Voilà , je poste ici le début d'un roman autobiographique que je suis en train d'écrire. N'hésitez pas à me donner des avis, des conseils, des corrections...Je suis à l'écoute! Je mettrai la suite si ça vous plait.
32-20 BluesJe connaissais Clarence depuis six mois quand je suis rentré chez lui pour la première fois. Il vivait avec son père dans une petite maison sur Aberdeen Street, à une petite flopée de rues de chez moi.
Ce jour là, on avait trainé une bonne partie de l’après midi au Summerfield Park et Clarence m’avait invité à gouter sa tambouille. J’avais accepté et j’entrais donc dans une petite bicoque à la décoration caribéenne de rigueur dans une famille de jamaïcains. Son père rentra une heure plus tard et nous trouva dans la cuisine.
Lewis Christie était un grand bonhomme à l’allure débonnaire, une moustache blanche barrait son visage et trahissait de par sa couleur l’âge qu’il devait avoir.
Il s’est amené près de moi et m’a tendu la main, jamais vu une paluche de cette taille, il me souhaita la bienvenue chez lui, et partit s’assoir au salon, dans son rockin’chair.
Il était ouvrier pour BSA Guns, et toute la sainte journée, il soudait et assemblait des fusils
Il disait toujours qu’en tant que jamaïcain, c’était mieux d’avoir une arme en main que d’être à l’autre bout du canon.
Clarence nous prépara un Brown chicken, sa spécialité qu’il disait.
Le repas terminé, Lewis se leva de table et mis en route son vieux phonographe. Après une série de petits craquements dus au diamant sur le vinyle, le son assez strident d’une guitare lointaine se fit entendre.
Un rythme strict, régulier et bizarrement chaloupé. La voix d’un homme vint l’accompagner, avec dans son timbre une plainte clairement assumée. La voix d’un type qui te raconte ses problèmes en les prenant à bras le corps, expulsant sa rage en les chantant .C’était Robert Johnson
Le vieux Lewis commença à opiner du chef à chaque coup sur la guitare, il écoutait avec délectation cette musique qui semblait le posséder.
Il ferma les yeux quelques secondes et sourit béatement. La chanson se termina, il éteignit son tourne-disque.
J’avais jamais entendu un truc pareil, le rythme me resta en tête encore quelques instants. En vérité, il ne m’a jamais vraiment quitté.
Puis s’en suivit un récit de la vie de ce bluesman du Mississippi, qui d’après la légende aurait pactisé avec le diable, qui en échange de son âme, lui aurait permis de devenir un virtuose de la six cordes.
Cette histoire s’encra si fort en moi que quelques années plus tard, j’aurai à mon tour l’impression de conclure un drôle de marché.
Ce soir là, en rentrant chez moi, je me suis rué sur le phonographe et la collection de disques de mes parents. À mon grand désespoir il n’y avait rien de comparable à ce que possédait Lewis mais je dois dire que ces vinyles m’ont permis de me forger une oreille correcte. Mes parents étaient plutôt branchés country : Willie Nelson, Chet Atkins ou The Everly Brothers.
Tous les soirs de cet automne 1960, je suis retourné écouter le blues du vieux Lewis et un jour il me raconta sa vie, Il avait foutu le camp de son île en septembre 1936 quand elle était encore une colonie de l’Empire. Bien décidé à se faire une place, il avait embarqué dans un radeau de fortune direction la Caroline du Nord.il avait 26 ans. Arrivé là bas, il ne trouva rien d’intéressant, le spectre du krach boursier de 1929 était encore trop présent pour faire marcher l’économie locale. Il travailla dans une ferme en cumulant les emplois d’ouvrier agricole et de gardien. Le fermier était content de lui et le payait correctement. Bref, sept mois plus tard il avait assez d’argent pour se payer une voiture et il taillait la route en ligne droite vers le grand ouest, là où du travail l’attendait. Il posa ses bagages à San Francisco et il aida à la fin du chantier du Golden Gate.
Et comme il paraissait en veine, le destin décida de mettre sur sa route la belle Martha. Une jeune cuisinière originaire de la Barbade. Ils se marièrent et s’installèrent peu après dans une petite maison sur Mission Street dans le quartier Excelsior. Clarence y est né, la même année que moi, en 1943.
Malheureusement l’accouchement fut difficile et Lewis échangea une femme contre un fils.
Il continua de suivre le chemin de sa vie qui le mena en ici, en Angleterre. En ces temps de guerre, il ne lui fut pas difficile de trouver un emploi alors que la production de fusils battait son plein.