Judy Dyble
: L'après Fairport Convention

Judy Dyble est à Fairport Convention ce que Signe Anderson était à Jefferson Airplane : une excellente chanteuse trop vite éclipsée par la notoriété de celle qui lui a succédé. C’est pourtant Judy, et non Sandy Denny, qui était là quand Fairport Convention a pris son envol, c’est avec elle que le groupe grava en 1968 un premier album que nombre d’admirateurs considèrent comme le plus riche musicalement. Souvent plus psychédélique, moins orienté vers le folk traditionnel que ceux qui suivront. Judy quittera certes Fairport Convention immédiatement après, mais elle n’en reste pas moins l’une des figures légendaires de la mythique formation.

Mais qui est Judy Dyble ?

Judith Aileen Dyble est née le 13 février 1949 à Londres. Très jeune, elle apprit à jouer du piano et de la flûte. À 15 ans, elle entama sa carrière de chanteuse en fondant un premier groupe, Judy and the Folkmen. Ils ne donnèrent ensemble qu’un seul concert en 1964. Celui-ci permit toutefois à Judy de se familiariser avec la scène. Par la suite, accompagnée de sa sœur, elle allait parfois dans l’un ou l’autre des nombreux clubs londoniens où les musiciens folks étaient conviés à venir se produire. Il lui arrivait alors d’oser monter sur scène et d’y chanter. Sa sœur remarquait la présence fréquente d’Ashley Hutchings dans ces clubs, qu’elle connaissait parce qu’ils fréquentaient la même école. Judy en est ainsi venue à faire sa connaissance, puis celle de Simon Nicol, Richard Thompson et Martin Lamble. Quand les quatre hommes décidèrent de monter un groupe, ils pensèrent qu’il serait chouette d’y intégrer une fille. « Je suppose que j’étais la plus proche d’eux, alors ils m’ont demandé de me joindre à eux et j’ai accepté », raconte Judy. Et elle enchaîne : « Je suis presque certaine que Ian Matthews (qui était encore connu sous le nom de Ian MacDonald) est venu nous rejoindre alors que nous étions en train d’enregistrer notre premier album. Il ajouta des vocaux parlés à If I had a ribbon bow ainsi que des harmonies à des chansons que je chantais en solo ou avec Richard, et tout semblait couler de source. Le single Ribbon bow a été édité, et nous avons continué notre route en donnant des concerts et en ayant bien du plaisir ensemble. » Judy et Richard entretenaient une relation amoureuse avant la formation de la troupe. Celle-ci est probablement à l’origine d’un malaise qui conduisit les musiciens à demander à Judy de quitter le groupe. Ce qu’elle dut se résoudre à faire avant même que le premier album de Fairport Convention vienne remplir les bacs des disquaires de Londres. Sombre rupture, certes, mais l’aventure musicale de Judy ne s’arrêtera pas là.

Notre chanteuse rencontra ensuite un autre Ian McDonald, avec qui elle eut une liaison. Il jouait du saxophone, de la flute, de la guitare et d’un million d’autres instruments. Ensemble, ils chantèrent quelques chansons et décidèrent de placer une petite annonce pour trouver d’autres muciciens dans le but de fonder un groupe. Peter Gilles y répondit, et vint à leur rencontre accompagné de son frère Mike et de leur ami, Robert Fripp. Ils venaient d’enregistrer un album intitulé The cheerful Insanity of Giles Giles and Fripp. Judy et Ian allèrent passer quelque temps dans leur appartement situé à Brondesbury Park et y enregistrèrent quelques chansons avec eux. Puis Judy et Ian se séparèrent, et Judy décida d’aller son propre chemin. Les musiciens formeront peu de temps après King Crimson, sans elle.

