
Carla Bley / Andy Sheppard / Steve Swallow – Andando El Tiempo – (2016)
Trois années passent et nous voici en deux mille seize quand paraît cet autre album du trio, « Andando El Tiempo ». A nouveau des compos de Carla, mais nouvelles, me semble-t-il. Curieusement c’est la première fois que c’est Manfred Eicher lui-même qui produit l’album, enregistré à nouveau à Lugano. La patte géniale du grand Manfred se laisse entendre dans une production véritablement parfaite, le son est rond, pur et cristallin.
Carla, quelques jours après la sortie de l’album, fêtera ses quatre-vingts ans, et la voici présentant une musique toute fraîche, sensible et véritablement magnifique. Elle ne se montre pas virtuose, d’ailleurs Monk était-il tant que ça remarquable par sa virtuosité ? Elle est toute en sensibilité, à fleur de peau, dans le toucher, les espaces et les nuances, son jeu s’articule avec une grande science en symbiose avec celui de ses partenaires, à qui elle offre un soutien également.
« Anando el Tiempo » qui signifie « Avec le temps qui passe » est une suite en trois parties, dans les notes de pochette, Carla explique que chacune d’elle représente une étape de la guérison à la dépendance aux drogues médicamenteuses. Elle l’a écrite alors qu’un de ses amis traversait cette épreuve. La première partie « Sin Fin » est la prise de conscience que la dépendance et ses conséquences deviennent insupportables.
C’est vraiment très beau, le trilogue entre Sheppard, Carla et Steve est véritablement magique, Carla déposant quelques accords de sa facture, reconnaissables par leur justesse, ils deviennent presque évidents, bien que fruits d’une très longue pratique, le jeu de Sheppard est également très pur, très aérien et mélodique avec de belles incursions dans les aigus et Steve ajoute avec beaucoup de sensualité une partie de basse toute en chaleur et précision.
La seconde partie « Potación de Guaya » est consacrée à la douleur de l’entourage qui subit lui aussi les contrecoups de l’addiction. La musique devient encore plus grave, sombre, presque noire, Swallow, sublime, dilate le temps avec sa basse, avant d’être rattrapé par Sheppard qui s’inscrit avec continuité dans ce doux chagrin qui s’installe avec fatalité.
« Camino al Volver » est plus vif, il marque le retour à une vie plus saine, étendue dans le temps, signifiant la guérison. En introduction on remarque les facéties de Carla dans la compo qui nous ramène aux bons souvenirs d’antan, les faux départs, les hésitations, et la pièce qui s’envole avec une efficacité redoutable. L’extraordinaire facilité de la compositrice à nous épater est toujours là, c’est juste jubilatoire d’entendre ça en trio !
« Saints Alive ! » est la pièce suivante, Carla indique avec humour que cette exclamation que l’on pourrait traduire « Par tous les Saints », est « une expression utilisée par les vieilles dames, assises sous le porche, dans la fraîcheur du soir, lorsqu'elles échangent des potins particulièrement piquants. » La pièce débute par un long duo entre Carla et Steve, elle évolue avec lyrisme et complicité, Sheppard arrive vers la fin de la pièce apporter les notes conclusives…
« Naked Bridges/ Diving Brides » est la dernière pièce de l’album, les notes de pochette nous renseignent à nouveau, c’est une commande pour le vingt et unième anniversaire du « London Jazz Festival », ainsi qu’un cadeau de mariage pour Sheppard, jeune marié malgré son grand âge.
Il me semble qu’il est aisé d’entrer dans cet album en trio, il en émane une certaine perfection dans la forme, il sait se montrer éblouissant, comme une sorte d’accomplissement artistique propre à éblouir ceux qui se donnent la peine de s’y plonger.
Carla Bley - Sin Fin
Carla Bley - Potación de Guaya