Tu es serieuse, tu avais perdu la langue ? Tu savit plus parler ?
Très sérieuse. Je t’explique…
Dès ma naissance, j’ai navigué entre le français, la seule langue que nous parlions à la maison, et l’allemand, la langue du pays où je vivais. Je suis d’abord allée dans une école française, puis un lycée franco-allemand où les cours se donnaient à 50% dans une langue et à 50% dans l’autre. Puis, à l’âge adulte, je suis allée étudier dans un lycée professionnel allemand. M’exprimer dans ces deux langues m’était donc naturel jusqu’à l’âge de ma majorité puisque je les utilisais quotidiennement.
Mais à 19 ans, et pendant 4 ans, j’ai vécu dans un environnement allemand à 100 %. Il n’y avait absolument aucune personne avec laquelle il m’était possible de parler en français. Alors il s’est opéré un phénomène qui doit être naturel, et qui se produit par étapes. À force de m’exprimer uniquement en allemand, j’en suis venue, progressivement mais rapidement, à penser et à rêver dans les deux langues. Puis, petit à petit, l’allemand a pris le dessus sur le français, et je me suis surprise à ne plus penser et rêver qu’en allemand.
Après peut-être trois ans de ce régime-là, j’ai rencontré un Français dans le village où je vivais. Tout heureux de savoir que nous avions la même nationalité, il m’a instinctivement parlé dans notre langue commune. Ce fut un choc pour moi. Je comprenais ce qu’il me disait, mais j’étais tant rouillée que j’étais incapable de lui répondre ! Je cherchais mes mots. Je les pensais d’abord en allemand, puis tentais de les traduire mentalement en français. Le résultat était catastrophique. Pire encore… Les quelques mots que j’ai réussi à sortir, je les ai dits avec un accent allemand, comme l’aurait fait une gamine germanique qui venait d’avoir quelques cours de français. Cet homme a compris mon malaise, et nous avons continué notre conversation en allemand…
Quand je suis allée vivre en France, j’ai réappris progressivement. Quelques semaines après mon installation à Strasbourg, dans un bureau de tabac, la vendeuse m’a dit en souriant : « Vous vous débrouillez plutôt pas mal pour une Allemande. » Au fil du temps, le français redevenant la langue dans laquelle je m’exprimais principalement, il a repris entièrement possession de mes pensées et de mes rêves. Et j’ai perdu mon accent germanique au bout de quelques mois. Depuis, pour les Québécois, j’ai un accent de maudite Française.
Mais j’ai retenu les enseignements de cette aventure. Je veille à ne pas perdre mon allemand, auquel je tiens beaucoup. Puisque je ne connais pas d’Allemands avec lesquels je peux parler à Montréal, j’écoute beaucoup de musique allemande, je lis dans cette langue, l’écris autant que possible. Et je regarde beaucoup de films allemands dans leur langue originale. Je conserve le lien qui nous unit. Voilà. Peut-être est-ce la raison pour laquelle je suis particulièrement attachée à ma langue maternelle, que je la respecte, l’écoute.