J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Blues traditionnel ou blues blanc, jazz, soul, funk, c'est ici.
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Douglas
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » ven. 30 août 2024 01:50

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Meshell Ndegeocello – No More Water : The Gospel Of James Baldwin – (2024)

Je suis Meshell Ndeegeocello depuis pas mal de temps, et ce, bien avant qu’elle ne devienne partenaire du célèbre label Blue Note. C’est un fait, il y a, depuis la mort des fondateurs du label, toujours eu, aux côtés des musiciens de jazz, un versant plus pop, plus commercial. On ne peut bien entendu reprocher aux dirigeants de vouloir remplir les caisses, d’ailleurs chacun bénéficie des moyens du label ainsi reconstitués, et en profite, quelle que soit sa chapelle.

Meshell pourrait en effet faire partie de cette catégorie-là, celle des musiciens situés hors parcours jazz, ou alors incidemment, mais peut-on dire aujourd’hui qu’un tel clivage, jazz versus non jazz, est pertinent ? La réponse est non, de l’eau a coulé sous les ponts, et le premier album de Meshell sur le mythique label avait été une belle surprise et surtout une magnifique réussite. « The Omnichord Real Book » était un magnifique premier jet qui demandait une prolongation ! Ce second album sur la major est particulièrement soutenu par l’ensemble de la planète jazz, y compris chez nous, par les deux principaux journaux de jazz le glorifient et le mettent à l’avant. Le nom de l’écrivain James Baldwin dans le titre rassemble largement et suffit à en faire un instrument idéologique.

Car qui aujourd’hui pourrait être contre les idéaux d’égalité ou de fraternité ? En tous cas pas ceux qui aiment et apprécient la musique « noire », même s’il reste vrai que les combats ne sont pas terminés et qu’ils doivent être menés. Pour autant cet album est certes militant, mais ne tourne pas forcément spécifiquement autour de Baldwin, enfin me semble-t-il, car il faut bien le dire, je ne maîtrise pas suffisamment la langue pour certifier grand-chose. Pourtant, malgré ma mauvaise volonté évidente pour faire l’effort, une partie reste compréhensible à mes oreilles, presque malgré moi…

C’est un peu le reproche que je ferais à l’album, mais il ne concerne que ma personne, il y a pas mal de « spoken word » et, il faut bien le dire, tout est chanson et texte ici, alors je passe forcément à côté. Mai, pour être juste, il me faut reconnaître que Meshell sait y faire pour me contrer, il y a en effet à la fin de la septième et magnifique pièce « Pride », une partie en français, dite par Caroline Fontanieu, extraite d’un texte de Baldwin, de quoi se plonger dans l’ambiance ici.

Le titre suivant, « Pride II » est également très bon, avec ses guitares qui visent justes, dans le final. La pièce dix, « Trouble » est elle aussi tout à fait remarquable et certainement une des meilleures ici. On pourrait également citer « Love », possiblement tubesque, il y a également « Hatred » que j’aime bien aussi. Pas mal de bons titres qui s'imprègnent au fil des écoutes…

Il faut dire que j’ai pas mal écouté l’album, son seul défaut me répétai-je, c’est de vous plonger dans l’ambiance d’une émission de radio, mais rien d’insupportable, en fait, sauf peut-être les exclamations répétées de « me too », en fin de parcours, qui en rajoutent quand même, mais j’aime bien cet album... et Meshell !

Meshell Ndegeocello - Trouble


Meshell Ndegeocello - Love (Official Video)


Meshell Ndegeocello - Pride I (Lyric Video)


Hatred
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » sam. 31 août 2024 01:54

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Tiger Trio – Unleashed – (2016)

Je vous avais déjà parlé du « Tiger Trio » après l’apparition de l’autre album de cette magnifique réunion, « Map Of Liberation » paru en deux mille dix-neuf, déjà sur « Rogue Art », le label pas comme les autres. Rappelons-nous que ce trio est entièrement féminin, formé de musiciennes extraordinaires, Myra Melford au piano, Joëlle Léandre à la contrebasse et Nicole Mitchell à la flûte, à la flûte alto et au piccolo.

Joëlle Léandre semble un peu la puissance invitante, puisque l’enregistrement se fait à Paris, le vingt -cinq mars, à la Galerie Zürcher, sous la houlette de Jean-Marc Foussat qui fait tourner les bandes. Il est heureux que cet enregistrement eût lieu car la rencontre est féconde, les deux américaines sont remarquables, la pianiste Myra Melford a déjà été évoquée de nombreuses fois, par ici, Nicole Mitchell également et Joëlle Léandre sans doute encore davantage…

Si on regarde un peu dans le miroir, on s’aperçoit que ce sont Joëlle Léandre et Nicole Mitchell qui se sont rencontrées les premières, sur « Before After » en deux mille onze, « Sisters Where » ainsi que « Flowing Flux » en deux mille quatorze. C’est donc une première pour Myra Melford, mais l’avenir sera riche d’autres rencontres encore, mais plus sous la forme de ce trio sous le signe des tigresses, qui en restera, pour l’instant, à deux albums.

L’enregistrement ménage le trio, mais aussi des duos, qui combinent toutes sortes d’options, sur « Heavy hail », par exemple, ce sont uniquement Joëlle et Nicole qui échangent en début de piste, puis Joëlle et Myra qui concluent ensemble. « Thick Fog » est un duo entre les deux américaines et « Freezing » réunit Joëlle et Myra, bref, les formules ne sont pas fixes et varient au fil de la musique.

Voici ce que déclara, non sans humour, Nicole Mitchell : « « Je regarde Myra grimper dans le piano et Joëlle retirer le bois de sa basse, et je me vois me faufiler à travers les trous argentés de la flûte. Nous planons à travers le triangle des femmes, farouchement engagées dans le ravissement du son instrumental. »

Ces improvisatrices de premier ordre nous offrent un très bel album free, où chacune apporte une sensibilité unique, très stimulante et originale dans le cadre de la musique spontanée.

