Bert et Adam Jansch : une entrevue exclusive

Si le folk était une autoroute à péage dans une vallée touristique, Bert Jansch serait une rutilante Jaguar qu'on admirerait ébahi quand elle nous dépasse fièrement à 200 kilomètres à l'heure. Mais ce style musical est plutôt un petit chemin de terre qui mène loin du brouhaha de la grande ville, sillonné par ceux qui préfèrent l'authenticité artistique aux lumières aveuglantes des gratte-ciel de la capitale.

Bert Jansch est donc une énigme. S’il est encensé depuis toujours par ses pairs, son nom éveille trop peu l’intérêt du public. Malgré une carrière de plus de 40 ans et une discographie impressionnante, dont presque rien n’est à jeter, il semble voué à connaître le même destin que Nick Drake, qu’il a inspiré. Si le monde musical ne se réveille pas enfin dans les prochaines années, Bert ne goûtera probablement pas de son vivant à l’immense reconnaissance qu’il mérite. Un jour peut-être, après son départ, au détour d’une quelconque publicité qui utilisera l’une de ses chansons, ce sera la révélation. Trop tardive…

Bert a un fils, Adam, musicien lui aussi. Principalement bassiste. Il a entamé son parcours artistique récemment. S’il n’est donc pas encore connu du public, le talent qu’il a hérité de son père devrait lui permettre de se faire un prénom dans un proche avenir. Bert et Adam m’ont accordé une entrevue exclusive. Micro !



 

Adam, que pensez-vous de la musique de Bert ? Vous a-t-elle inspiré ?

Adam : J’aime énormément la musique de mon père, que je trouve pure et riche, venant de son cœur et de son expérience. Elle est exempte de corruption artistique, ce qui est très important pour moi. Je suis certainement influencé par lui, mais surtout par la façon dont il a mené sa vie. D’une certaine manière, lui et moi venons du même moule musical, alors je ne sais pas trop si on peut réellement parler d’influence.

Et vous, Bert, que pensez-vous de la musique d’Adam ?

Bert : Je pense qu’elle est excellente, très peu commune. Adam a sans conteste sa propre signature musicale. Je ne sais pas trop dans quel style on peut le classer, mais j’aime ce qu’il fait.

Votre fils a joué de la basse sur deux de vos albums. Comment avez-vous vécu l’expérience d’enregistrer avec lui ?

Bert : C’était extraordinaire, j’aurais souhaité qu’il y en ait eu d’autres!

Et vous, Adam, quel souvenir en gardez-vous ?

Adam : En fait, enregistrer avec mon père est comme enregistrer avec n’importe quel musicien. Cela dit, l’atmosphère est évidemment bien plus détendue, d’une part grâce à la relation que nous entretenons et, d’autre part, parce que nous enregistrons dans son propre studio, ce qui nous laisse amplement le temps de le faire convenablement. Je serai certainement prêt à renouveler l’expérience quand il en sera temps.

Pensez-vous qu’être le fils d’un musicien vous a influencé à faire vous-même de la musique ?

Adam : Certainement, mais c’est une influence inconsciente. Le fait de baigner dans la musique depuis ma naissance m’en a nourri même passivement. Bien sûr, j’ai pris des cours quand j’étais enfant. Mais lorsque j’ai arrêté d’apprendre, le côté musical en moi a continué sa route. Aujourd’hui, je serais incapable de vivre sans musique.

Quand avez-vous commencé à composer vous-même ?

Adam : Ma première expérience en la matière remonte à l’école primaire. Deux amis et moi-même voulions assembler de la musique pour un projet de jeu informatique que nous avions concocté, même si aucun de nous n’était capable de faire de la programmation sur ordinateur ! C’était d’ailleurs ma première approche de la musique assistée par l’informatique. J’utilisais le studio de mon père, qui était alors équipé d’un Atari. Je composais aussi un peu pour des travaux liés aux cours de musique à l’école, mais ce n’est réellement qu’en 1999, à l’entrée au collège, que j’ai commencé à créer sérieusement.

Vous êtes bassiste. Pourquoi avez-vous choisi cet instrument ?

Adam : Je n’ai pas choisi cette direction musicale par ambition, ou parce que j’avais toujours rêvé de devenir bassiste. J’ai simplement commencé à remarquer davantage les lignes de basse dans la musique alors que j’entrais à l’école secondaire et qu’il m’était permis de prendre des leçons sur l’instrument de mon choix. J’ai donc opté pour celui-ci. Je dois d’ailleurs remercier mon père car je n’aurais jamais eu de basse s’il n’en avait tenu à lui. Merci papa !

Bert, Jimmy Page vous encense, Neil Young, Donovan et tant d’autres aussi. Même si plusieurs générations d’amateurs de folk vous portent aux nues, vous n’êtes pas aussi célèbre que nombre de musiciens que vous avez inspirés. Qu’en ressentez-vous ? Êtes-vous satisfait de votre parcours artistique, ou auriez-vous aimé être une grande star ?

Bert : J’ai tendance à vivre dans mon propre monde, peuplé principalement d’autres musiciens folks, auxquels se joignent parfois quelques artistes qui viennent du blues ou du jazz. Je n’ai pas de temps pour le succès.

La relève folk vous cite souvent comme l’une de ses plus grandes influences. C’est le cas de Devendra Banhart, Fionn Regan ou encore Espers. Que pensez-vous de ce qu’on a tendance à appeler le renouveau du folk ?

Bert : Lorsqu’un musicien crée des chansons, a des idées, son point de départ est forcément ancré dans le monde musical de la génération précédente. Dans mon cas, c’était Brownie McGhee, Big Bill Broonzy. Et, bien sûr, Davy Graham.