Survint alors un méli-mélo humano-artistique qui conduisit Judy jusqu’à son quatrième groupe : Trader Horne. Attention, tenez-vous bien à la rampe, c’est si compliqué que ça tourneboule. Judy avait une amie, Soup, avec qui elle partageait un appartement. Elles rencontrèrent les musiciens de Steamhammer, et Soup tomba amoureuse du guitariste Martin Quittenton, qui le lui rendit bien. Soup, Martin et Judy emménagèrent ensemble à Notting Hill. Puis on offrit à Martin de travailler avec Rod Stewart et Pete Sears. Pete partageait lui-même un appartement avec Jackie McAuley. C’est ainsi que Judy fit la connaissance de Jackie, ouf, ah la la, et ils se lancèrent ensemble dans l’aventure Trader Horne. Elle ne durera que le temps d’un album. Pris d’abord sous l’aile de Barry Taylor, qui fut le manager de Steamhammer, le duo semblait promis à un bel avenir. Les concerts et les apparitions à la télévision se succédaient, tant que Judy se souvient qu’ils en étaient éreintés. Particulièrement Jackie, qui conduisait souvent lorsque Trader Horne était ping-pongué d’un coin à l’autre du pays. L’album Morning Way fut enregistré et publié, puis vint l’inexplicable. Alors que Trader Horne devait se produire au Hollywood Festival, Judy abandonna la partie, ce dont elle s’excuse aujourd’hui. Le stress, peut-être. Ou le désir d’une autre existence. Judy vivait alors avec son mari, Simon Stable (Count Simon de la Bedoyere de son vrai nom), un DJ et musicien qu’on peut notamment entendre jouer du bongo sur des albums de Bridget St-John et Ten Years After.

Une pause de 25 ans

En 1971, Judy se lancera encore dans un projet musical éphémère dont il semble ne subsister aucune trace sonore. Par son mari, elle fit la connaissance de Lol Coxhill et Steve et Phil Miller. Ensemble, ils formeront un groupe nommé Dyble Coxhill & the Miller Brothers (aussi appelé Penguin Dust). Ils donneront quelques concerts en Hollande, puis se sépareront. Ainsi semblait vouloir s’achever la carrière de musicienne de Judy Dyble. Nous savons aujourd’hui que cet arrêt aura finalement été une longue parenthèse de près de 25 ans. 25 années au cours desquelles Judy ne renouera avec la musique que très épisodiquement. D’abord pour enregistrer un single sur cassette, Satisfied Mind, avec deux guitaristes de passage. Le groupe se nomma Septic Tank (« Non, je ne sais pas pourquoi. Un nom stupide », dira plus tard Judy avec humour). Puis elle fut invitée à chanter au Cropedy Festival en 1980 et 1982 (« J’étais terrifiée ces deux fois, je suis certaine que ça se remarquait », se souvient-elle). Hors de ces quelques aventures artistiques, Judy vécut comme des millions d’autres femmes le font. Elle est devenue maman, a élevé deux enfants, travaillait comme libraire (le métier auquel elle se destinait avant de monter sur une scène). Puis, en 1994, son Simon est mort. Triste événement qui suspendit le temps pour quelques années. Et les enfants grandirent, quittèrent la maison pour aller à l’université.

