Pour connaitre un peut le si touchantCalvin
Calvin Russel " J’ai été sauvé par la musique " Ancien détenu reconverti dans le rock-country, Calvin Russel vient de sortir Sam, un album en hommage à son compagnon de cellule. Le cow-boy texan est sur la route durant tout l’été. Histoire d’un bourlingueur à qui la vie n’a pas fait de cadeau. Dire que Calvin Russel n’a que cinquante et un ans ! À voir les sillons qui creusent son visage buriné, on lui donnerait dix ans de plus. Sans doute, est-ce la marque du temps passé à l’ombre des geôles texanes et mexicaines. Ex-looser hors la loi reconverti dans le rock-country, il a su devenir, en quelques années, un rocker respecté du public français. En témoigne, son actuelle série de concerts dont le coup d’envoi eut lieu récemment au théâtre l’Européen, à l’occasion de la sortie de Sam, son nouvel album. Ce soir-là, le chanteur avait des rêves couleur arc-en-ciel (Somewhere Over the Rainbow), offrant le meilleur de sa guitare acoustique, assis sur le bord d’une chaise en bois. Jean usagé et santiags, il a avalé son whisky cul sec, seul sur scène, simplement accompagné de sa fidèle six cordes. Une formule intimiste qui lui permet aujourd’hui de mettre en valeur le rugueux de son rythm’n’blues. Rencontre avec un musicien en marge du monde.
Qui était Sam ? C’était mon compagnon de cellule. Il avait soixante-douze ans, cela faisait trente-deux ans qu’il était en prison. Ce n’était pourtant pas un grand criminel, seulement, au Texas, lorsque l’on a commis sept petits délits (chèques non provisionnés, etc.), la dernière condamnation, elle, est à vie.
Pourquoi avez-vous fait de la prison, et pensez-vous que votre séjour a changé votre personnalité ? Une expérience comme la prison ne peut que modeler et faire changer les gens. Pour ma part, c’est arrivé à cause de la drogue, à l’époque où la société américaine faisait l’expérience de toutes les substances possibles et imaginables. Un soir, alors que je voulais avoir ma dose, j’ai fracassé la vitrine d’un drugstore, j’avais dix-neuf ans, un passé de petite délinquance, j’ai pris trois ans. Mon deuxième séjour en prison, c’est pour avoir pris de la marijuana, et le troisième, au Mexique, parce que j’essayais de faire passer de la marijuana à la frontière par le Rio Grande. Depuis, mon regard sur le monde a changé, je l’accepte davantage, même si je n’aime pas dire ça.
Vous êtes moins rebelle ? La révolte est toujours là. Je me dis que je n’ai pas gagné contre le monde. Peut-être que d’autres y arriveront.
Sur le tatouage de votre avant-bras, on lit : " Fais ce que tu voudras. " Est-ce votre devise ? Absolument. Je pense qu’il faut avoir une attitude positive, le temps de notre passage sur terre, qui nous guide un peu, mais en même temps, nous devons faire ce que nous voulons.
Vous êtes originaire du Texas, peut-on dire qu’il y a un son spécifique à cet État ? Le son particulier du Texas tient plus à ses individualités qu’à une façon spéciale de jouer. Ainsi, Buddy Holly, on ne peut pas dire qu’il avait un son typiquement texan, par contre sa personnalité, à part, a véritablement marqué son époque. Le meilleur exemple actuel de rock texan ce serait ZZ Top, mais le son du groupe a été emprunté à la Californie où se pratique une musique similaire, ils l’ont rapportée au Texas, et maintenant c’est la signature du bon vieux rock texan.
Comment expliquez-vous l’engouement du public français pour le country-blues, un genre finalement assez éloigné de la culture des Européens. Je ne pense pas que le blues et la country soient si éloignés de la culture française dans la mesure où nous, Américains, nous avons aussi nos traditions de folk-singers, des sortes de troubadours allant de cour en cour et qui racontaient des histoires d’amour. Moi, à ma façon, je continue de raconter des histoires.
À écouter votre musique, on songe à l’errance, aux grands espaces américains que Jack Kerouac a su décrire. Vous sentez-vous proche de celui qu’on a appelé le " chef de file de la beat génération " ? Je me reconnais complètement dans cette génération. Un peu comme lorsque je me suis mis à fumer, je l’ai fait par identification à des acteurs, tel James Dean. Je fume parce que je me suis forgé une idée très cool de ce que ça pouvait représenter lorsque j’étais gamin. C’est un peu la même chose avec l’esprit beatnik qui m’a influencé. Encore aujourd’hui, je ne peux pas mettre de vêtements neufs, c’est un style dont je ne saurais me passer.
Aviez-vous l’autorisation de jouer du rock en prison ? Non. Dans le système carcéral texan, c’est impossible de jouer de la guitare. On se lève à 5 heures du matin, on vous met les chaînes pour aller travailler de manière qu’on sache que l’on est là pour purger une peine. En revanche, j’ai eu beaucoup de temps pour écrire en imaginant le son de la musique. Il m’arrive de m’étonner d’avoir réussi à faire des chansons grâce aux souvenirs de ce que j’avais rêvé dans ma cellule.
Diriez-vous que vous avez été sauvé par la musique ? Je n’ose même pas penser ce que je serais devenu sans elle. J’aurais sombré dans la drogue ou l’alcool, c’est sûr. La musique a canalisé mon énergie.
Que pensez-vous du moyen spiritueux pour vivre vite et court ? C’est une tendance qui ne s’applique pas seulement aux musiciens : la vie est tellement dure… Si on pouvait traverser l’existence en ne se posant pas de question, ce serait merveilleux. C’est pour ça que les gens cherchent les moyens d’échapper à cette réalité. Certains vont prendre une bière, d’autres se rouler quelque chose… En fait, je crois que c’est la société dans son ensemble qui va vers un lent suicide en cherchant à s’évader.
Qui vous a initié à la guitare ? Ça a été un hasard. Ma sour qui s’était enfuie à l’âge de seize ans pour pouvoir se marier est revenue, par manque d’argent, à la maison, avec son mari. C’était un type très sympa. Il ne savait pas bien jouer mais il avait une guitare sur laquelle j’ai fait mes premiers accords. Ensuite, je me suis débrouillé avec d’autres musiciens du quartier. Nous nous apprenions des choses mutuellement sans qu’aucun de nous connaisse les bases du solfège.
Un musicien comme Tom Waits fait-il partie de votre Panthéon ? J’irais plus spontanément vers quelqu’un comme John Hiatt. Mais Tom Waits, c’est vraiment un beau compliment. Il a véritablement créé quelque chose. C’est le Jack Kerouac d’aujourd’hui.
Actuellement vous vous produisez en formule acoustique et en solo. Cela change-t-il la manière de jouer ? Il y a une énorme différence. D’une certaine manière, je préfère être seul qu’avec un groupe parce que j’ai une relation plus directe avec les gens. En même temps, c’est vrai qu’il y a une certaine pression. Avec l’expérience, je suis un peu moins inquiet qu’avant, même si je n’ai pas un jeu spectaculaire comme pouvait l’avoir un guitariste comme Jimi Hendrix. Je crois que le public voit qu’il y a du travail, du temps dans mon ouvre. Après tant d’années, c’est un art que je prends au sérieux !
Propos recueillis par Victor Hache
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