Côté recto c’est Bojan Z et, côté verso, il apparaît avec son véritable patronyme, Bojan Zulfikarpašić, c’est effectivement plus difficile à prononcer. Il y a bien longtemps que le franco-serbe occupe la scène. Autrefois, après qu’il eut fait sa place, il était à l'avant, sous l’éclairage, son talent et peut-être même a-t-il du génie, lui ont permis de devenir un élément incontournable des scènes parisiennes, très recherché et presque démocratisé…
Et puis ça tourne, les modes et les noms, et le voici un peu relégué au fin fond du monde du jazz, mais le talent est toujours là, véritablement éblouissant, il éclabousse même sur cet exercice en solo, absolument extraordinaire, éclatant, il entraîne dans sa course les puristes, les suiveurs de keith Jarrett, tout ceux qui prennent la peine de jeter une oreille…
Il est comme çà Bojan, c’est sa force, comme une évidence, la note qui va, tellement évidente une fois jouée, les rythmes simples, les accélérations au bon endroit et une force mélodique exceptionnelle, il embarque son auditoire, et ça paraît facile, la force de l’évidence…
Et pourtant il est absolument unique, il sait mieux que personne vous embarquer dans son monde, jouer avec vos émotions, vous prendre par la main et vous déposer là où il le souhaite, après vous avoir emmené à BojanLand, qu’il crée pour vous du bout de ses doigts.
Neuf titres dont quelques reprises, l’extraordinaire « The Peacocks » de Jimmy Rowles qu’il place très haut par la qualité de l’interprétation, « Some Place called Where » de Wayne Shorter, « The Greek » de Clare Fisher, « Ecaroh » d’Horace Silver, musicien dont il reprend souvent le répertoire, et enfin « Self Portrait In Three Colors » de Mingus.
Ses propres compos sont également magnifiques, ici c’est l’interprète que l’on entend, au-delà de la compo, il impose sa marque, son style et sa personnalité, c’est du « Bojan ». Par le passé il m’est arrivé assez souvent de l’écouter au travers des albums sur lesquels il a joué, en tant que leader ou encore en sideman, jamais il n’a déçu, fréquentant les plus grands, ceux qui stationnent en haut de l’affiche, il sait à peu près tout faire, « Tel Quel » comme le dit le titre, avec les impros et le premier jet, de quoi faire juste un album majuscule !
C'est donc un double album consacré uniquement au saxophone alto.
Un soir de l'été 1969 se demandant si la vie valait la peine d'être vécue, Anthony Braxton improvisa ces huit compositions qu'il dédia à des amis, c'est aride, désespéré, lyrique, violent, parfois froid mais le plus souvent l'âme déborde.
Comme quoi, Anthony Braxton ce n'est pas qu'une succession de chiffres et de lettres séparés par des tirets...
A1 Dedicated To Multi-Instrumentalist Jack Gell
A2 To Composer John Cage
A3 To Artist Murray De Pillars
A4 To Pianist Cecil Taylor
B1 Dedicated To Ann And Peter Allen
C1 Dedicated To Susan Axelrod
C2 To My Friend Kenny McKenny
D1 Dedicated To Multi-Instrumentalist Leroy Jenkins
To Composer John Cage
To Pianist Cecil Taylor
Anthony Braxton - Dedicated to Multi-Instrumentalist Leroy Jenkins
Oui, et je le recommande, tout comme le Roach/Shepp qui est une petite merveille et qui a été réédité cette année je crois (Force - Sweet Mao - Suid Afrika 76).
Biréli Lagrène – Biréli Lagrène plays Loulou Gasté – (2023)
Bien que Biréli Lagrène s’échappe parfois un peu du jazz manouche, ça ne dure jamais vraiment longtemps et il y revient, en fait, sans cesse. Ici c’est pour un hommage à Louis Gasté, dit « Loulou Gasté », les férus des « people » et les coutumiers des petits potins vous diront que l’épouse de Loulou n’est autre que … Line Renaud !
Et la coquine n’est pas pour rien dans ce projet de résurrection de certains airs parmi les plus populaires de la chanson française, tous signés de son défunt mari qui nous quitta en quatre-vingt-quinze, après nous avoir laissé un fleuron de chansons increvables, comme « Ma Cabane au Canada », « Ces p’tites Choses-là », « Django », « Le soir » et tant d’autres parmi ses mille deux cents chansons.