Le destin trouva alors une brèche pour y engouffrer de nouveau la musique dans la vie de Judy. En 1997, on lui demanda de participer au 30e anniversaire du festival de Cropedy en chantant avec Fairport Convention. Elle nous raconte : « J’ai accepté sans réfléchir. Et j’ai passé les mois suivants à me ronger les ongles et à me demander comment je pourrais bien échapper à ça. La première répétition à Woodworm était assez maladroite. Je n’avais pas revu un seul des membres du groupe depuis 20 ans, et s’ils avaient tous continué à jouer de la musique, ça faisait une éternité que je n’avais plus chanté une note. Je manquais d’entraînement et je me sentais très intimidée par tous ces musiciens devenus célèbres depuis. Il m’était difficile d’étaler deux mots l’un à la suite de l’autre, et je me disais sérieusement que c’était une erreur de m’avoir demandé de les rejoindre. J’ai appris à ce moment-là que j’allais monter sur scène avec eux pour le concert d’échauffement au Mill. Terreur ! J’allais donc devoir faire tout ça deux fois ! Mais il s’est passé quelque chose de particulier lors de ce premier concert. Je suis montée sur scène lors de la répétition, et soudain, les années se sont envolées. Je me rappelais où je devais me tenir, comment chanter. Je pense que les autres en étaient un peu surpris. J’étais certes vraiment effrayée, mais heureuse, et quand nous avons donné notre concert dans la soirée, tout s’est très bien déroulé. Le public était si chaleureux, et surtout, c’était merveilleux de chanter de nouveau avec Richard, Simon et Ashley. Comme au bon vieux temps. » Cinq ans plus tard, en 2002, Judy sera de nouveau conviée à se produire avec Fairport Convention à l’occasion du 35e anniversaire du festival de Cropedy. Cette fois-ci, Ian Matthews sera de la belle partie. Ian que Judy n’avait pas revu depuis 30 ans…

Ces deux concerts auront été salutaires. Judy, contactée par la suite par Marc Swordfish du groupe Astralasia, se lancera enfin dans une carrière en solo et enregistrera avec lui un premier album en 2004 : Enchanted Garden. Un disque de space folk surprenant et envoûtant, sur lequel tablas, sitar et effets électroniques habillent à merveille la voix de Judy, toujours aussi juste et belle, qui a gagné en émotion au fil des ans. Deux autres albums suivront en 2006 : Spindle, et le superbe The Whorl, sur lequel elle reprend I talk to the Wind. Et, enfin, en 2009, Talking with Strangers sera l’album du réel envol de la carrière solo de Judy Dyble. Salué quasi unanimement par les critiques, ce disque est un merveilleux retour aux sources folks dont nous reparlerons plus loin. Mais place tout d’abord à l’entrevue que Judy a eu la gentillesse de nous accorder.

L’entrevue

Béatrice : Pour votre plus récent album, vous vous êtes entourée de Jacqui McShee de Pentangle, de Celia Humphris du groupe Trees, de Robert Fripp, Pat Mastelotto et de Simon Nicol. Comment ces collaborations se sont-elles faites ? Êtes-vous tous des amis proches ?

Judy Dyble : Je les ai tous connus il y a au moins 40 ans, mais tous ne sont pas de grands amis de longue date. Simon Nicol connaît Jacqui McShee, bien sûr, puisque son compagnon, Gerry Conway est l’actuel batteur de Fairport Convention. Et, évidemment, Robert Fripp et Ian McDonald se connaissent, et Pat Mastelotto est aujourd’hui le batteur de King Crimson, donc ils le connaissent aussi. Mais je pense que dans l’ensemble, je suis le lien entre tous ces musiciens. Il y en a certains autres que je n’ai pas rencontrés personnellement, seulement virtuellement par le biais d’Internet. Ils ont tous accepté de collaborer avec moi parce que je le leur ai demandé, ils sont tous adorables.

Béatrice : Les critiques concernant Talking with Strangers sont très positives. Vous vous y attendiez ?

Judy : Eh bien, naturellement, j’espérais qu’elles le soient, et je suis enchantée qu’il en soit ainsi, mais ce n’est jamais une certitude, personne ne devrait jamais rien espérer… Je suis très heureuse de la façon dont l’album a été accueilli.

Béatrice : Est-il vrai que vous travaillez sur un nouvel album qui pourrait sortir en 2010 ? Aura-t-il une orientation musicale semblable à celle de Talking with Strangers ? Avec, également, de prestigieuses collaborations ?