Lightening


Freezing Rain


Dust Storm


Bright Sunshine
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Message par Douglas » dim. 1 sept. 2024 03:04

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Barry Altschul, David Izenson, Perry Robinson – Stop Time (Live At Prince Street, 1978) – (2023)

Cet enregistrement capté en soixante-dix-huit , comme indiqué sur la pochette au « Prince Street », à New York, dans ce qui était autrefois le loft d’Ornette Coleman, est paru en fin d’année dernière sur le label défricheur et un peu vacillant, « Nobusiness Records », basé en Lituanie, comme chacun sait.

Ces enregistrements sont semblables à des rescapés du temps, oubliés, attendant patiemment que le sort, ou peut-être la chance, ou encore la curiosité de quelques-uns, les sauvent de l’oubli. On se dit qu’il était temps et qu’il est heureux qu’un label comme « Nobusiness Records » trouve encore l’énergie de sortir de l’anonymat ce précieux cadeau, car la musique est ici vraiment sensationnelle.

Barry Altschul est un familier du free, pourtant il donne ici à entendre autre chose. Sa souplesse naturelle, son ardent engagement et l’immensité de son bagage sont véritablement mis en valeur lors de ce concert, l’écouter est un régal. L’énergie qu’il déploie à la batterie est un puissant socle qui permet à ses deux compères de s’installer confortablement.

David Izenson, pièce maîtresse du trio d’Ornette Coleman, au « Golden Circle » par exemple, est ici à la fête et la basse fait merveille, cordes frottées ou pincées. Hélas il disparaîtra dans l’année qui suit ce concert, qui sera une sorte de « chant du cygne ». Il y a également le clarinettiste Perry Robinson qui se tient en figure de proue, il aime les racines, la tradition, le bop et autres, mais c’est également un instrumentiste hors pair, ouvert à tout, qui se montre ici un partenaire de choix.

Les quatre pièces qui s’enchaînent n’ont pas de titre, elle se dévoilent ainsi : « Untitled I » ou encore « Untitled IV », anonymes mais passionnantes, elles sont plutôt longues, plus de douze, quatorze ou dix-neuf minutes pour trois d’entre elles. On perçoit la chaleureuse ambiance « club » qui sied si bien au jazz et le tourbillon qui nous enveloppe fait bien son affaire, pulsé par l’infatigable Barry Altchul, qui se dépense sans compter, avec une infinie générosité.

Cet album est également une sorte d’hommage à Perry Robinson, qui décanilla il y a quelques années à l’âge de quatre-vingts ans, le voici au meilleur de sa forme, en pleine possession de son art, inscrivant ses lignes et ses points dans un long flot énergisant, sans rien oublier de ce post-bop alors en vogue dans lequel il inscrit son discours sans rechigner.

Un album aisé d’accès, immensément sympathique rempli de cinquante-trois minutes d’un bon jazz assez mélodique et parfaitement interprété. De quoi passer un moment agréable en tapant gentiment du pied…

Untitled I


Untitled II


Untitled III


Untitled IV
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » lun. 2 sept. 2024 01:26

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John Zorn – Masada Guitars – (2003)

Après avoir composé deux cent huit pièces qui se sont concrétisées dans le premier volume de « Masada Songbook », formé de dix volumes, John Zorn célèbre l’anniversaire des dix ans de « Masada » en sortant quelques albums mettant en scène ses interprètes fétiches.

« Guitars » est donc consacré à trois des guitaristes qui se sont illustrés à ses côtés. L’album est donc voué à des interprétations en solo, confiées à Bill Frisell, Marc Ribot ou Tim Sparks. Vingt et une pièces sont donc couchées sur ce Cd, mais l’album n’est pas partagé en trois parties, car les interprétations ne suivent pas d’ordre particuliers, sinon celui d’alterner les solistes. Seul Marc Ribot enchaîne deux titres d’affilée, par deux fois.

Tim Sparks est probablement le moins connu des trois solistes, mais c’est un habitué de la musique klezmer, il a donc toute sa place ici et ne semble jamais à la peine, bien au contraire. Ici il joue un total de cinq pièces, dont le très beau « Ravayah » au titre cinq, qu’il interprète avec délice.

Bill Frisell joue sept pièces, avec la coolitude qu’il incarne si bien, s’il fallait choisir une seule pièce je prendrai tout simplement la première, « Abidan » qui ouvre l’album, tellement il la fait sienne en s’en emparant pour y déposer sa marque, mais je pense aussitôt que j’aurais pu tout aussi bien sélectionner « Kochot », « Bikkurim » ou « Kisofim » qui auraient pu tout aussi bien faire l’affaire…

On comprend vite qu’à ce jeu le plus prolixe est Marc Ribot avec neuf compos à son service, et là il devient presque impossible de choisir, « Hadasha » fait de l’œil, alors que « Hodaah » fait de l’ombre. A la lumière des productions actuelles de Zorn pour la guitare, il est intéressant de se plonger dans ce passé si annonciateur, la guitare acoustique et non pas électrique, la douceur et la recherche d’une certaine tranquillité un peu folk, où parfois on peut penser à John Fahey, à la country mâtinée de klezmer…

Ici tout est beau, même si le spectre général est uniforme et que l’album est plein de musique à ras bord, il est probablement des moments propices à cette écoute, idéaux pour de poser, un peu contemplatifs, des moments un peu hors du monde, tandis qu’il bouge et s’active…

Et puis il y a cette variété ultime, celle des interprètes, Frisell l’aérien, qui s’échappe au vent et risque l’immatériel, Tim Sparks l’enraciné, l’homme des folklores, attaché aux richesses transmises et Marc Ribot, rebelle et intègre, à qui on ne l’a fait pas…

Trois qui s’ouvrent et se livrent, au service d’une œuvre, d’une lecture possible, d’un regard personnel, appuyé, pour ouvrir les yeux et les cœurs…

Abidan


Kochot


Ravayah


Hodaah
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » mar. 3 sept. 2024 01:36

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Madeleine Peyroux – Let's Walk – (2024)

Je n’ai pas l’intégrale Madeleine Peyroux, mais je ne suis pas loin, c’est dire si je n’ai pas hésité à franchir le pas quand cet album est paru, après une période muette d’environ six années. J’ai senti peut-être comme une perte dans les moyens, où est-ce la manifestation de mon caractère aigri et taciturne, prompte à tourner le dos à ce qu’il a tant aimé ?

