Alain Damasio - Les Furtifs
Dystopie politique. 688 pages. Chez La Volte. 2019
Non content de nous emberlificoter le cerveau avec ses mots en pagaille, Damasio ouvre mille portes : des êtres invisibles peuplent-ils notre quotidien ? Le son peut-il prendre matière ? Les vibrations sont-elles à l’origine du vivant ? La voix ne serait-elle pas le pont entre le langage et le corps ?
À ça s’ajoute ses réflexions politiques par le biais du quotidien des personnages : Arrivera-t-il bientôt le temps où LVMH aura acheté Paris qui se nommera alors Paris-LVMH (comme déjà l’Accor Arena aujourd’hui) ?
Aurons-nous tous besoin d’une bague pour fonctionner socialement ? (en même temps, réflexion faite, lui il parle de bague, mais en fait nous on a chacun notre téléphone mobile, ça revient au même).
Est-il possible de reconstruire un monde ouvert où la vie sociale ne serait pas tracée ?
Damasio est un propulseur infatigable de mots et de mots qui bougent. Étourdissants comme les « mantracts » aux textes virtuoses - écrits de bric et de broc (herbes, cailloux, bois flotté, …) sur les plages, les sols, dans les forêts de l’île de Porquerolles où se sont réunis des insurgés - avec leurs accroches imparables comme « hacker vaillant rien d’impossible », « les pig datas », « Madame Cloud » …
Des mots, plein de mots : des mots normaux, des tordus, des inventés ; des mots français, mais aussi des mots anglais, franglais, de l’argot, des mots espagnols. Et aussi des mots qui bougent en eux-mêmes en permutant leurs lettres. Idiosyncrasie. On est parfois à la limite de l’indigestion.
Je ne sais pas ce qu'il prend, mescaline ? Peyotl ? En tout cas, ça carbure.
Et pourtant, ça fonctionne : pas de tournis de lecture (juste un peu de fatigue

), l’histoire se déroule clairement et progresse (relativement) sans souci ; le suspens est maintenu. En fait, on baigne dans une fantaisie sérieuse, où tout est cependant très carré, organisé de manière quasi militaire. Voilà, une fantaisie militaire.
On y trouve aussi de très nombreuses cabrioles stylistiques comme les signes typographiques qui nous indiquent lequel des cinq ou six personnages principaux s’exprime : des sortes de parenthèses truffent l’expression de unetelle ; des successions de points entre les mots pour untel, etc.
Ce qui est marquant aussi, c’est que Damasio, il y a des choses qu’il ne dit même pas car il sait que ses lecteurs déduiront ce qui doit être déduit ou comprendront ce qui doit être compris. Et que même si tout n’est pas compris, ça passe crème quand même.
À part tout ça, l’histoire :
Une petite fille qui a disparu depuis deux ans semble s’être hybridée avec des êtres inconnus ou -disons - mal connus qu’on appelle les Furtifs.
Normalement, personne ne les voit. Mais si jamais quelqu’un arrive à en voir un, le Furtif meurt, ou plutôt se fige en une sorte de céramique pour toujours (ou pas…).
Les parents de la petite + un maître balinais + des militaires d’une section spéciale de l’armée + des mystiques aveugles + un philosophe (que j’ai imaginé avec les traits d’Eden Ahbez soit dit en passant), tous ces gens vont essayer de la retrouver.
Quête pas facile si on se rappelle ce qui arrive lorsqu’un humain voit un Furtif.
Ce bouquin m'a laissée pantoite.