«What counsel has the hooded moon
Put in thy heart, my shyly sweet,
Of Love in ancient plenilune,
Glory and stars beneath his feet
A sage that is but kith and kin
With the comedian Capuchin?
Believe me rather that am wise
In disregard of the divine,
A glory kindles in those eyes
Trembles to starlight. Mine, O Mine!
No more be tears in moon or mist
For thee, sweet sentimentalist.»
— James Joyce, “Chamber’s music” (1907)
“Welcome to the Circus” (octobre 2007)
Ah! cette pochette. L’allure crâne et sinistre du Monsieur Loyal perché sur son ictérin satellite, son regard satanique, son sourire hargneux et grinçant, l’ocre terne, malsaine, venimeuse des couleurs!
The Hooded Moon est un groupe belge — plus exactement de Liège, cité wallonne, «fille de l’Eglise romaine» — formé en 2001. Ses membres sont Gazzo (batterie), Will (basse et chant), Majnûn (guitare). D’abord adeptes d’un brassage rock/pop/psyché, ils s’engagent sur les sentiers d’un rock plus progressif, puis bifurquent vers le hard rock sans toutefois se départir de leurs premières influences. Grands amateurs de combos en marge de l’Histoire, tels ces fœtus bizarres conservés dans les musées d’anatomie — Analogy, Velvet Illusion, Vampires' Sound Incorporation, Druid Chase, Andromeda, pour n’en citer que quelques-uns —, ils remorquent aussi un tarzanesque héritage, celui de Cream, Deep Purple, Led Zeppelin, Black Sabbath, versant primal; celui d’Hendrix, John McLaughin, Zappa, Pink Floyd, Gong, versant tarabiscoté: autant d’idoles invétérées qu’ils s’efforcent d’égaler. Signalons maintenant les polarités avec leurs contemporains Mars Volta, The Raconteurs ou Audio Slave et l’on aura une idée de leur appétence et de leur savoir-faire.
Après un E.P pugnace et combatif en 2006, ils livrent-là un album sanguin, plantureux, sillonné de riffs jaculatoires, incantatoires, galvanisants: une œuvre lardée d’ambiances sépulcrales et poisseuses où transparaît la voracité du piranha et l’obstination du buffle. Leurs textes — en majeure partie composés par Will — dépeignent un univers oscillant entre le cauchemar et la dérision, foisonnant de monstres, de vampires, de zombies, de sorcières, de gourgandines, de cafards, d’araignées, de super-héros, de cataclysmes, de gourous, de références orientales, musicales, cinématographiques, psychédéliques, mythologiques. Si l’on est catapulté par une ivresse barbare, l’on est aussi charmé par la voix de Will (baryton léger) — son timbre satiné, son anglais conforme où subsiste la “linéarité” du français —, charmé-ensorcelé par les trilles acrobatiques de Majnûn, charmé-exalté par la frappe hardie et conquérante de Gazzo.
Détails:
“Erase, erase you!”. Un riff de guitare haché et pesant, un orgue émettant une plainte sibilante et tragique, une batterie catabalistique soulignée par un froissement de cymbales: l’on prend immédiatement conscience de leur force, de leur poigne, de leur goût aussi pour l’anormal. «She’s going to erase you, she’s going to erase you», clame Will. Elle — phobie ô combien masculine! —, est une éternelle castratrice, une Circé moderne qui se plaît à gommer la personnalité de ses compagnons, en fait d’insignifiants “moutons”. Majnûn livre ses deux premiers soli: l’un court, sec, nerveux, saccadé; l’autre fluide, ardent, spitant comme la crête d’une vague insatiable.
“Welcome to the Circus”. Un bon riff à la Led Zeppelin, un riff qui se condense et se déhanche en un turbulent meneo, un riff-bulldozer, dansant, irrésistible! C’est, l’on s’en douterait, un hommage au cirque. Non pas celui, glorieux, pimpant, des grands chapiteaux, mais celui, miteux, sordide, des petites caravanes, un cirque à la Ted Browning où s’exhibent avaleurs de sabres, femmes à barbe, piètres magiciens, monstres aussi: isadelphes, janiceps, notomèles, rebuts du genre humain. Will — quand il ne tastigote pas comme un mongolien — scande en hurlant «Welcome to the circus!», tandis que Majnûn arrache à sa guitare des glyphes épileptiques et hendrixiens.