Mais celle qui fut un véritable succès mondial, interprétée par les plus grands, genre Shirley Bassey, Frank Sinatra ou Elvis Presley, c’est le hit mondial « Pour Toi ». Peut-être que cela ne vous rappelle rien mais c’est tout à fait normal vu qu’il atteignit la gloire sous un autre nom que lui donna un obscur chanteur brésilien: « Feelings ». Il fallut un long procès avant que la paternité de la chanson et des droits qui vont avec, ne revienne à celui qui le composa, le fameux Loulou.
Ce dernier était un excellent guitariste rythmique qui joua avec les Collégiens de Ray Ventura, et qui enregistra même aux côtés de Django Reinhardt, ce qui vaut tous les grands prix de l’académie du jazz, non ? Il ne faut pas oublier « L’âme au Diable » qu’il composa également et dont la version ici me plaît beaucoup.
Birelli joue avec son trio habituel, Hono Winterstein à la guitare rythmique, et le gars ne rigole pas, souvent impressionnant, ainsi que Diego Imbert à la contrebasse qui a sorti l’album « Le Temps Suspendu » dont il a été question un peu plus haut. Sinon il faut également signaler un petit texte de présentation bien sympa écrit par Line Renaud.
Les amateurs de Jazz manouche, de la musique jazz des années quarante et cinquante, des airs populaires anciens se retrouveront autour de ce bel album qui ravive pleins de souvenirs et d’airs anciens qu’il faut veiller à ne pas oublier…
Par ailleurs c’est encore une belle page de jazz signée Biréli Lagrène, un des plus grands guitaristes vivants qui se retrouve aisément dans ces projets, lui qui a cessé de vouloir impressionner uniquement par une technique hors-norme, qu’il a mise au service des chansons et des airs populaires, avec simplicité.
Jazz, rock, électrique, rugueux, dirty et déjà, en cette année 70, on pourrait parler de Supergroupe, bien avant que ce ne soit à la mode: Anthony Williams le protégé un peu insolent de Miles, monstre précoce virtuose de son instrument, Johnny Mclaughlin (oui pas de John encore...) à la guitare lourde et incendiaire, heavy avant l'heure, l'énorme Jack Bruce pour parfaire la fusion. C'est en écoutant un album comme celui-ci que l'on peut comprendre ce qui se cachait véritablement sous ce mot en train de se muter en genre. Et puis Larry Young alias Khalid Yasin, bien sûr, l'ancien, avec son vieil orgue, le coloriste qui fait le lien et agglomère...
Un album qui libère un trop plein d'énergie dans une urgence libératrice, alors PLAY IT VERY VERY LOUD comme indiqué sur la pochette !
Énorme cet album, je le préfère même à Emergency. Quand je pense qu'à la même époque l'on s'extasiait sur la frime de Led Zeppelin !
Led Zep a ses adeptes, mais sur ce coup là je te suivrais bien volontiers !
Oh, j'en fus un moi-même autrefois, mais ça m'a passé. Le rapprochement m'est venu assez naturellement comme à chaque fois que je pense à ce genre de projet où l'on travaillait en profondeur, avec une approche dédiée sinon fervente, et le décalage me saute irrésistiblement aux yeux. La présence ici de Jack Bruce (un musicien dont le parcours m'intéresse énormément mais que je n'apprécie jamais autant qu'en tant que songwriter, et dont les chansons ne me semblent jamais aussi belles qu'interprétées dans le dépouillement piano / voix) peut aussi amener à comparer à Cream, qui délayait son esbroufe sur des morceaux se situant eux aussi à la simple surface, très, très loin de ce qui bouillonne ici.
Énorme cet album, je le préfère même à Emergency. Quand je pense qu'à la même époque l'on s'extasiait sur la frime de Led Zeppelin !
Led Zep a ses adeptes, mais sur ce coup là je te suivrais bien volontiers !
Oh, j'en fus un moi-même autrefois, mais ça m'a passé. Le rapprochement m'est venu assez naturellement comme à chaque fois que je pense à ce genre de projet où l'on travaillait en profondeur, avec une approche dédiée sinon fervente, et le décalage me saute irrésistiblement aux yeux. La présence ici de Jack Bruce (un musicien dont le parcours m'intéresse énormément mais que je n'apprécie jamais autant qu'en tant que songwriter, et dont les chansons ne me semblent jamais aussi belles qu'interprétées dans le dépouillement piano / voix) peut aussi amener à comparer à Cream, qui délayait son esbroufe sur des morceaux se situant eux aussi à la simple surface, très, très loin de ce qui bouillonne ici.