Pourtant les compos sont plutôt belles et réussies, et, pour ceux qui comprennent les textes, donc pas moi, il semblerait qu’ils soient particulièrement ciselés et impertinents avec une touche de perfidie qui va bien. De quoi mettre les pendules bien à l’heure quand se règlent les comptes, le prix de six années de silence, ce n’est pas rien !

Let's Walk, est son neuvième album si on tient compte des officiels, elle en partage l’écriture avec Jon Herington, celui-ci s’occupe des orchestrations, arrangements et production. Alors il y a du blues ici et de belles pièces qui font plaisir comme « How I Wish », où elle s’implique contre le virage sécuritaire aux States, ou « Please Come on Inside », le jazzy « Showman Dan » et son le boogie-woogie, et la dernière pièce « Take Care », du haut niveau d’écriture au son bien léché. Il y a également cet orgue enchanteur sur « Blues For Heaven » qui vous attaque bien bas…

Et puis, il y a « « Et puis », la petite attention pour les gars uniglottes dans mon genre, en français s’il vous plaît, il faut dire qu’elle connaît Paris où elle a vécu et joué dans un groupe de rue, alors qu’elle balançait entre le monde de l’adolescence et celui d’une jeune adulte, avec les souvenirs marquants qui s’attachent à la situation… L’album est engagé et personnel, presque militant, tant il embrasse causes et thèmes qui traversent le temps…

Un bel album que je recommande aux amateurs de la belle Madeleine, chez qui, toujours, on revient !

Madeleine Peyroux - How I Wish (Official Lyric Video)


Blues for Heaven


Et Puis


Madeleine Peyroux - Let's Walk (Official Lyric Video)
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » mer. 4 sept. 2024 02:09

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Andrew Lamb – Rhapsody In Black – (2012)

Andrew Lamb est un musicien assez rare né en mille neuf cent cinquante-huit. Il n’est pas très connu car il a peu enregistré, il a étudié les saxs auprès de Kalaparusha Maurice McIntyre ce qui est de très bon augure, il a également joué aux côtés de Cecil Taylor ou d’Alan Silva. Je l’avais évoqué sur ce fil à propos de « Portrait In The Mist » de quatre-vingt-quinze, celui-ci est donc postérieur puisqu’il a été enregistré en deux mille huit, puis diffusé par le label Nobusiness Records.

C’est donc un enregistrement live, capté à « Roulette » à New-York, certains qualifieront ce que l’on entend de free jazz, mais j’aurais plutôt envie de m’arrêter à « du très bon jazz » pour cataloguer cet album. Andrew joue du saxophone, de la clarinette, de la flûte et même de la conque, Tom Abbs joue de la basse, du tuba et du didgeridoo, c’est dire s’il faut s’attendre à quelques excentricités ici ou là.

Une autre particularité tient en la présence de deux batteurs-percussionnistes, Guillerm E. Brown et Michael Wimberly, ici rien n’est conventionnel en fait. Si on ajoute qu’Andrew soit scotché, en gros, dans l’immédiat post Coltrane, on comprend mieux où le situer, pas très loin de cette « spiritual music » qu’il chérit, et ça tombe bien, moi aussi.

Après le lancinant « Initiation » qui s’étire formidablement avant de monter en densité, vient le morceau titre « Rhapsody In Black », véritable pièce maîtresse ici, absolument remarquable. Ensuite arrive « To Love In The Rain (Portrait of a Virtuous Woman) » dont l’introduction amorce une lenteur presque hypnotique dont se saisit la magnifique flûte d’Andrew, avant que de se saisir de la conque et de souffler dans l’élément marin.

On retrouve ce schéma qu’il aime, avec l’accélération qui arrive, le soutien des deux batteries et l’explosion qui ne manque pas d’arriver, ah, ben si justement, il n’y en a pas !

La dernière pièce, « Song Of The Miracle Lives », est un poil plus longue que les trois autres, qu’elle dépasse d’une minute, on retrouve la pose Coltranienne avec une intro ancrée dans la musique spirituelle, les tambours qui roulent, les cymbales qui tintent et les percus qui sonnent, tandis que le ténor commence un long effort solitaire, à base de phases répétitives qui finissent par se développer et s’ouvrir définitivement à la quête…

Une bien belle façon de terminer ce sympathique album, Andrew Lamb fait partie de ces musiciens bien plus intéressants qu’il n’y paraît au premier abord, et qui mérite une écoute attentive…

Initiation


Rhapsody In Black


To Love In The Rain (Portrait Of A Virtuous Woman)


Song Of The Miracle Lives
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » jeu. 5 sept. 2024 01:17

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Fire! Orchestra – Arrival – (2019)

Le « Fire! Orchestra » est une bonne adresse, et ce petit tour dans le passé pas si lointain est véritablement enthousiasmant. La formation est raisonnable avec ses quatorze musiciens comprenant un quatuor à cordes, elle fût par le passé beaucoup plus grouillante.

Après une courte intro avec ce fameux quatuor, on entre dans le vif du sujet avec les deux merveilleuses chanteuses, Mariam Wallentin et Sofia Jemberg, qui subjuguent d’entrée, sur tempo lent et hypnotique. Elles sont également compositrices, avec Mats Gustafson évidemment au sax baryton, et Johan Berthling aux basses acoustiques ou électriques.

Cette première pièce « (I am a) horizon) » file un peu bluesy, portée par la basse, le piano et la clarinette basse, puis un superbe solo de trompette de Susana Santos Silva, avant que Gustafson et son baryton n’interviennent en fin de parcours, à ne pas rater, même si l'intro d'environ quatre minutes est un peu longue. La seconde pièce, « Weekends » de Mariam Wallentin, est plus tourmentée et plus complexe, avec des incrustations free et une tension toujours présente tout au long de la pièce, mais impossible de décrocher à ce flamboiement assassin qui se poursuit ici.

