Oui, ce sont deux choses à dissocier, mais cela n'empêche pas que tu aies pu avoir des expériences désagréables en tant que visiteur de sa boutique. C'est con tout de même, c'est sympa un disquaire (en principe).
Dans not' bonne vieille contrée de ploucs à Lefollgrad, on en a quelques-uns, hormis Fnarty qui vend deux vinyles et demi au milieu des grille-pains et des aspirateurs, et Cultura en zone industrielle (chez qui j'achète mes cordes de gratte, enfin, quand ils ont celles que je cherche), en fait ils ne vont pas se battre, il y en a trois. Mon favori est la boutique de Joël (avec mes gosses on dit "chez Joël", et Joël n'est ni plus ni moins qu'un authentique bienfaiteur de l'humanité), Rythm & Bd, sis 31 rue Nationale à Rillettesland, il y a une autre boutique qui vaut le déplacement quelques dizaines de mètres plus bas, Unik Music (104 rue Nationale). Je fréquente moins la deuxième car sa spécialité est principalement le vinyle, support dont je ne suis plus réellement utilisateur moi-même (en tous cas, pas en neuf, et si possible sans avoir à hypothéquer la bagnole), quoiqu'il ait récemment touché un consistant et ravissant stock de CD (dans des circonstances certes tristes, c'est la collection d'un grand amateur de Jam Style Council / Weller, pop UK et garage, récemment décédé). J'ai fait une petite razzia avec une pensée pour ce type dont les disques sont si chouettes que je crois que nous nous serions bien entendus.

Chez Joël !

Christophe en son antre, Unik Music !
Il y en a un troisième dans l'hypercentre, et sa boutique m'a toujours posé question. Déjà, j'ai du mal avec les repro en photocopies couleur de pochettes de Nirvana ou RHCP affichées en vitrine, surtout quand elles font 23 x 23 cm. Au niveau des prix, c'est dans les fourchettes habituelles, mais le mec (un DJ reconverti dans le business à gogos) ne sait vraiment pas ce qu'il vend. J'en ai eu la démonstration en passant chez lui quand je cherchais The Piper At The Gates Of Dawn pour offrir à mon fiston qui pour une fois m'avait fait part d'une envie (occurrence trop rare pour ne pas être prise au sérieux et suivie d'effets sur le mode action / réaction). Tenez-vous bien, dans une métropole telle que la nôtre, on s'attendrait à mettre un coup de latte dans une poubelle et quinze exemplaires se barreraient en courant, et bien que nenni. J'avais avisé sur Discogs une édition russe ravissante avec la pochette en bichromie bleue, mais je me suis dit que mon lapinou-pinou aimerait certainement un exemplaire neuf (quoique c'est pas dans les mœurs de la maison). Et puis le petit commerce de proximité, n'est-ce pas. Donc je tente ma chance un peu partout, fais chou blanc partout, et atterris donc chez lui. Je fais part de l'objet de mon expectative, il ne l'a pas, mais tente de me conseiller.
- Si votre fils aime Pink Floyd, il aimera certainement ça, je viens de le rentrer, c'est du krautrock.
- Euh...
- Bon, par contre c'est bien électro, ce sont des pionniers, synthés vintages et tout, je ne sais pas si vous connaissez, Tangerine Dream.
Et il me montre un exemplaire de Electronic Meditation.
- Electro, uh ? Vous l'avez écouté ?
- Euh non, mais Tangerine Dream c'est électro. D'ailleurs, le titre...
- Uh-uh. Non en fait, 'voyez le gosse il veut le premier Floyd avec Syd Barrett.
A peine désarçonné, il tente une autre parade.
- Nan mais sinon en Floyd, j'ai celui-là, c'est un pirate. Live 1973, je vous le fais écouter ?
- Ce n'est pas ce que je souhaitais offrir à mon garçon, mais pourquoi pas.
Et là il met sur sa platine un boot assez classique, et résonnent les premières notes de la prise de The Embryo live au Paris Cinema pour la BBC. Dix secondes s'écoulent, et j'interviens :
- Oh, ce n'est pas un live de 1973, ça.
- Ah mais si si, d'ailleurs c'est écrit sur la pochette.
- Pardon mais je vous assure que là, ce n'est pas le cas : ça c'est un live de 1970, peut-être 1971 à la rigueur, je ne suis plus sûr, mais certainement pas 1973.
- Ah bon ? Mais comment vous le savez ?
- Mh, j'ai plutôt creusé le sujet, je connais un peu.
- Ah ben ça c'est marrant, on vous la fait pas, à vous !
