des boucles et des bidules, Et des fraîcheurs de fond de cloche, Se pavannant, se parsemant, Et minaudant dans les coutumes»...
Les
lyrics les plus mirifiques et les plus énigmatiques, éparties par une mélodie fraîche et sautillante où poulope même une batterie. C’est un cocktail bonheur-soleil!
SANDY TOES... «Comme le sable est entre mes orteils, Et le vent sur mon visage, Et la pluie, glissant dans mes cheveux, Ainsi ses yeux étaient dans les miens, Et me regardaient»
L’été, la plage, le soleil, à nouveau, comme un baume sur la peau. Une guitare, électrique,
staccato, essaime de fins arpèges, tranquilles, irisées, tandis qu’une basse ample, ronde, profonde, capitonne le tempo.
«I wake her, I hold her
I tell her I love her
And she smiles and says the same
She makes me feel like sunshine when she says my name»(The Association, “We love us”, 1967)
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On peut les laisser filer ces chansons, l’une après l’autre, remettre l’une et laisser filer l’autre, toutes s’ouvrent comme des lys, déhiscentes et “délices”, transitoires et durables, concentriques, instantanées, éternisées... magiques!
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Linda Perhacs est une comète, une apparition. Si elle est musicienne et chanteuse, et poète, elle exerce aussi la profession de dentiste. C’est dans le cabinet d’un spécialiste, à Beverly Hill, où elle travaille, qu’elle rencontre Leonard Rosenman, un compositeur de musique de films. Elle lui confie une cassette de ses chansons, et, dès le lendemain, celui-ci l’appelle au téléphone... Il lui propose d’enregistrer un album... et de le produire!
Je ne vais pas vous raconter l’histoire, Linda le fait elle-même — très précisément et très sincèrement dans les notes qui accompagnent la réédition CD, notes que l’on retrouve sur son site, là:
http://www.lindaperhacs.com/Il s’agit de la seconde réédition, la première date de 2003; on la doit au label The Wild Places, et à Michael Piper qui résume le récit de sa longue quête — trois ans! — pour retrouver Linda, ainsi qu’un exemplaire de l’album original — les responsables de Kapp, le label sur lequel il parut, n’en retrouvant plus la trace! Heureusement, il lui fallut moins de temps pour convaincre Linda de son désir de voir renaître cette œuvre. — Si l’histoire débute comme un conte de fée, elle se termine comme un mauvais feuilleton: le pressage est catastrophique et réduit la douce atmosphère en un zinzin raide et crispant. Il n’y aura pas d’autre pressage, pas de diffusion, pas de promotion, rien!
On imagine la déception, la peine même, de Linda. La reconnaissance espérée, les perspectives échafaudées, le sentiment d’être sur une autre planète: tout cela basculant brusquement, irrémédiablement! De rage, elle détruit l’exemplaire qu’elle possède, et se console en écoutant des copies, plus fidèles, sur bandes magnétiques.
C’est ces bandes, restaurées, qui ont servi à la première réédition. Pour la seconde, chez Sunbeam Records, il semble que les
masters aient été retrouvés: le son est limpide, parfait! Je conseille donc cette dernière: et pour le son, et pour le livret qu’elle propose avec, en plus des commentaires de Linda, une reproduction d’un de ses dessins figurant une vision des “mouvements” de “Parallelograms”. Maintenant, toutes deux contiennent des démos en bonus, dont le très bel inédit “If you were my man”, ainsi qu’une version de “Hey, who really cares” avec un montage sonore en intro; Sunbeam renchérit avec un récit de Linda fait pour la BBC en 2005 et une chanson inédite, “I would rather love”, enregistrée en 1978.