On se décale encore avec la reprise de « Blue Crystal Fire » de Robbie Basho, cette fois-ci vers l’univers folk et le genre ballade triste et lente, habitée, avec une bonne dose de spectres qui s’ébrouent par-ci, par-là…

« Silver Trees » est la grosse pièce ici, gros quart d’heure pour le moins, intro instrumentale et entrée dans cet univers toujours inquiétant, les voix chantées qui arrivent ajoutent à l’ambiance fantomatique qui ne quitte pas l’album, l’orchestre dans son entier participe à l’inquiétude maladive qui s’installe, un superbe solo de violoncelle se greffe sur les éléments rythmiques, particulièrement le gros son lourd de la basse répétitive qui plombe comme il faut…

L’opportunité pour Susana Santos Silva de décocher un solo saillant et plaintif, tandis que les chants se râpent et marquent la mesure, les séquences s’emboîtent avec vitesse et pertinence, enveloppant l’auditeur dans ce trip qui dévale free la pente, impros, cris et chuchotements vers un final emberlificoté…

Avec « Dressed In Smoke. Blow Away » on monte encore, si, si, bien que ce soit raisonnablement impossible, je sais. Ça tient d’abord au baryton de Gustafson, et à cette rythmique lourde qui poisse depuis le début, et il reste du gras encore, visiblement. C’est très lent, les cordes grincent pas mal aussi, les claviers également qui strient l’espace et les chants toujours inquiétants, qui virent bizarres et semblent glousser…

Un bel album, en fait, moyennant de jazz, mais qu’importe, une impression assez grandiose, ça dépasse largement l’heure, autour de soixante-six unités au total, de quoi se prendre une bonne dose, les deux dernières pièces ne font que prolonger ce curieux voyage lent et lancinant, qui dure, qui dure et qui dure…

(I Am a) Horizon



Weekends (The Soil is Calling)
https://fireorchestra.bandcamp.com/trac ... is-calling


Blue Chrystal Fire



Silver Trees
https://fireorchestra.bandcamp.com/track/silver-trees
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » ven. 6 sept. 2024 10:00

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The Nels Cline 4 – Currents, Constellations – (2018)

La première fois que je vous avais parlé de Nels Cline, c’était pour l’album qu’il avait enregistré en compagnie de Gregg Bendian, « Interstellar Space Revisited : The Music Of John Coltrane », un album assez dantesque, faut reconnaître…

Celui-ci est un album Blue Note, signe d’une certaine consécration, il faut dire que le guitariste vétéran, né en mille neuf cent cinquante-six, a pas mal bourlingué, au travers de nombreuses formations, cet album fait partie de ceux de la maturité, de la sagesse dira-t-on.

Le batteur Tom Rainey, le contrebassiste Scott Colley et le guitariste électrique Julian Lage sont tous les trois du voyage et sont ses compagnons de studio pour enregistrer cet album plutôt classieux et propret. Pourtant il y a pas mal d’audaces ici, Nels joue lui aussi de la guitare électrique, mais il joue également de l’instrument acoustique.

Il est également l’auteur de toutes les compos, sauf la sixième « Temporarily », signée par la merveilleuse compositrice Carla Bley, en mille neuf cent soixante et un, à l'origine pour l'album Thesis de Jimmy Giuffre, bien qu’au final, il ne figura pas sur l’album, une belle pièce pourtant.

Nels et Julian ont déjà enregistré un duo de guitares ensemble, en deux mille quatorze, l’album « Room », cet essai très réussi méritait une suite qui se concrétise ici, on retrouve cette même excitation perceptible sur le premier album, ainsi que cette fusion très présente dans le dialogue entre les deux musiciens.

L’ajout d’une rythmique de qualité, personnifiée par le bassiste Scott Colley et le batteur Tom Rainey, permet au duo de s’envoler en restant plus éloigné des contraintes rythmiques, les deux en charge sont en effet tout à fait excellents et l’album devient parfois assez punchy, ou bien plus cadré, pour autant les rythmiciens sont également des apporteurs d’idées et de couleurs auxquelles se raccrochent les solistes guitaristes.

Mais l’album est surtout créateur de climats, tels qu’il en existe parfois avec l’americana, et on pense au roi du genre, Bill Frisell, dont l’influence s’entend parfois. C’est un album un peu passe-partout que l’on peut écouter dans de nombreux contextes variés, il convient autant à la voiture qu’en écoute sur la chaîne ou au casque, certains négligents le joueront peut-être en toile de fond pour s’affairer à une activité gymnique ou autre…

Un album qui s’adapte à autant de situations différentes n’est, finalement, pas si courant…

Swing Ghost '59


Imperfect 10 (Lage au centre, Cline à droite)


River Mouth (Parts 1 & 2)


Furtive
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » sam. 7 sept. 2024 03:39

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Tiger Hatchery – Breathing In The Walls – (2018)

Voici donc « Breathing In The Walls », dernier album de Tiger Hatchery à ma connaissance, je vous avais déjà présenté « Sun Worship », paru en deux mille treize, et lui aussi sur le fameux label free ESP. Ne nous voilons pas la face, il y a comme un air de famille…

Je fais allusion à ce free sauvage, limite « noise », qui envoie les cris et l’énergie sans compter, histoire de tout défoncer. Bon pas à chaque fois, certains titres échappent à l’apocalypse, comme « Drawing Down The Moon » la troisième pièce plutôt en retenue, ou au ralenti, c’est comme on veut.

Les trois sont toujours là, Mike Forbes au sax qui raye et qui crouillotte, Andrew Scott Young à la basse grave et de plomb, et Ben Billington à la batterie qu’il frappe comme un damné. Les trois bien allumés, comme sur les titres « Exoskeletal » ou « « Pothole Pleasure », envoient la sauce directe, pour bien profiter du truc je vous conseille de pousser le son à fond, histoire de bien jouir du torrent d’air qui s’échappe de vos enceintes.

C’est vrai, c’est souvent court, voire bref, mais intense, urgent et incendiaire, gorgé d’une tonne d’énergie féroce qui se déverse entre vos oreilles, dans le but de vous laisser groggy ! Tenez, essayez « Scotch The Earth », la force d’un bon bourre-pif, mais dans les dents, celles de devant !

