
En attendant la suite de l'immersion dans le disque de Harry Smith, avec l'étude du volume 2 de l'anthologie, j’alimente ce topic avec des nouveautés qui poursuivent l'exploration de la musique folk américaine.
En novembre 2024 est sorti un projet associant Rhiannon Giddens et l'ensemble Silkroad.
Rhiannon Giddens & Silkroad Ensemble – American Railroad
Rhiannon Giddens est, sans aucun doute, l'une des artistes les plus importantes du mouvement folk du XXIᵉ siècle. Brillante musicienne et compositrice, elle consacre une partie de son temps à explorer les marges de la culture folk, mettant en lumière des musiques laissées dans l'ombre par l'anthologie de Harry Smith.
La folk a toujours été une musique identitaire, et aux États-Unis plus encore qu’ailleurs. Définir ce qu’était la musique folk, c’était définir ce qu’était l’Amérique. En ce sens, cet art a toujours été pris très au sérieux par les hommes politiques.
Au départ, lorsque le lien entre le Royaume-Uni et les États-Unis était encore un lien de sang, il semblait évident que seules les vieilles ballades anglaises, transformées par les cultures locales, pouvaient se prévaloir de faire partie de la culture américaine. À la fin du XIXᵉ siècle, les musicologues ont commencé à considérer que la musique des Indiens d'Amérique méritait sa place dans la culture nationale, notamment en raison de la combativité des guerriers qui, par leur sang, avaient prouvé qu’ils faisaient partie de la Grande Amérique. On a alors enregistré leur musique avec les moyens rudimentaires de l’époque, afin d’éviter qu’elle ne disparaisse, avant de forcer l’intégration des populations amérindiennes avec une brutalité inouïe pour un pays promouvant le multiculturalisme.
Pour le blues et la musique noire, il fallut attendre le début du XXᵉ siècle et le travail de la famille Lomax pour que cette musique trouve sa place dans la bibliothèque du Congrès. Beaucoup d’autres musiques sont, en revanche, restées dans l’ombre. On les désignait sous le terme de Race Music, et toute une économie s’était développée autour de ces disques. Au début du XXᵉ siècle, on publiait des airs traditionnels chinois destinés aux émigrés chinois, et il en allait de même pour les Polonais, les Japonais, etc. Si ce marché était économiquement très important, son impact culturel, lui, n’a jamais été véritablement reconnu.
C’est précisément cet oubli que Rhiannon Giddens a décidé de réparer en s’associant à un collectif de musiciens nommé Silkroad, fondé par… un Français ! Un violoncelliste du nom de Yo-Yo Ma, dont les parents ont immigré à New York alors qu’il n’avait pas encore cinq ans. Passionné par la folk music, il a créé un collectif favorisant les échanges artistiques multiculturels et étudiant les flux et reflux des idées. Inspiré à l’origine par les traditions culturelles des anciennes routes commerciales de la soie en Eurasie, le projet englobe aujourd’hui plusieurs programmes artistiques, culturels et éducatifs visant à connecter les peuples et leurs traditions.
Pour mettre en lumière les cultures musicales oubliées des États-Unis, les musiciens se sont appuyés sur l’histoire du chemin de fer, qui a très certainement été la plus grande révolution de l’histoire du pays, permettant de traverser le continent en quelques jours, alors qu’auparavant, cela prenait plusieurs mois. Pour construire ce réseau ferroviaire, des ouvriers du monde entier ont été recrutés, et chacun d’eux a apporté avec lui sa propre musique.
Ce sont ces musiques qui sont présentées dans ce disque, enregistré avec un son exceptionnel. Le résultat est à la fois traditionnel et incroyablement moderne, avec une large place accordée aux musiques d’Asie. Un voyage fascinant qui brouille les frontières physiques et mentales tout en conservant l’identité de chaque culture.