Vous étiez l’une des influences de Jackson C. Frank, et je crois savoir que vous étiez vous-même influencé par lui. L’avez-vous bien connu ?

Bert : En fait, je ne crois pas que Jackson ait été influencé par moi. Mais c’est absolument vrai dans l’autre sens. Je l’ai connu pendant une courte période dans les années 60 lorsqu’il jouait au Cousins et dans d’autres clubs autour de Londres.

Pentangle était un groupe fort célèbre dans les années 60. Par la suite, le folk a été malmené par l’arrivée d’autres courants musicaux comme le rock psychédélique ou progressif. Que pensez-vous de ce revirement soudain dans l’univers musical d’alors ?

Bert : Le monde de la musique est constamment en changement. Les modes arrivent, repartent, reviennent… Pentangle s’est séparé dans les années 70, alors peut-être que le moment est vraiment venu pour que le groupe fasse son retour !

Vous avez enregistré un grand nombre d’albums de 1965 jusqu’à aujourd’hui. Quel est celui que vous préférez, et quel est celui que vous aimez le moins ?

Bert : En général, je n’aime aucun disque de moi en particulier. J’aime plutôt des chansons prises individuellement. S’il faut choisir parmi les albums, je pense que Jack Orion et Rosemary Lane seraient mes préférés. Et Nicola, celui que j’aime le moins.

La plus grande partie de votre répertoire a été rééditée en CD, mis à part trois des quatre albums que vous aviez enregistrés pour le label Charisma. Pensez-vous que leur réédition serait prochainement possible ?

Bert : Tous les disques de Charisma sont maintenant la propriété d’EMI. Je suppose qu’ils les ressortiront au bon moment.

J’ai entendu dire que vous aviez dû racheter vous-même l’album L.A. Turnaround en vinyle sur eBay parce que vous n’en possédiez pas de copie. Est-ce vrai ? Si c’est le cas, comment a réagi le vendeur quand il a su que vous étiez l’acheteur ?

Bert : Oui, c’est la vérité. La réaction du vendeur ? Il m’a demandé de lui envoyer un exemplaire de mon dernier album autographié en échange !

Adam, que pensez-vous de la condition des musiciens d’aujourd’hui ? À votre avis, le téléchargement illégal les aide-t-il à se faire connaître davantage, ou leur nuit-il plutôt ?

Adam : Je n’ai pas suffisamment d’expérience pour répondre adéquatement à la première question, mais je suppose qu’être un musicien aujourd’hui n’est en rien différent de ce que ça a toujours été depuis l’invention du phonographe. Pour moi, les vrais musiciens font ce métier par amour de la musique avant tout, et c’est une vie particulièrement difficile, surtout quand on crée soi-même les oeuvres qu’on défend. On doit être préparé à faire passer la musique devant tout le reste. L’évolution de la technologie ne changera jamais rien à cela. Quant au téléchargement illégal, je ne crois pas qu’il affecte les artistes sans contrat qui doivent de toute façon travailler très fort pour en arriver à un stade où les internautes veulent télécharger leurs chansons. Aussi, je pense que les artistes s’aideraient eux-mêmes en cherchant à comprendre comment fonctionne l’industrie de la musique en matière de respect des droits d’auteur, de promotion et de distribution, et nous pouvons en apprendre sur le sujet bien plus aujourd’hui qu’auparavant. S’ils comprenaient réellement comment tout cela marche, ils seraient davantage en mesure de véhiculer leur musique vers le bon public sans compromettre leurs droits sur leurs oeuvres.

Bert, quel est le disque que vous écoutez le plus ces derniers temps ?

Bert : L’album d’une chanteuse-compositrice américaine : Meg Baird. Elle fait partie du groupe Espers.

Avez-vous l’intention de venir jouer en France, en Belgique ou au Canada dans les prochains mois, en solo ou avec Pentangle ?

Bert : Je sais que Pentangle jouera au Royal Festival Hall à Londres au mois de juin, et qu’une tournée en Angleterre est prévue. Après cela… qui sait ?

Et vous, Adam, quelle musique aimez-vous particulièrement écouter en ce moment ?

Adam : Je ne suis pas intéressé par un style en particulier. J’aime surtout les musiques qui utilisent des structures, des instrumentations ou la technologie de manière innovatrice. Si je devais balancer des noms, je dirais Steely Dan, Talk Talk, XTC, David Bernabo, The Doldrums et Radiohead.

Vous avez étudié dans une branche liée à la musique, et vous étudiez encore. Souhaitez-vous devenir un musicien à plein temps ou vous orientez-vous plutôt vers un métier en relation avec vos études ?

Adam : Mon avenir à long terme n’est aucunement planifié, mais j’espère bien continuer à faire de la musique tout au long de ma vie !

Béatrice


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Pour découvrir la musique d'Adam :

http://www.adamjansch.co.uk/

http://www.myspace.com/adamjansch

 

 

On n'osait plus l'espérer tant l'attente fut longue. Les trois albums que Bert Jansch avait enregistrés pour Charisma dans les années 70 et qu'on ne trouvait qu'en vinyles originaux ont enfin été réédités en CD. Et, ô bonheur, on nous les offre avec des bonus que les fans de l'exceptionnel musicien écossais sauront apprécier. Des inédits, dont ceux qu'on ne retrouvait que sur la compilation danoise Poor Mouth, très rare, une belle vidéo également datant de l'enregistrement de L.A. Turnaround. De l'excellent travail. S'il vous fallait ne choisir qu'une seule de ces trois rééditions, prenez L.A. Turnaround, l'un des meilleurs albums de Bert Jansch, même s'il date de 1974.

Les albums réédités sont les suivants :

Bert Jansch

L.A. Turnaround

1974

Bert Jansch

Santa Barbara Honeymoon

1975

Bert Jansch

A Rare Conundrum

1977