J'ai pas mal évoqué Jack Bruce au travers de la discographie de Carla Bley assez récemment, mais aussi celle de Kip Hanrahan où il apparaît bien souvent !
Ernest Dawkins' New Horizons Ensemble – The Prairie Prophet – (2010)
Je devais vous parler d’une nouveauté, mais l’humeur ne va pas, alors je déterre ce bon vieux Cd d’Ernest Dawkins, de ceux qui passent partout, gorgés de musique, à la fois un pied dans la tradition et un autre dans le pur free, avec des musiciens de tout premier ordre, certes encore jeunes à l’époque, mais devenus depuis des repères, et même des icônes du jazz chicagoan.
Ernest Dawkins est à la tête de l’AACM en cette période, il est en perpétuel recherche d’équilibre, il dose, une fois il déterre et creuse la tradition en la dépoussiérant, et une autre fois il se lance dans des impros d’avant-garde, déjantées et hors normes. C’est pour ça qu’on l’aime, non pas qu’il réconcilie les contraires mais il les réunit et les façonnent jusqu’à tout emmêler, seul le jazz gagne.
Dans la formation c’est la même chose, il est mû par une sorte d’égalitarisme, chacun a droit au solo, avec une sorte d’équité qui fait que chacun s’exprime autant que les autres, il faut dire qu’il y a de la qualité. Deux trompettistes, Marquis Hill dont je vous avais présenté « New Gospel Revisited » de deux mille vingt-deux, et Shaun Johnson qui intervient sur trois titres.
Steve Berry au trombone est fidèle au poste, Jeff Parker que l’on ne présente plus joue forcément de sa guitare, Junius Paul dont je vous avais présenté « Ism » sur « International Anthem » (une bonne reco), joue de la basse et Isaiah Spencer de la batterie et des percussions.
C’est vraiment du bon jazz avec plein de grands moments, l’album est dédié au grand Fred Anderson, un autre habitué de Delmark, il me donne l’impression, à l’oreille, d’être joué en live, pourtant rien n’est indiqué, ou alors je ne trouve pas, mais rien de grave, ça souligne juste la spontanéité et la liberté qui s’entendent, des valeurs de ce jazz qui se préoccupe de l’instant, du moment présent, de la planche que l’on cloue pour créer, ou non, l’édifice.
Parmi les pièces les plus free on trouve « Sketches », « Shades of the Prairie Prophet » est un hommage à Fred Anderson, Il y a également une évocation du Moyen-Orient, « Mesopotamia » et un « Baghdad Boogie » gentiment décalé qui évoque les racines. Mais quel que soit le côté vers lequel on se tourne il se passe ici toujours quelque chose, car l’album est d’une richesse infinie, attisant sans cesse l’intérêt et l’attention de l’amateur de jazz curieux.
C’est pourquoi cet album est celui qu’il vous faut si l’humeur ne va pas, il ne vous plantera pas, il y aura toujours quelques accords de guitare, des accents de basse ou des feulements de trombone qui s’occuperont de vous et de votre lassitude…
Led Zep a ses adeptes, mais sur ce coup là je te suivrais bien volontiers !
Oh, j'en fus un moi-même autrefois, mais ça m'a passé. Le rapprochement m'est venu assez naturellement comme à chaque fois que je pense à ce genre de projet où l'on travaillait en profondeur, avec une approche dédiée sinon fervente, et le décalage me saute irrésistiblement aux yeux. La présence ici de Jack Bruce (un musicien dont le parcours m'intéresse énormément mais que je n'apprécie jamais autant qu'en tant que songwriter, et dont les chansons ne me semblent jamais aussi belles qu'interprétées dans le dépouillement piano / voix) peut aussi amener à comparer à Cream, qui délayait son esbroufe sur des morceaux se situant eux aussi à la simple surface, très, très loin de ce qui bouillonne ici.
J'ai pas mal évoqué Jack Bruce au travers de la discographie de Carla Bley assez récemment, mais aussi celle de Kip Hanrahan où il apparaît bien souvent !
Merci ! Faut que je me mette à jour à ce sujet et je vais justement remonter le fil du topic.
Sun Ra And His "Blue Universe Arkestra – Universe In Blue- (1972)
Sun Ra ! Avec lui tout est souvent mystérieux, sa biographie est pleine de trous savamment organisés, sa famille, sa jeunesse et même son nom et son âge sont des énigmes qu'il a fallu traquer...
Ici le mystère c'est la date et le lieu du concert d'où proviennent les bandes... Peut-être août 71 à New-York d'après les détectives les plus affutés, mais qu'importe, ce qui compte avant tout c'est la musique !
