Tiens, si les trolls de service n'avaient pas déjà été occupés à se chamailler sur GG Allin, j'aurais bien tenté de relancer l'éternel débat sur la qualité du Seigneur des Anneaux tel qu'adapté par Peter Jackson. C'est le débat trollesque parfait : les deux camps restent farouchement arc-boutés sur leurs positions et s'envoient les mêmes scuds éculés à la figure (« bouh trahison ! » « nan Tom Bombadil il sert à rien »), sans trop se préoccuper des innocents passants qui auraient la malchance de tomber en plein dans le no-man's land blindé de mines antipersonnelles qui les sépare.
Mon avis à deux balles : quand on adapte un film au cinéma, si on ne suit pas la lettre de l'œuvre, c'est pas très grave, et même recommandable dans la plupart des cas (à moins d'être un cinglé comme Kenneth Brannagh et de tenir absolument à faire son Hamlet intégral en quatre heures, et même ainsi il a bien chamboulé le cadre de l'œuvre). Si on n'en suit pas l'esprit, c'est plus délicat, mais ça peut donner des perles entre les mains d'un réalisateur qui connaît son métier (exemple bateau : Ridley Scott laisse planer l'ambigüité sur l'identité de Deckard dans son Blade Runner, alors que Dick ne se pose même pas la question, c'est un humain et point barre). Jackson a choisi de souvent s'écarter de la lettre du Seigneur des Anneaux, ce qui était très pertinent par endroits (Tom Bombadil évacué, de l'avis même de Tolkien c'était souhaitable) et très peu dans d'autres (« Une diversion ! »). On peut lui reprocher certains de ces choix, mais c'est plutôt subjectif. Ce que je ne lui pardonne pas, personnellement, c'est d'être passé à ce point à côté de l'esprit du livre : l'ennoblissement des humbles, la pitié, le regard sur la mort, l'espérance, tous ces thèmes cruciaux passent presque entièrement à la trappe au profit de concepts purement hollywoodiens beaucoup plus conventionnels et basiques et creux : exemples entre mille, l'humour léger du bouquin est remplacé par du cracrabeurk dès qu'il s'agit des nains (une caricature pure et simple, même le nain du film Donjons & Dragons était plus subtil) ou du stupide à base de catchphrases dès qu'il s'agit des hobbits (Merry et Pippin, les bouffons de service quand il n'y a pas de main à portée de nain) ; la disparition du Nettoyage de la Comté (au profit d'une série de fausses fins ahurissantes de mollesse) ; le traitement général de personnages comme Saruman et Denethor, dont les nuances ont volé par la fenêtre ; j'en passe. Tout ça prouve pour moi que Jackson n'était pas à la hauteur de la tâche qu'il s'est imposée, que ce soit comme connoisseur tolkiéneux (il aurait pu mieux s'entourer) ou comme réalisateur (comme l'a prouvé, du reste, le désastreux King Kong).
Du coup, je regrette vivement que Guillermo del Toro ait dû abandonner le Hobbit, ne serait-ce que parce que cela nous prive d'une autre vision de la Terre du Milieu au cinéma (meilleure ou pire que celle de Jackson, on ne le saura jamais – à mon avis, la barre était déjà basse, mais bref). J'irai quand même voir le Hobbit de Jackson, mais sans grand espoir : les bandes-annonces ne laissent pas vraiment augurer d'un traitement plus nuancé des Nains, notamment. J'espère très sincèrement qu'on aura droit à d'autres adaptations du Seigneur des Anneaux ou du Hobbit dans les décennies à venir.
@Silence : putain, t'as côtoyé EJK ?! Respect !
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