J'aime cet album, un vrai disque pour les amoureux de la musique de Dylan, car évidemment, nous ne sommes pas ici dans l'indispensable ou l'immortel. L'album a été publié sans le consentement de Dylan après son départ de sa maison de disque, qu'il rejoindra deux ans plus tard. Il est composé exclusivement de reprises et d'adaptations. Les interprétations sont relâchées ; sans doute ces chansons servaient-elles à échauffer les musiciens avant de passer à des choses plus sérieuses.
On peut détester cela, mais moi, j'aime cette approche totalement décontractée du répertoire des anciens, car plusieurs chansons de cet album remontent à la nuit des temps. Dylan a toujours été fasciné par ce répertoire, transmis de génération en génération en s'adaptant à chaque époque. Le meilleur exemple ici est Sarah Jane, une chanson mystérieuse datant de la guerre de Sécession, dont les paroles ont été régulièrement modifiées par leurs interprètes. Dylan reprend plus ou moins la version la plus ancienne connue à ce jour ; peut-être l'avait-il apprise d'Odetta, qui l'a enregistrée dans les années 1950. Les folkloristes débattent encore pour savoir si Sarah Jane désigne une femme ou un bateau de guerre sudiste coulé par les Nordistes, les paroles laissant place aux deux interprétations. Pour la petite histoire, Dylan a modifié quelques phrases dans la chanson et en a profité pour la signer. Non pas pour faire croire qu'il en est l'auteur, mais pour protéger son arrangement. Il sait par expérience que dans le monde folk, le vol est presque une façon de vivre. Il le sait, car lui-même a volé plusieurs arrangements à des folkeux sans leur demander l'autorisation, le plus fameux étant celui de House of the Rising Sun, qu'il a dérobé au chanteur Dave Van Ronk, avec qui il était ami et avait l’habitude de jouer.
Ce qui est vraiment beau dans ce disque, c'est qu'il révèle qui est réellement Bob Dylan. On le dit insondable, et pourtant, il avait été parfaitement honnête en intitulant son album de reprises — dont de nombreuses chansons se retrouvent ici dans Dylan 73 — Self Portrait. Ce projet a été critiqué ; on a parlé d'auto-sabotage, ce qui était vrai. On le sait désormais avec certitude, car d'autres inédits de ces sessions ont été édités récemment, et les versions restées dans les tiroirs étaient mille fois plus belles que celles publiées sur Self Portrait.
Si Self Portrait et Dylan 73 sont donc des disques totalement bancals, ils n'en restent pas moins absolument incontournables pour qui veut comprendre l'art de Dylan, ses racines et son intention.