Piratage : le Parlement européen en désaccord avec la France
Alain Brunet
La Presse
Rendu public à Paris en novembre 2007, le rapport Denis Olivennes est le prélude à une nouvelle loi contre le piratage, qui devrait être étudiée très bientôt au gouvernement français. D'aucuns voient dans ce projet de loi la possibilité de réduire considérablement le piratage des fichiers audiovisuels. Or le Parlement européen vient d'exprimer de sérieuses réserves à ce sujet, et pourrait même insuffler une autre tendance même si sa recommandation n'a pas force de loi sur les pays de l'Union européenne.
Et voilà que le débat sur la neutralité des réseaux bat son plein en Europe.
Rappelons que ce rapport Olivennes, soutenu par le président de la République Nicolas Sarkozy, prévoit une répression progressive contre les internautes jugés déviants, jusqu'à la suspension de l'abonnement internet, avec le concert des fournisseurs d'accès qui auraient l'autorisation de filtrer le trafic des contenus illégalement échangés sur la Toile. Quant aux pirates professionnels, il risquent de fortes amendes et même des peines de prison s'ils sont jugés coupables.
Par une faible majorité (314 voix contre 297), les élus du Parlement européen ont adopté un amendement s'inscrivant en faux contre l'esprit des mesures de répression telles que préconisées par le rapport Olivennes. Plus précisément,
l'amendement du Parlement appelle «à éviter l'adoption de mesures allant à l'encontre des droits de l'Homme, des droits civiques et des principes de proportionnalité, d'efficacité et d'effet dissuasif, telles que l'interruption de l'accès à Internet», pouvait-on lire vendredi sur le site du magazine en ligne Clubic.com.
«
Il faut lutter contre la fraude et le non-respect des droits d'auteur, mais quand il s'agit d'interdire l'accès à l'internet, je pense qu'on va trop loin», a estimé l'eurodéputé conservateur suédois Christofer Fjellner, cité par AFP. Fjellner a d'ailleurs déposé cet amendement, de concert avec le député socialiste français Michel Rocard.
Selon le député socialiste français Guy Bono, auteur du rapport ayant conduit à cette résolution du Parlement européen, «
il ne faut pas se tromper d'objectif: ce ne sont pas les 13 % d'Européens qui téléchargent illégalement qui menacent notre culture». Selon lui la menace réside plutôt dans la concentration extrême dans l'industrie de la musique, puisque 95 % du marché européen est contrôlé par quatre multinationales: EMI, Sony-BMG, Universal et Warner.
«Ce vote démontre que le dispositif de riposte graduée que Nicolas Sarkozy souhaite voir adopter en France rapidement, pour qu'il soit étendu au niveau européen pendant la présidence française de l'UE, est considéré comme
contraire aux droits fondamentaux par une majorité de députés européens», pouvait-on lire sur le site engagé du collectif La quadrature du net, qui s'est considérablement impliqué dans ce débat avant que le Parlement européen ne s'en saisisse (
www.laquadrature.net/).
Le Parlement européen, nous apprend aussi AFP, considère aussi important de «garantir une rémunération juste et appropriée pour les créateurs», et de «responsabiliser tous les acteurs, y compris les consommateurs».
«Sur ce sujet, je m'oppose fermement à
la position de certains États membres, dont les mesures répressives sont des mesures dictées par des industries qui n'ont pas été capables de changer leur modèle économique face aux nécessités imposées par la société de l'information. La coupure d'un accès internet est une mesure disproportionnée au regard des objectifs. C'est une sanction aux effets puissants, qui pourrait avoir des répercussions graves dans une société où l'accès à l'internet est un droit impératif pour l'inclusion sociale», a souligné en outre Guy Bono, cité par La quadrature du Net.
On voit donc que les notions de filtrage et de contrôle des contenus sur l'internet sont loin de faire l'unanimité en Europe comme en Amérique du Nord. Même si la France de Sarkozy s'apprête à tenter un contrôle des contenus protégés par le droit d'auteur, même si le Royaume-Uni envisage une stratégie de même type, rien n'indique que cette tendance sera lourde pour les années à venir.
Plusieurs pays de l'Union européenne préféreront sûrement attendre les résultats de la loi française à venir avant d'emboîter le pas. Car ce sont des résultats qu'on attend de cette loi. On ne peut qu'être d'accord avec une juste rémunération des créateurs à l'ère numérique, mais il est permis de douter d'une riposte graduée sur l'internet, qui risque fort de ne coincer qu'une infime minorité d'utilisateurs de P2P illégaux et, conséquemment, de ne pas créer l'effet dissuasif escompté par le rapport Olivennes.
Ce sujet sera d'ailleurs chaudement discuté cette semaine aux Rencontres québécoises de l'industrie de la musique, mercredi et jeudi. Plusieurs professionnels français seront à Montréal pour en débattre avec leurs collègues québécois. Inutile d'ajouter que La Presse y sera.