Judy : Oui, je travaille actuellement sur deux projets musicaux, l’un avec Alistair Murphy et Tim Bowness, et l’autre avec Lee Fletcher et Markus Reuter. Je n’ai aucune idée de ce que ça donnera, la seule chose qu’ils auront en commun avec Talking with Strangers, c’est qu’il y aura mes mots. Oui, il y aura des collaborateurs aussi, mais j’ignore encore lesquels. Tant que les chansons n’auront pas pris forme, on ne sait pas qui est le plus approprié. J’ai espoir que de nouvelles chansons sortiront en 2010, nous y travaillons.

Béatrice : Ces dernières années, il semble y avoir un réel regain d’intérêt pour le folk des années 60. Pentangle s’est reformé l’an dernier, et nombre de jeunes musiciens citent Fairport Convention ou Bert Jansch parmi leurs influences majeures. Quelle est, selon vous, la raison pour laquelle la nouvelle génération se découvre une passion pour le british folk d’hier ?

Judy : Je suppose que la raison, c’est que leurs parents étaient ceux qui aimaient ces groupes à l’époque et qu’ils devaient faire écouter leur musique à leurs enfants quand ils étaient jeunes. Ainsi, les jeunes musiciens ont été amenés à écouter ces vieux groupes et à apprécier leur sens artistique et leurs chansons. Je suis sûre qu’il y a bien des jeunes qui ne voudraient pas qu’on sache qu’ils écoutent ces vieux trucs, même morts. Mais en même temps, il y en a beaucoup qui le font et veulent retourner aux racines du folk de leur pays et le revitalise. C’est une chose très excitante à faire.

Béatrice : Parlons du passé. Le premier album de Fairport Convention était plus psychédélique que les disques suivants, moins folk. Étiez-vous influencés par des groupes de rock psychédélique à cette époque ? Pensez-vous que c’est Sandy Denny qui a donné cette orientation plus folk traditionnel au groupe quand elle vous a remplacée ?

Judy : La première formation de Fairport Convention n’était pas du tout folky. Je dirais que nous étions davantage influencés par des groupes américains tels que les Byrds et par les songwriters dont la musique nous parvenait depuis les États-Unis, comme Phil Ochs, Tom Rush, Judy Collins, qui ne chantaient pas seulement leurs propres chansons, mais aussi celles de leurs confrères, mais de telle sorte qu’ils n’en faisaient pas de simples reprises, les habillaient d’arrangements différents. Et c’est ce que Fairport Convention faisait aussi, nous prenions des chansons magnifiques d’autres musiciens, et nous leur donnions notre touche anglaise à la Fairport, singulière. Aussi, nous commencions tous à composer nos propres chansons. Je devine que Sandy connaissait mieux le répertoire du folk traditionnel, mais je crois qu’elle souhaitait écrire et chanter ses propres chansons. Je n’en ai jamais discuté avec elle.

Béatrice : Fairport Convention a repris Joni Mitchell dans le premier album. Qui a eu l’idée d’enregistrer Don’t know where I stand ?

Judy : Notre manager de l’époque, Joe Boyd, connaissait Joni alors qu’il vivait en Amérique. Il possédait quelques démos d’elle qu’il souhaitait faire publier en Angleterre. Il nous les a fait écouter, et nous avons décidé que nous aimerions en reprendre quelques-unes.

Béatrice : Est-il vrai que vous chantiez dans The Minotaur’s Song du groupe Incredible String Band ? Joe Boyd produisait le premier album de Fairport ainsi que The Hangman’s Beautiful Daughter de Incredible String Band. Est-ce lui qui vous a conduite à cette collaboration ? Votre nom n’apparaît pas sur la pochette de l’album.

Judy : Oui, j’ai chanté sur The Minotaur’s Song, mais en fait, tout Fairport au complet faisait les chœurs sur cette chanson. La raison est la suivante : notre manager, qui était donc aussi celui d’Incredible String Band, avait organisé une session d’enregistrement pour les deux groupes au Sound Techniques Studio. ISB enregistrait avant nous. Ils avaient besoin de voix supplémentaires pour les chœurs, alors ils nous ont demandé de chanter pour eux. Nous n’avons pas été crédités parce qu’il s’agissait juste d’une collaboration anecdotique.