Zan voulez encore, juste une petite dose, pour la route, comme on dit au bistro, un « Triple Penny », juste pour voir et danser le pogo debout sur une chaise, et puis le conseil d’amis, avant de poursuivre, « Don’t Tell Your Doctor », car rien ici n’est grave, ni vraiment dangereux, juste quelques neurones à remettre en place en balançant le crâne en rond, les mains sur les genoux avec les cheveux, ceux qui restent, qui tournoient…

Zallez mieux ? C’est normal on se remet gentiment, pour quitter l’alboum un remake de « Breathing In The Walls » mais la partie deux, la une est déjà passée tout à l’heure, entre deux services, comme au kabaré, là c’est presque cool, mais faut pas déconner quand même, juste un peu, lors de l’intro…

Parce qu’après, sitôt passé les pansements et le mercurochrome, on envoie encore, juste une petite branlée, histoire de se réchauffer les sens et s’émoustiller le cerveau, afin d’incruster l’expérience en profondeur, c’est ça, c’est bienséant. D’autant que l’album est vachte-court !

Scorch the Earth


Pothole Pleasure


Exoskeletal


Drawing Down the Moon
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » dim. 8 sept. 2024 03:05

Un petit retour vers Tiger Hatchery en deux mille treize...
Douglas a écrit :
jeu. 18 avr. 2024 03:22
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Tiger Hatchery – Sun Worship – (2013)

Un album qui vous balance « un bon coup de jeune », non pas du « jeûne » avec le chapeau qui vous prive de nourriture, non, tout au contraire, ici vous en prenez plein les dents, comme une claque d’entrée qui vous balance dans le passé, quand vous étiez encore minot, immature et arrogant, les bras pleins de traces de piquouzes, les draps usés par les partouzes et les oreilles emplies du blouze d’Ayler et de Brötz !

Le voyage est bref, intense d’entrée, puissant essentiellement, du free sauvage et intenable, avec en outre, pour le fun, une pointe de noise qui se marie joliment avec le parfum de révolte qu’incarnent mieux que tout autre, les enregistrements ESP. Celui-ci est le numéro 5003.

Ces gars sont trois, Mike Forbes est au sax, Andrew Scott Young à la basse, acoustique ou électrique, et Ben Billington est à la batterie. Le voyage est très court, à peine plus de trente et une minutes, réparties en trois titres, le féroce « Chieftain » qui ouvre le chahut et vous assaille direct, histoire de vous donner leur définition de la zénitude. Quatre minutes plus tard on assiste à une baisse de tension, puis à une remontée côté volume sonore, au-delà du permis, vers la fin de la pièce…

La seconde dose « Sonic Bloom » possède également ses phases énervées, tendues et crispées, une place est accordée à la basse d’Andrew Young qui lâche quelques solos ravageurs et mêmes lucifériens, avant la montée finale vers les enfers.

La dernière pièce est la plus longue, elle se nomme « Grand Mal » et dépasse le quart d’heure. Ça commence tout doux, mais on sait que ça ne durera pas, l’hypothèse se vérifie assez rapidement sans qu’on ait grand mal à l’anticiper. La prise de son n’est pas irréprochable sur cette pièce, mais qu’importe puisque de toute façon, il faudra en prendre plein les oreilles !

Il est heureux que ce soit ESP qui sorte cet ovni surgi du passé, ce label est probablement le plus fameux et le plus historique du free jazz, donc le mieux placé pour avoir cette audace-là : Risquer un tel album en deux mille treize ! Je me dis qu’il n’y a que la catégorie des gens de mon genre pour risquer un billet dans cette aventure, bien qu’il doive bien se trouver quelques fêlés du style parmi les plus jeunes, aucune génération ne peut se prévaloir d’ignorer le pire…

Bonnet coûte !

Chieftain


Sonic Bloom


Grand Mal


Un p'tit bonus: Tiger Hatchery @ ESP-Disk' 50th Anniversary Party - Part 1 (monte bien le son ! )
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » dim. 8 sept. 2024 08:57

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Jennifer Gentle – A New Astronomy – (2006)

Après le navrant album juste au-dessus, voici une autre curiosité, dans un style très différent. C’est ça qui est bien avec ce genre d’album, des surprises, de l’inattendu et de l’inimitable, allez, vous allez être servis avec ce nouvel opus, « A New Astronomy », si vous ne le connaissez pas déjà. Bonne nouvelle (ou pas, en fait), se trouve à prix dérisoire sur discogs, mais y a-t-il une raison à cela ?

Heureusement il y a les notes de pochette, elles permettent de situer l’enjeu de cet ovni. Déjà on apprend que cet enregistrement se classe côté low-fi, il a été enregistré dans la chambre d’un dénommé Marco Fasolo, sur un magnétophone à cassettes quatre pistes, alors ne faites pas le malin avec votre grosse chaîne Hi-Fi, elle ne sera pas d’un grand secours !

On apprend également que l’album est dédié à Giovanni Paneroni, astronome amateur et vendeur de glaces et de bonbons. Il a exprimé l’idée que la terre était plate, qu’il y avait des glaces tout en haut et tout en bas de la Terre et que le soleil est ridiculement petit, avec deux mètres de diamètre et quatorze kilos de masse. Il est évident également que les planètes ne bougent pas et que les étoiles sont des feux accrochés au ciel: Copernic est donc un dangereux faussaire! Giovanni a contacté de nombreux savants de son époque et est ainsi devenu connu en Italie, mais il mourut en mille neuf cent cinquante dans un hôpital psychiatrique, des milliers de personnes assistèrent à ses funérailles…

Les notes, convenons-en, donnent envie. Alors la folie sur la galette rivalise-t-elle avec celle de notre illuminé astronome ? Je dirais plutôt oui, mais tout en sachant que la musique ici est essentiellement expérimentale, et qu’elle fera sans doute fuir le plus grand nombre, clopin, clopant...