“Mother fucker”. «Hey, mother fucker!» brame Will «Hey, mother fucker!» répètent Gazzo et Majnûn, puis un riff raboteux, primitif, scrupuleusement étayé par la basse et la batterie pète comme le bouchon d’une bouteille de champagne, ou plutot de l’une de ces bières liquoreuses dont les belges ont le secret. En dépit de cet intitulé que l’on peut qualifier d’ordurier, les paroles sont délectables et traduisent des visions énigmatiques axées sur la musique: «Green painted feet beat the time, And left mantra in my mind».
“Dance the garba” est un hommage à Martin Raphael, alias Ramases, allumé talentueux qui, à la fin des 60’s, se disait être la réincarnation de Ramsès II; un hommage aussi aux nombreux gourous, gentils mais un peu roublards, qui foisonnaient à l’époque. Le garba est une danse sacrée indienne qui se danse autour d’une statue d’Amba, mère de l’Univers. «You know, I touched the moon, You know, my mind is wide open, You know, you’ll never be alone, You know, hate will disappear»: les paroles ont trait à cette spiritualité propre à la génération du flower power. La lune symbolise la connaissance et le renouvellement, les formules «you’ll never be alone», «hate will disappear» résonnent comme l’espoir d’une imminente transformation: vision d’une société différente et fraternelle, appel d’une paix souveraine et propice. Mais que l’on ne s’attendent pas à ouïr des couinements de sitar, le gazouillis d’une flûte, le grillotis d’un tambourin, que nenni! Après une charge martiale de batterie, débaroule un riff grunge, rugueux, vengeur, crénelé de «uh! uh!» zoologiques. Il y a, en fait, une insolente dichotomie entre la mélodie, abrasive et tonitruante, et ces paroles béates, une ironie qui se veut féroce, mais que l’on ressent aussi comme de l’ironie car la hargne, la violence affichées sont jouissives, elles répondent au credo agressif, teigneux du hard rock — ce grand méchant hard rock qui aime à faire peur, mais qui aime avant tout parader. Et la guitare parade, éclate en vrilles incandescentes, térébrantes, dévastatrices!
“The Saviour” offre une douceur presque pastorale comparé à la fureur des titres précédents. L’orgue réapparait et vaporise des notes grêles et légères, la guitare distille des sons argentins, la voix de Will s’auréole d’échos nébuleux; seul le tempo demeure vif, saillant, et Gazzo l’équarit digilemment. Les paroles brossent un tableau futuriste dans la meilleure tradition des films-catastrophes: «Through the ice, In a winter of nightmare, A young man is going across the snow, His heart is staying in the city where he lived, But everyone knows he’s our saviour».
“Hero”. Un gros riff encore, épais, bitumeux, solidifié par la basse, busqué par la batterie, un riff qui se comprime, s’égagropile, devient pulsatile et venimeux. L’ambiance est pesante, suffocante, irritante, ronceuse, en parfaite symbiose avec l’affreux cauchemar que narre les paroles: «I was the hero of my dreams, I walk and work for me, I’m up in my behalf, I’m in my bed but roaches arrive, They invade my room, Spiders are there too».
“B Star” est une chanson dédiée aux actrices de séries B: à Linnea Quigley (alias “Scream Queen”), qui s’est illustrée dans des productions aux titres aussi prometteurs que “Hollywood Chainsaw Hookers” ou improbables comme “Sorority Babes in the Slimeball Bowl-O-Rama”; à Allessandra Delli Colli (alias Sporcana), blonde scuplturale à la mine boudeuse, ex-favorite de Max Pécas, qui doit sa renommée à des films italiens comme “La Regina dei cannibali” (“La Terreur des zombies”) ou “Lo Squartatore di New York” (“L’éventreur de New York)”. Après une intro lugubre — basse lourde, funèbre, psalmodie pâteuse, («Brains, more brains»), notes d’orgue aigres, vibratiles, frétillement de crotale —, le titre débarque en fanfare, centrifuge, cogneur, symétrique aux exclamations de Will: «Hey, are you a vampire? Hey, are you a B Star?». Puis le riff change, se fait bourru, hutin, pilonnesque, Will hurle «Come on !» et lâche: «I saw you through a nightmare screen, When the night was dark and green, Suddenly, you broke my gloomy spleen, On TV, they said you’re a scream queen». On se demande pourquoi la nuit est verte, mais qu’importe! Will nous octroie un petit solo de basse intrépide avant de reprendre le chorus, Majnûn, très en forme, nous assène une rafale de notes limailleuses vavacrant comme de petits geckos, puis Gazzo nous gratifie d’un hachis de congas très latino!