Ici tout est bleu, le titre, la pochette et la musique. Oui, on a droit à du blues, du bien gras, avec Sun Ra à l'orgue, enfin à l'intergalactic space organ, ce qui est un peu différent. Balayons tout de suite la première critique qui saute aux oreilles, le son n'est pas très bon, brut, mal léché, avec un écho caverneux, on est à des lieux de la qualité des disques ECM!
La première plage éponyme est même interrompue au milieu du morceau... Hop! on tourne la bande et ça repart!
Arrêtons-nous sur la bonne nouvelle, c'est que, justement, elle est bien bonne la musique. Du gros orgue, en solo et en accompagnement, une très belle intervention du trompettiste Kwame Hadi hélas tronquée (le temps que l'on retourne la bande...) et une autre de John Gilmore, toujours énorme, qui se gorge de blues et de soul!
Face deux, June Tyson chante, en bleu, et c'est beau. Gros passage de Sun à l'orgue avant d'arriver au troisième morceau où Gilmore met le feu sur un blues up tempo !
Un album bien sympa que les amateurs de blues pourront également apprécier, malgré la pauvreté technique de l'enregistrement.
Universe in Blue (Full Version, Stereo)
When the Black Man Ruled This Land (Stereo)
Sun Ra And His Blue Universe Arkestra - In A Blue Mood
Il y a du beau monde dans le nouveau quartet de Sophie Alour, des musiciens français de renom qui sont tous de premier plan et des références dans l’usage de leurs instruments. Guillaume Latil est au violoncelle, Anne Pacéo à la batterie, aux percussions et aux chœurs, Pierre Perchaud aux guitares est choriste également, Sophie, elle, joue du sax ténor et de la flûte.
Je m’arrête de suite sur les particularités des formats, car l’album vinyle dispose d’un titre en moins, « Vent debout » n’existe en effet que sur la version Cd, en huitième position, cette particularité est difficile à déceler, car elle n’est pas signalée sur les sites de vente, la plupart du temps…
Après deux excellents albums, « Joy » et « Unjoy » la suite était attendue, le temps pour Sophie d’écrire onze compos et de réunir ce nouveau quartet aux fières allures. La réception de l’album est plutôt saluée par la critique française, ce qui est bien mérité car l’album est plutôt chouette, bien que ne s’inscrivant pas forcément dans la suite artistique des deux précédents, la formation étant sérieusement remaniée.
Il est plus recentré vers un certain jazz français un peu abstrait, évanescent, enfin pour quelques titres situés principalement en enfilade en milieu d’album, comme « Musique pour Dames », « Roulotte » ou « Haunted ». Le terrien ou peut-être marin « Vent Debout » met un coup de frein aux introspections en jouant sur les codes du folklore, ce qui nous vaut un très beau titre qui donne envie de guincher en faisant la ronde, dommage pour ceux qui ont opté pour le vinyle…
« Ici et maintenant » qui fut autrefois le nom d’une radio libre qui avait ses adeptes, je l'écoutais alors, est également splendide, la flûte encore qui, tout simplement, réjouit et maintient les sensations du terroir le temps d’une pièce. Retour vers les préoccupations en titre, « Le temps Virtuose » nous promet Sophie, comme sur le titre « Petite Anatomie d’un Présent qui Passe » qui rejoint la préoccupation majeure et le thème de l’album…
La courte et dernière pièce « Le Temps Cannibale » conclue l’affaire sur une note sobre mais grave, avec le violoncelle de Guillaume Latil qui donne le « la ». Mais revenons au premier titre de l’album, plutôt bien placé en termes d’efficacité, « Des Lendemains qui Chantent » est très réussi et ouvre l’appétit, tout comme le suivant, « Musique pour Messieurs » qui pourrait être un sommet ici, si je ne m’abuse, comme disait le bon docteur…
La pièce "Donna Lee" est un standard du jazz longtemps attribué à Charlie Parker, le roi du be-bop, car il la jouait souvent, et il l'avait signé lors du premier enregistrement, probablement une erreur de la maison de disque Savoy.
Lorsque Gil Evans voulut arranger la pièce en vue d'un enregistrement, il demanda l'autorisation à Charlie Parker qui le renvoya vers Miles Davis.
Car en fait, le véritable auteur est Miles Davis qui l'a composée en 1947, c'est l'une de ses premières compos et peut-être même la toute première !
Elle continue sa vie encore aujourd'hui, même si elle a "une drôle de tête" sous les doigts de Jaco Pastorius.