Béatrice : Pourquoi avez-vous quitté Fairport Convention ?

Judy : Ils pensaient que ma voix n’était pas assez forte, et je suppose qu’ils voulaient aller de l’avant. Si j’étais restée, ils n’auraient pas pris le chemin qui les a menés à ce qu’ils ont accompli, et je n’aurais pas rencontré les musiciens avec lesquels j’ai travaillé par la suite. Donc, c’était ce que c’était.

Béatrice : Vous avez rejoint le King Crimson embryonnaire par la suite. Avez-vous collaboré sur quelques chansons avec les musiciens du groupe avant de les quitter ? Y a-t-il des chansons de King Crimson qui ont été créées avec vous ?

Judy : J’ai fait la connaissance du noyau de ce qui deviendra plus tard King Crimson : Peter et Mike Giles, ainsi que Robert Fripp. Je sortais avec Ian McDonald, et nous recherchions d’autres musiciens avec lesquels collaborer. Nous avons travaillé ensemble pendant un moment, et j’ai chanté sur certaines des démos de leurs chansons, ainsi que sur d’autres de Ian et Pete Sinfield. Ian et moi avons ensuite rompu, et j’ai décidé de ne plus continuer ma route avec eux. Peter Giles est parti lui aussi, les musiciens restants ont trouvé Greg Lake. Et le reste, comme on dit, appartient à l’histoire. Sur le CD The Brondesbury Tapes de Giles Giles and Fripp, on retrouve les enregistrements faits dans l’appartement où vivaient les trois musiciens, je chante sur quelques-uns des morceaux. Et Robert a mis ma version de I talk to the wind sur l’album The young person’s guide to King Crimson.

Béatrice : Pourquoi n’avez-vous enregistré qu’un seul album avec Trader Horne ?

Judy : Parce que j’ai quitté le groupe peu de temps après l’enregistrement du premier album, nous n’en avons donc pas fait d’autre. J’espère pouvoir me réunir avec Jack cette année et, peut-être, donner un concert avec lui.

Béatrice : Vous avez joué avec deux musiciens différents portant le même nom : Ian McDonald. N’est-ce pas amusant ? Vous est-il déjà arrivé de ne pas savoir duquel on vous parlait quand la discussion tournait autour d’un Ian McDonald ?

Judy : Le Ian de Fairport se nommait lui-même MacDonald (notez le a dans Mac) jusqu’après la sortie du premier album de Fairport Convention. Puis il a changé son nom pour Ian M. Matthews pour What we did on our holidays et, par la suite, optera pour Iain Matthews, le nom sous lequel on le connaît maintenant. Probablement parce que le Ian McDonald de King Crimson commençait à se faire connaître. J’ai rarement eu à demander de quel Ian on me parlait, mais c’est parfois un peu irritant quand les gens pensent qu’il s’agit d’une seule et même personne.

Béatrice : Quelle était la relation entre les différents groupes de folk anglais dans les années 60 ? Pentangle, Fairport, Trees. Étiez-vous amis, ou plutôt rivaux ?

Judy : Nos chemins se croisaient quand nous nous produisions sur la même scène. Trees a commencé sa carrière après mon départ de Fairport Convention, donc je ne les ai pas côtoyés avec Fairport, mais j’ai probablement joué aux mêmes endroits qu’eux avec Trader Horne. Nous n’avions vraiment pas le temps de socialiser sur la route. J’ai été amenée à très bien connaître Celia Humphris après mon départ de Trader Horne, et nous sommes toujours amies aujourd’hui. Jacqui McShee est également une personne avec laquelle je suis restée en contact, et je la rencontre habituellement au Cropedy Festival. Nous n’étions pas des rivaux, la musique était assez différente pour que cela ne soit pas nécessaire.