Les bandes sont pas mal triturées, bidouillées, à la recherche de sons ambiants que l’on pourrait classer dans plusieurs catégories légèrement différentes. Il y a celles où s’entendent les cordes torturées d’une guitare, comme sur « Hiss From Nowhere », cette proximité d’un instrument connu rassure, même s’il n’y a que dissonance et répétition, on se croirait dans une sorte de manège tournoyant, même si rien ne bouge dans l’univers de Giovani.

Dans cette même catégorie il y a également le titre « Hollow Earth Theory » presque mélodique qui donne le change. Mais il y a également des chansons comme le joyeux « The Cannibal Club » au son un peu crado qui va bien, ou encore la dernière pièce « Me And Joe On The Moon » de cette même espèce, mais du genre ritournelle, qui donne à penser et à tourner (encore ?)

Il y a également des pièces un peu plus noires, légèrement noise, comme « Church of the Black Emptiness » ou le titre d’ouverture « Lost Aurora » qui nous plongent directement dans le gothique ou l’étrange, ou encore l’espace flottant et froid qui glace les os et effraie le chaland de passage…

La catégorie bidouillage de bandes offrent des résultats divers, voire opposés, comme sur « What Did You Say » qui appartient également au groupe chansons. Il y a également le planant « Music From Mars ». Bref pas mal de bidouilles sur cet album paru, à l’origine en Cdr, puis réédité l’année suivante sous cette forme actuelle.

Chacun se fera sa petite idée, les astronomes amateurs également…

Lost Aurora


Hollow Earth Theory


The Cannibal Club


Hiss From Nowhere
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » lun. 9 sept. 2024 01:40

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My Cat Is An Alien – Il Suono Venuto Dallo Spazio – (2006)

L’Italie encore avec « My Cat Is An Alien » souvent cité dans le coin pour sa participation au petit fascicule « Free Jazz Manifesto », en compagnie de Philippe Robert. On sait que cette formation est constituée par deux frères, Maurizio Opalio qui joue de la guitare cosmique, du mini xylophone et des percussions météoriques.

Roberto Opalio, lui, joue de la guitare astrale, de jouets spaciaux, du piano-jouet, de l’harmonica, de l’électronique extraterrestre et des percussions planétaires, ainsi que de la voix… L’enregistrement a été effectué live au vingt-troisième Festival International de Musique Actuelle de Victoriaville, en mai deux mille six, puis retravaillé au Studio « La Mole » de Turin. C’est le label canadien « Les Disques Victo » qui publie l’album, comme la plupart de ce qui est joué lors de ce festival.

Deux pièces sont au menu, « Part One » de près de trente-six minutes et « Part Two » d’environ un quart d’heure. La qualité sonore est bonne et le rendu plutôt dans le haut de gamme, ce qui n’est pas forcément le cas pour l’ensemble des enregistrements du duo, ici ils bénéficient du savoir-faire des ingénieurs du son du label.

Alors on peut goûter aux envolées cosmiques de la formation, tout en sachant que l’aspect visuel souvent spectaculaire, est évidemment absent ici, mais le rendu sonore fait l’affaire et suffit à notre bonheur. L’instrumentation en dit long, de l’électro, une batterie, des guitares et des instruments-jouets qui se manifestent de temps à autres…

Nous sommes face à une sorte d’événement de musique planante, on pense évidemment au krautrock, c’est inévitable et plutôt bien fait, suffit de se laisser porter. On peut penser à Jean-Marc Foussat pour l’ambiance générale, ou à Pascal Comelade ou encore Pierre Bastien pour l’idée des jouets, c’est tout de même original et plutôt bien fait, dans l’improvisation et les sensations du moment.

Beaucoup de boucles de guitare qui se multiplient et se superposent, de percussions qui pulsent vers l’avant et d’électro qui ajoute encore, tandis que des solos émanent de ces « jouets » maléfiques, très certainement…

Il Suono Venuto Dallo Spazio (Part One)


Il Suono Venuto Dallo Spazio (Part Two)
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » mar. 10 sept. 2024 00:52

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Derek Bailey - Han Bennink - Evan Parker – Topographie Parisienne (Dunois, April 3d, 1981) – (2019)

Ce truc est énorme, un coffret de quatre Cds qui retrace le concert au « Vingt- huit rue Dunois » du trois avril quatre-vingt-un. Trois géants du free européen réunis dans cette petite salle de concert pour une performance grandiose, et, le hasard, plus que nécessaire, fit que le jeune Jean-Marc Foussat disposa les bandes et enregistra cette merveille.

Trente-huit années plus tard il publia l’enregistrement et nous offrit une petite place au Dunois, pas trop loin de la scène, pour que nous aussi, nous puissions être là. Cette « Topographie Parisienne » est un clin d’œil à l’historique « The Topography of the Lungs » paru sur « Incus » en mille neuf cent soixante-dix. Il réunissait ces trois mêmes musiciens, l’album, vite rare, devint culte, avant qu’il ne soit réédité, avec des tirages conséquents.

Le premier Cd contient deux pièces, la première est jouée en trio et dure plus de quarante et une minutes, la seconde est un duo d’une douzaine de minutes entre Derek Bailey et Evan Parker. Derek Bailey apporte pas mal de calme et de tempérance, alors qu’Han Bennink, au contraire, prend un malin plaisir à relancer assez souvent, avec toute l’énergie dont il peut faire preuve.

Evan Parker est très bouillonnant, avec ce style si particulier, ses gargarismes continus, liés à la respiration circulaire qu’il utilise abondamment. Son jeu perd en densité ce qu’il gagne en longévité, ses solos devenant de longues diatribes bavardes. La prise de son ne rend pas forcément justice à Derek Bailey que l’on entend dans le lointain, distribuer ses notes si étranges et fantastiques, obéissant à une harmonie abstraite.

En fin de pièce on entend Bennink se saisir du piano le temps de quelques notes, puis, une fois revenu à son poste, relancer vivement la musique, nous laissant bénéficier des sons de la guitare de Derek Bailey, devenus proches.

Le duo entre Derek et Evan est plus calme, épuré, quasi intime, avec le silence en troisième invité. Le guitariste tisse une toile unique, dont lui seul possède les clefs, la beauté s’y cache et se révèle à chaque seconde, dans l’inattendu et l’imprévisible, mais tout se tient. Evan Parker s’inscrit dans ces limbes et s’y promène, gracieux.