- En effet, on peut dire ça comme ça. Bon, je ne vais pas vous déranger plus longtemps. Merci beaucoup Monsieur pour vos précieux conseils et suggestions, ainsi que pour l'écoute, c'était un plaisir. Bonne fin de journée à vous, à bientôt.
A bientôt, j'en pensais pas un mot ! Ce genre de plan me gave. Imagine un.e gamin.e qui se pointe, un peu bonne poire, pas virulent.e, il / elle se fait plumer illico.
Et c'est à l'avenant de quelques expériences chez les Cash bidule et consorts, chez lesquels je rue régulièrement dans les brancards. Pour le dernier anniversaire de mon grand, je cherchais un beau disque à lui offrir. Chez Crache Converters centre bourg-lès-Lefollgrad, j'avise un exemplaire de Woofer In Tweeter's Clothing. Mon gosse aime les Sparks, il est même plutôt du genre convaincu que Rillettesland n'est pas assez grand pour les deux de nous, mais que c'est pas lui qu'allait gicler. Je me dis, je me dis, allez. 19,99 euros. Nom d'un motoculteur, la deuxième face est intégralement traversée par une rayure sur laquelle on ferait plus volontiers passer une planteuse de pommes de terre, que risquer un saphir. Je m'en émeus auprès d'un vendeur.
- Dites donc, là, vous avez vu ? Il est rayé, ce disque.
- Ah ? Euh, peut-être. Je sais pas, c'est mon responsable qui l'a fait rentrer.
- Oui, j'entends, mais vous ne pouvez pas vendre ça, tout du moins à ce prix-là. La pochette est clean, mais le disque, là, c'est pas possible, 'voyez.
- Vous avez raison, Monsieur, on le retire tout de suite du rayon.
- Oui, vous ferez bien.
Mon cul, quinze jours plus tard, le truc y était toujours, et au même prix. J'avais dû tourner les talons, et le mec de le remettre aussi sec pile au même endroit.
Dans une autre boutique de la même enseigne mais en périphérie, un jour je vois un exemplaire de Shades Of Deep Purple, pressage français, qui avait dû être beau avant de connaître manifestement les aléas d'une ou plusieurs inondations. 24,99 €, les chiens malades. Furax, je me dirige vers le comptoir, tandis que mon gamin, pressentant l'incident, se carapate à l'extérieur (ce n'est pas qu'il ait honte de son père, entendons-nous bien). Et chemin faisant, je me rends compte qu'à l'intérieur, la galette, c'est... Deepest Purple. Dans un état à l'avenant. Il y a deux secondes et demi de malentendu durant lesquelles le mec au comptoir semble penser que je vais acheter le truc, mais je dois faire une tronche à ce moment-là qui lui procure l'intuition qu'il fait erreur. Et effectivement.
- Vous avez vu, ça ?
- Oui, il est un petit peu, hm, défraîchi.
- Défraîchi ? Il est hors d'état, oui ! La pochette gondolée par l'humidité, déchirée, des pans entiers décollés par la flotte, c'est insensé. Vous avez vu à quel prix vous vendez ça ?
- Oui, je comprends, mais euh, c'est Deep Purple, c'est un collector.
- Dites-moi, vous savez ce que c'est qu'un objet de collection, vous êtes au fait des mécanismes de rareté dans le marché de disque ?
- ...
- Et sinon, je vous montre le disque à l'intérieur, et vous me dites ce que vous en pensez.
- Ah oui, le disque il est pas super nickel non plus.
- En effet non, mais il n'y a rien qui vous choque ?
- Euh, je ne sais pas ?
- Vous avez vu l'étiquette ?
- Oui, c'est Deep Purple.
- Le même Deep Purple ?
- Euh... Ben...
- OK, on va s'arrêter là. J'ai très envie de jouer au frisbee là, mais je vais aller sagement le reposer en rayon, et croiser les doigts pour qu'un gamin n'ait pas la mauvaise idée de vous l'acheter. Après tout les gens sont grands, les gens font ce qu'ils veulent, y compris de leur pognon, z'achètent des collectors s'ils veulent ! Mais je vais vous redire ce que j'ai déjà dit à vos collègues, vous n'êtes pas des disquaires. C'est un métier, vraiment.
Vous-n'êtes-pas-des-disquaires. Au revoir Monsieur, excellente journée à vous, bon courage.
Putain de chiens malades
[EDIT] Pas en bichromie bleue, le Piper russe, mais joli quand même.
https://www.discogs.com/fr/release/3290 ... es-Of-Dawn