Béatrice : Selon vous, quelle était la différence majeure entre le folk anglais et le folk américain dans les années 60 ? Nombre de musiciens américains étaient influencés par Fred Neil. Le connaissiez-vous quand vous faisiez partie de Fairport Convention ? Ou était-il peu connu en Angleterre ?

Judy : Une question difficile pour moi. Je n’avais vraiment pas grand-chose à faire avec la scène folk anglaise, si vous parlez du folk traditionnel. Il n’y avait pas une ligne stricte de démarcation à l’époque concernant ce que vous pouviez chanter ou non dans les clubs de folk, comme ça semble être le cas aujourd’hui. Un grand nombre de musiciens américains traversaient l’océan pour jouer dans les clubs, les gens aimaient Clarence Ashley, qui était un joueur de banjo country blues, ou Tom Rush ou, bien sûr, Paul Simon. Mais ils se mélangeaient avec les chanteurs de folk traditionnel locaux ou les songwriters qui débutaient, ou avec Davy Graham, John Renbourn. Et personne ne semblait dérouté par cette variété de genres qui était alors offerte. Je ne crois pas que Fred Neil était vraiment connu à ce moment-là en Angleterre, pas avant que le film Midnight Cowboy sorte et que les gens commencent alors à découvrir sa musique par Everybody’s Talking.

Béatrice : Quel genre de musique aimez-vous écouter aujourd’hui ? Quel est l’album que vous avez le plus entendu en 2009 ?

Judy : Je n’écoute pas beaucoup de musique en ce moment, et quand je le fais, j’écoute des trucs étranges que peu de gens connaissent, comme No-Man, Tuner, une sorte de poésie musicale. L’album que j’ai le plus entendu est le mien, pour être certaine qu’il soit le plus proche possible de mon idéal. C’est très rare que j’écoute de la musique quand je travaille sur un disque. Je deviens trop impatiente de retourner à la mienne.

Béatrice : Y a-t-il une question que j’ai oublié de vous poser et à laquelle vous aimeriez répondre ?

Judy : Vous ne m’avez pas demandé ce qui va se passer prochainement, mais je vais vous le dire quand même… En 2010, il y aura une réédition de l’album Talking with Strangers avec un nouveau graphisme superbe, et l’album sera distribué en France par Virgin Média, en Scandinavie par Termo, aux États-Unis par Pied Piper Records et en Australie par Blind Faith Entertainment. En janvier ou février, il y aura la sortie d’un EP de 4 titres comprenant 3 chansons qui étaient trop différentes pour être ajoutées à Talking with Strangers, et une autre de Sand Snowman que je chante. Grey october day sortira également sous la forme d’un single. Et, je l’espère, il y aura deux nouveaux albums fin 2010. Et je devrais chanter dans quelques festivals et, je l’espère aussi, reformer Trader Horne avec Jack McAuley le temps d’un concert. Et ce sera déjà la fin de l’année…

 

Talking with strangers

Si deux des trois précédents albums en solo de Judy Dyble étaient déjà fort séduisants (Enchanted Garden et The Whorl, Spindle risquant de dérouter par son orientation par moments plus pop), Talking with Strangers nous enveloppe dans une chaude bulle de douceur dès les premières notes. La voix de Judy, gorgée d’émotion, épouse à merveille des mélodies qui forment un divin écrin au piano et à la guitare acoustique, très présents sur ce beau disque. Jacqui McShee et Celia Humphris sont des choristes de luxe sur plusieurs chansons. Et sur la dernière de l’album, Harpsong, dont la durée et le style rappellent les grands moments du rock progressif d’une trop lointaine époque, Judy s’offre la belle collaboration de Robert Fripp et Simon Nicol aux guitares, de Ian McDonald au saxophone et à la flute, en plus de celle des deux chanteuses précédemment citées. On trouve également sur ce disque une reprise fort réussie de C’est la vie d’Emerson Lake & Palmer. Assurément l’un des meilleurs albums de cette fin de décennie.

Béatrice