Ainsi s’achève le premier volet de ce concert, qui dura plus de trois heures et demie dans son intégralité…

Derek Bailey & Han Bennink & Evan Parker-Topographie Parisienne (Full Album)
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » mer. 11 sept. 2024 02:36

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Derek Bailey - Han Bennink - Evan Parker – Topographie Parisienne (Dunois, April 3d, 1981) – (2019) suite

Le second Cd commence à nouveau par une pièce en trio de presque quarante-six minutes. On retrouve nos trois improvisateurs qui se cherchent un peu en début de set, laissant le vent tourner et s’en remettant au hasard, puis le brusquant et même l’entravant par un engagement puissant de Bennink qui se lance puissamment.

Les trois sont des fous du free et de la saine impro, pour tout dire le plus allumé dans ce sens est certainement Derek Bailey qui remettait même en cause l’engagement dans un groupe durable et pérenne, ce qui ne ferait qu’établir des habitudes et des réflexes conditionnés incompatibles avec la véritable improvisation.

Il est vrai qu’il aimait échanger avec beaucoup de musiciens, dans des groupes informes ou tournant, comme il le faisait avec « Company ». Par contre les deux autres n’ont rien contre les affinités musicales et le développement de l’amitié à l’intérieur d’une formation, ce qui se conçoit avec évidence.

Ce qui est sûr c’est qu’ici on atteint encore un niveau très élevé, Han Bennink et Evan Parker combinent ensemble d’une façon à peu près merveilleuse pourrait-on dire, Han pulse et lance, Evan reçoit et balance, encore et encore, de façon viscérale, puis Han repart avec les baguettes, virevoltant et hyper tonique, on ne sait pas où il frappe mais l’énergie est là, Derek s’inscrit en commentateur, puis Han répond en envoyant encore, avec les toms, un peu, puis sous forme de bruitage, sur les cercles métalliques puis les toms, encore…

Evan s’inscrit à son tour dans la conversation et réinstalle le trilogue initial qui se relance, puissant et novateur. Rien n’est jamais stable et tout est mouvant, changeant, les faces s’effacent et se métamorphosent vers un ailleurs inouï, jamais entendu, vers l’inconnu, puis chacun enrichit le son, lui donne forme, le fait grouiller, se mélanger, devenir un charivari multiforme, puis s’échappe une saillie qui annonce une autre relance, un autre mélange, source d’une autre forme et d’une autre direction…

Cette pièce extrêmement intense et pleine de tension est simplement extraordinaire. Au beau milieu s’entendent les rires du public, amusé par les facéties du batteur. L’album se termine avec une performance en solo d’Evan Parker pendant une douzaine de minutes. C’est un habitué de l’exercice, il s’y plaît et s’y montre plus qu’habile.

C’est un truc ardu que de se lancer dans un solo de sax, en misant sur le souffle continu, et de capter l’attention du public, ou de l’auditeur tardif sur le Cd, et de le passionner, de le subjuguer, de se greffer à l’intérieur du cerveau du « pékin » et de lui susurrer mille douceurs, de lui parler direct, de l’intérieur… Evan Parker y arrive mieux qu’un autre, c’est pourquoi certains le trouvent grand et lui voue une sorte de dévotion.

Derek Bailey, Han Bennink & Evan Parker - Topographie Parisienne (1981) - de 54'04 à 1h51'56
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » jeu. 12 sept. 2024 00:51

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Derek Bailey - Han Bennink - Evan Parker – Topographie Parisienne (Dunois, April 3d, 1981) – (2019) suite encore…

Le Cd trois met en scène un nouveau duo constitué par Derek Bailey et Evan Parker. La formule est intéressante car elle permet d’entendre Derek Bailey en profondeur, sans qu’il soit « couvert » par l’incisif et imprévisible Han Bennink. Lui-même est par ailleurs également insaisissable et imprévisible. L’improvisation est ici absolue, sans pathos, ni lyrisme, ni rien qui s’attache à du viscérale en apparence, pourtant, dans l’épaisseur de cette musique, surgit comme une sorte de blues…

D’où vient cette singularité ? Quelle est la magie qui s’entend là ? La conversation entre les deux est à bâtons rompus, avec des points d’interrogation, sur le mode de la conversation, mais il y a également des points d’exclamation, et même de suspension, car tout entre dans cet échange continu, des inflexions, du bavardage et même de la force de conviction…

S’entend également une sorte de sincérité nue, comme un dialogue qui tiendrait davantage de la télépathie que du simple échange logique ou conventionnel. Ainsi l’âme parle-t-elle à l’âme, sans les grimaces du corps, ni les expressions convenues. Car le corps est en action, concentré et même davantage, sur la vérité de son expression intérieure, l’esprit est en fusion, tendu, dirigé à fond dans son mode d’expression. Après vingt-huit minutes de cette danse musicale, la pièce s’achève.

Evan Parker, l’intarissable, s’exprime à nouveau en solo, dix minutes tout rond. Evan nous parle par bribes, de moins en moins ténues, elles se renforcent et se déversent bientôt en flots, puis en vagues interrompues, puissantes et intarissables, comme obéissant à une sorte de nécessité vertueuse, purger l’éraillement intérieur, s’attaquer au dur, à l’indicible…

La musique ici est d’urgence, même si rien ne presse, car elle n’épuise pas tout, et même, probablement rien, le juste nécessaire, le temps de l’instant, prendre date…

Ce troisième volet voit maintenant arriver sur scène le feu follet Han Bennink, qui s’acoquine avec Evan parker, l’infatigable… Han semble jouer de la clarinette basse, je l’entends et suis surpris, il s’inscrit avec force dans le dialogue et suit Evan de façon comique et amicale, jusque dans la respiration circulaire !