“Something in my words”. L’intro, ardente, fougueuse, porte haut les couleurs hendrixiennes, brandit comme une Excalibur le riff de “Purple haze”. Puis le hard rock reprend ses droits, hard rock gladiateur, désulteur, enfourchant riff sur riff, se plaisant à réfracter les accords sacrés de “You really got me”. L’orgue fait une sobre apparition et séme quelques notes carillonnantes. Les paroles évoquent la difficulté de donner un sens aux paroles: «There must be something in my words! Some of my tunes are like some of my words, I don't care».
“Edward the Zero“: «[...] specially for you tonight, and now, Edward!» bonimente Will sur une intro fugurante au riff flagellant, aux heurts patauds de grosse caisse, avant que la charleston, métronomique, ne cisaille le tempo. Une chanson plus pop que les autres, franchement roborative, dont les paroles content l’histoire d’un homme qui se prend pour un super-héros! Majnûn y exécute un petit solo progressiste du meilleur aloi, soutenu par la basse grimpante-descendante de Will et les chuinteuses et oscillantes patoches de Gazzo.
“Psyche 1”. Un riff black-sabbathien, genre “War pigs”, lourd, gluant et fatidique, un reverse speech qui semble un clin d’œil à “L’exorciste”, des sons de cloches “gore” et funèbres, des roulements de batterie péplumesques et baroudeurs: ça sonne comme le générique d’une série-télé, on sent “les redoutables forces du Mal” — trôlée de faces blêmes, hirsutes et sardoniques — prêtes à vous assaillir. Les paroles, évidemment flippantes, dressent l’inventaire des décennies du siècle dernier, chacune se voyant qualifier ou cerner de termes emblématiques: «Thrifty fifty» pour les années cinquante, «love and peace» pour les sixties; le leitmotiv est la guerre, dont on attend toujours la fin. Le break est carnassier: Will hurle «It’s time to psych out!» et Majnûn libère un solo de wah-wah torsadé, spumeux et vertigineux.
“Let the Purple Shine”. Certainement une référence à Deep Purple! D’autant plus que ce titre, ardent, célérifère, rappelle furieusement “Speed King”. A part quelques «Piolilolééé» indéfinissables et un «Shout!» péremptoire, les paroles se limitent à ce distique: «Nobody knows where you are, Nobody knows but you are!» — peut-être une autre référence? à Pink Floyd cette fois: «Nobody knows where you are, how near or how far. Shine On You Crazy Diamond»! Les soli — il y en a deux — de Majnûn sont véloces et décapants.
“Doctor Pete / Erax Mix” présente deux personnages: Doctor Pete, dealer fourguant une drogue de synthèse à la sortie des clubs, Erax Mix, harmoniciste schizophrène. C’est le titre le plus ambitieux et le plus fluctuant. Un début paisible, aux suavités californiennes, aux giries psychédéliques: les baguettes rebondissent sur le haut des cymbales, l’on entend froufrouter une guitare acoustique, roucouler une guitare électrique... «Darker street, Where we meet, Doctor Pete, Feel the heat!», là le heavy pointe sa hure vultueuse et souffle un vent hargneux: «But, it’s like a dream, This hope gleams, For a fly supreme, So extreme» énonce Will. Reviennent la quiétude, l’indolence, bientôt troublées par des riffs tapageurs, des incantations bredouillées, facétieuses, des chantonnements évaltonnés que Will prononce sur un ton de fausset, puis jaillit LE solo de guitare, héroïque, taurin, cyclonique: «Yeah! It’s like a dream, So extreme » éructe de nouveau Will. Alors, s’amène un riff-boléro, molosse, bulbeux, sentencieux, qui après avoir grognonné, décroît, semble s’effumer, mais commute en une mélodie câline et feutrée. Ainsi commence la seconde partie, la plus exaltante, la plus acrobatique aussi... Intronisée par un duo basse/cymbale, la guitare électrique rapplique, serpentine mais corrosive; le riff accélère, Gazzo baratte le tempo, Majnûn féconde des entrelacs hélicoïdaux, anabatiques, précipités, puis des chœurs s’élèvent, solidaires, paroissiens, soutenant Will qui chante avec ferveur: «Do do do do you really think so, Do do do do you really think so, Follow my shadow, Walk out myth, Come back with me», et le morceau s’interrompt brusquement.
Will
Gazzo
Majnûn
Le site:
http://www.hoodedmoon.be
Ma chanson préférée! “Psyche one”
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