Au suivant ! Comme disait le grand Jacques, justement on va bientôt en parler du grand Jacques, mais n’anticipons pas.
Si Triangle a eu, malgré tous ses efforts, une vie assez courte, caractérisée par pas mal de succès avec ses 45 tours et très peu avec ses albums, notre prochain groupe, lui, dure encore aujourd’hui et poursuit tranquillement son chemin. Par bien des aspects, il se situe à l’opposé de Triangle : des 33 et très peu de 45, pas de tubes, une originalité affirmée et maintenue ( du moins dans leur « âge classique »), un noyau dur de musiciens compositeurs à la très forte personnalité, et surtout, un chanteur emblématique, véritable « marque de fabrique » du groupe. Des débuts difficiles, mais rapidement, un énorme succès et une énorme influence, à tel point qu’on peut parler d’eux en tant que fondateurs d’une école où de nombreux groupes français viendront s’inscrire. Aujourd’hui, d’ailleurs, cette influence et les excès propre à leur style les font passer pour les parangons du prog français, aptes à dégouter à jamais n’importe quel punk qui se respecte (et qui pourtant ne respecte rien !).
Bon, vous les avez reconnu (roulements de tambour) : voici donc :
N° 15 ANGE : Le cimetière des arlequins :
(Théâtre de l’absurde ou grand guignol ? )

Ceux qui comme moi ont découvert cet album à sa sortie ont dû eux aussi prendre une sacré claque. Certes, certains ont dû fuir à toutes jambes, d’autres ont dû bien rigoler, moi, je suis resté scotché à la platine, ne sachant si j’aimais, si je détestais, si même cette musique était réelle, tellement elle me semblait inouïe.
Première caractéristique, l’ambiance générale : morbide, macabre, glauque, aujourd’hui peut être dirait on « gothique ». Autre singularité, le son : les orgues, avec ce vibrato très lent, les basses très en avant avec cette profondeur, cette réverb, qui nous feraient presque croire être dans une église. Et puis bien sûr, le chant, halluciné, théâtral au possible, habité par je ne sais quels démons, déclamant des paroles incompréhensibles, tantôt totalement surréalistes, tantôt distillant des images symbolistes, parnassiennes. Bref un vrai poème.
Ça commence d'ailleurs très fort, niveau poésie, par la reprise d’une chanson de Brel, magnifiée tant par l’interprétation (là où Brel jouait ses chansons, Descamps fait une véritable tragédie) que par l’invention des arrangements. L’atmosphère déjà épaisse, s’alourdit encore avec les morceaux suivants, histoires d’apprenti sorcier, d’alchimiste au fin fond des enfers, d’espionne lesbienne, pour culminer dans les abysses du « cimetière des arlequins ». Rarement chanson, puisqu’il s’agit bien d’une chanson, a revêtu des oripeaux aussi étranges. Des mélodies naïves et dérisoires nous entrainent dans un voyage dantesque, entrecoupé de crescendos dramatiques ou fulgurants, brutalement interrompu par une diabolique boite à musique, égrenant ses sonorités cristallines jusqu’à l’ultime limite physique du disque.
Il y a quand même un rayon de soleil dans ces ténèbres, le délicat « La route aux cyprès », inspiré par le tableau de Van Gogh (autre poète halluciné), une jolie ballade acoustique rehaussée de flute.
Contrairement au premier album, qui m’a toujours semblé trop brouillon, qui à mon sens, ne met pas suffisamment en avant les qualités du groupe, en n’en présentent que les côtés caricaturaux, ce deuxième album me parait totalement maitrisé. Les moyens ne sont guère supérieurs, pourtant l’efficacité est au rendez-vous, avec un discours concis et ordonné, équilibré et uniforme dans sa démarche. Aucun morceau ne se détache particulièrement mais aucun n’est faible, ou d’un niveau inférieur aux autres. C’est un album qui s’écoute d’une traite, qui donne une impression de « concept album », ce qu’il n’est pourtant pas. Si on discerne quelques influences notables, (Genesis particulièrement) les compositions ont une originalité et une personnalité remarquables, et n’ont rien à envier aux maîtres anglo-saxons, ce qui permet, à mon avis, de classer cet album parmi les chefs d’œuvre de ce genre qu’il a contribué à créer : le prog.
Levons donc le rideau de ce théâtre d’ombre :
http://www.mediafire.com/?2o73ttf9fqrfsddEt pour terminer, un petit jeu : le célèbre dessin de la pochette a servi pour un autre album, d’un artiste qui n’a rien à voir avec Ange. Sauriez-vous de qui il s’agit ?