Il retrouve ensuite sa batterie et propose un druming intense et plein de trouvailles et de relances, c’est vraiment un phénomène, il est tout simplement magnifique submergeant presque son partenaire, jusqu’à le rendre muet quelques secondes, le temps d’enfourcher une nouvelle facétie…

Derek Bailey, Han Bennink & Evan Parker - Topographie Parisienne (1981) - de 1h51'56 à 2h47'25

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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » ven. 13 sept. 2024 02:01

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Derek Bailey - Han Bennink - Evan Parker – Topographie Parisienne (Dunois, April 3d, 1981) – (2019) suite et fin…

Au loin les lueurs de la ville qui brillent en un point comme un feu, une sorte de phare pour les âmes isolées, attirées par la brillance prometteuse. La nuit est là encore, entre quatre et cinq, l’épisode est appelé « méditerranéen » et rien ne bouge… Les arbres semblent figés et de marbre, pas une feuille ne cille…

La chaleur est là, pesante et pénètre la maison par les fenêtres ouvertes, le ciel est noir, sombre, inquiétant. Les nuages sont massés, aucun éclair dans le lointain, aucune activité, juste rien, de quoi semer l’incertitude, est-ce là ce fameux calme avant que n’arrive la tempête ?

Je me saisis du quatrième volet de cette extraordinaire et essentielle « Topographie Parisienne » qui m’occupe la tête et les sens, elle met en scène un nouveau duo, Derek Bailey et Han Bennink. Ce dernier, après avoir soufflé quelques instants, retrouve sa batterie et poursuit la conversation musicale avec Derek. Quelques rires en provenance du public nous suggèrent que Han fait encore l’andouille et détend l’atmosphère…

Je me permets cette incision car ce qu’on entend depuis des heures est d’une telle intensité que j’imagine le public peut-être tendu, car ce qui se passe ici est d’une telle intensité qu’il nécessite attention et concentration, tant de la part des musiciens que des spectateurs. Han, à sa façon, ajoute un peu d’humanité par son humour et son nécessaire décalage.

Il n’hésite pas, d’ailleurs à envoyer et à frapper fort, quitte à submerger son partenaire qui ne s’en laisse pas conter, renvoyant quelques accords discordant dans ce flot orageux et tonitruant. Ainsi tout s’agite et remue, frappe et tape, et dissone en cascade. L’épisode peu à peu se calme, lorsqu’Han avance seul et envoie des séries de cavales…

Derek s’aventure lui aussi en solo quelques minutes, puis Han le bouscule à nouveau et le soulève haut, Derek pourtant ne bouge que peu, telle la lune, il surplombe la montagne et toise. Mais Han relance encore, volubile et puissant, énergique et volontaire, une pointe d’arrogance ?

Le duo pourtant ne se transforme pas en duel, car ces passes d’armes énergiques sont vivifiantes et créatives, poussant chacun dans son couloir, san trêve ni merci, mais avec cette communauté de destin que créée la musique, d’ailleurs l’échange se nourrit patiemment et dure quarante minutes, chacun se distrayant de son instrument fétiche, et découvrant de nouvelles cordes à ajouter dans la conversation…

Ainsi, Bennink passe de la batterie à l'harmonica, puis au piano ou au trombone, élargissant son éventail. Derek, lui, cultive son mystère et conserve sa ligne, dans cet au-delà qu’il cultive avec un acharnement personnel, dans une recherche éperdue, parfois solitaire…

L’album s’achève avec un dernier duo entre Han Bennink et Evan Parker, ce dernier s’en sort magnifiquement, le coffret est paru sur le label de Jean-Marc Foussat, « Fou Records », c’est certainement un joyau de ce magnifique label, que nous devons à la curiosité et à l’investissement du jeune Jean-Marc de l’époque, qui enregistra encore d’autres musiciens remarquables et passionnants, au Dunois, où il aimait se poser…

Derek Bailey, Han Bennink & Evan Parker - Topographie Parisienne (1981) - à partir de 2h47'25 jusqu'à la fin...
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » sam. 14 sept. 2024 00:21

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Dave Douglas – Three Views – Rare Metals - (2011)

L’histoire de ces « vues » est assez simple, Dave Douglas a sorti trois E.P. en deux mille onze, sur une plateforme de téléchargement. Chacun dépasse la demi-heure et le second « Orange Afternoons » très largement, puisqu’il côtoie les quarante-neuf minutes. Ces téléchargements ont si bien fonctionné qu’une forte demande de matérialisation du média a été émise, ce coffret est donc la réponse physique qui a été proposée. C’est donc paru sur « Greenleaf Music », le propre label de Dave Douglas.

Le premier volume se nomme « Rare Metals », il est confié au « Brass Ecstasy », un brass band animé par Dave Douglas, composé uniquement de cuivres, si on excepte le batteur, Nasheet Waits. Vincent Chancey joue du cor d’harmonie, Luis Bonilla du trombone, Marcus Rojas du tuba et Dave Douglas de la trompette.

L’enregistrement s’est déroulé à New-York en janvier deux mille onze, il pèse un peu moins de trente-six minutes. Ce n’est pas le premier album de Dave avec un brass band, il s’y est mis déjà par deux fois, sur « Brass Ecstasy At Newport » que je vous ai, je crois, déjà présenté, et « Spirit Moves » en deux mille neuf.

C’est un excellent album, plutôt conventionnel par son style, si ce n’est par sa forme, évidemment originale. Les « brass-band » ne courent pas les rues et celui-ci sonne assez classique. Si on le compare à celui de Lester Bowie, on n’y sent pas la même puissance, mais il est plus léger et véloce.

J’ai un petit faible pour la reprise de « Lush Life » de Billy Strayhorn, mais les autres titres signés de Douglas, tiennent parfaitement la route. On peut vraiment s’enthousiasmer pour cet album parfaitement joué, avec conviction et maestria, chacun joue avec perfection et les arrangements sont tout à fait au point.

Dave se ménage pas mal de solos, on ne lui en voudra pas, car c’est un maître. Des cartes postales de ces sessions sont jointes au coffret et illustrent les séances d’enregistrement en dévoilant les musiciens avec leur instrument, tuba, cor d’harmonie…

Dave Douglas & Brass Ecstasy - Lush Life (GPS, Volume 1: Rare Metals)


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