La face cachée de Led Zeppelin (3e partie)

How Many More Times

En 1951, Howlin’ Wolf enregistra How Many more Years, chanson qu’il avait lui-même composée. Treize ans plus tard, Gary Farr and the T-Bones la reprenait en la rebaptisant How Many More Times.

Pour son premier album, Led Zeppelin décida de livrer sa propre version de How Many More Times en la combinant avec The Hunter, oeuvre créée par Carl Wells avec les musiciens de Booker T and the MG’s, et enregistrée pour la première fois par Albert King en 1967.

D’après Georgio Gomelsky, la reprise de Led Zeppelin serait plus inspirée par celle de Gary Farr and the T-Bones que par l’originale d’Howlin’ Wolf. Gomelsky fut l’un des producteurs des Yardbirds, mais également de Gary Farr.

Notons également qu’une partie des paroles de la version fourre-tout de Led Zeppelin est « fortement inspirée » par Kisses Sweeter than Wine de Jimmie Frederick Rodgers.

Page déclara que ce morceau était fait de plusieurs choses qu’il avait développées alors qu’il faisait partie des Yardbirds. Il semble néanmoins qu’il se soit aussi inspiré des riffs de Jeff Beck sur Shapes of Things et de ceux de Howlin’ Wolf  sur Come back home (take 1).

Howlin’ Wolf porta d’ailleurs plainte pour plagiat. Là encore, l’affaire se régla à l’amiable.

On raconte que Band of Joy, le groupe dont Robert Plant et John Bonham faisaient partie avant de rencontrer Page, reprenait déjà How Many More Times en concert.

À écouter : How Many More Times par Gary Farr & The T-Bones

À écouter : The Hunter par Albert King

Bring It On Home

Bring it on Home est une composition de Willie Dixon. Sonny Boy Williamson fut le premier à la graver sur disque, en 1963, deux ans avant sa mort.

Jimmy Page connaissait fort bien Sonny Boy Williamson. Peu de temps avant de rendre l’âme, le bluesman américain était de passage en Angleterre. En janvier 1965, alors qu’il enregistrait aux studios IBC, Williamson était accompagné de Page à la guitare et de Brian Auger à l’orgue. Cette collaboration fut d’ailleurs fort laborieuse, Sonny Boy étant en permanence complètement ivre. Il en oubliait entre autres les arrangements.

On raconte que les occupants de la demeure dans laquelle l’Américain séjournait à cette époque l’ont surpris un jour, particulièrement imbibé d’alcool, en train de plumer vivant un poulet qu’il voulait faire cuire dans une bouilloire. Rumeur ou folle réalité ? Page se souvient d’en avoir entendu parler, mais n’a pas assisté lui-même à cette scène farfelue.

Quelques années plus tard, Led Zeppelin enregistra sa propre version de Bring it on Home sur son deuxième album sans créditer Willie Dixon. Celui-ci intenta un procès au groupe, et l’affaire se régla hors cour. Page se plaignit un jour qu’on l’accuse d’avoir plagié ce morceau. Selon lui, il s’agissait là d’un hommage à Sonny Boy Williamson et non d’un vol…

Notons par ailleurs que Robert Plant cherchait à imiter la voix si particulière de Sonny Boy Williamson au début de Bring it on home. Pour cela, il chanta à travers un micro d’harmonica.

À écouter : Bring it on Home par Sonny Boy Williamson

Gallows Pole

La toute première version de cette chanson, intitulée The Maid Freed from the Gallows, date de plusieurs siècles. Personne ne sait qui en était l’auteur. Lead Belly fut le premier à l’enregistrer en 1939. Il rebaptisa le morceau Gallis Pole.

C’est toutefois la version de Fred Gerlach qui inspira Led Zeppelin. Jimmy raconta un jour : « J’ai entendu cette chanson pour la première fois sur un vieux disque folk de Fred Gerlach, un musicien qui jouait avec une guitare douze cordes et qui, je pense, était le premier musicien blanc à jouer d’un tel instrument. Je me suis basé sur sa version et j’ai entièrement changé les arrangements ».

Sur la pochette de son 3e album sorti en 1970, Led Zeppelin indiqua proprement qu’il s’agissait d’un air traditionnel arrangé par Page et Plant.

À écouter : Gallis Pole par Lead Belly

À écouter : Gallows Pole par Fred Gerlach

I can’t quit you Babe

Cette œuvre de Willie Dixon a été enregistrée pour la première par Otis Rush en 1956.

Willie Dixon vint au monde le 1er juillet 1915. Se destinant d’abord à une carrière de boxeur, il deviendra finalement l’une des principales sources d’inspiration d’un bon nombre de musiciens qui oeuvrèrent dans les années 60 et 70.

Il composa entre autres pour Muddy Waters, Howlin’ Wolf et Sonny Boy Williamson.

Fait plutôt rare, Dixon a été crédité pour cette chanson dès la première édition de Led Zeppelin I.

À écouter – I can’t quit you Babe par Otis Rush

(à suivre)

_____________________________________
Photo : Jim Summaria – http://www.jimsummariaphoto.com

La face cachée de Led Zeppelin (2e partie)

Black Mountain Side

Page pensait peut-être qu’il suffisait de changer le titre d’un morceau pour que personne ne se rende compte du plagiat. En 1966, Bert Jansch livrait une puissante version de Blackwaterside sur son album Jack Orion. Il y indiquait qu’il s’agissait d’un air traditionnel arrangé par lui. C’est très certainement cet enregistrement qui a « inspiré » Led Zeppelin qui rebaptisa le morceau Black Mountain Side.

Anne Briggs donna le crédit de ce titre à Bert Lloyd qui, selon elle, inventa Blackwaterside en assemblant des parties de différents vieux airs folks. Néanmoins, sur la pochette du premier album de Led Zeppelin, Page en revendique entièrement la paternité.

Il finit par reconnaître ne pas en l’être l’auteur en expliquant ceci lors d’une entrevue : « Je n’étais pas franchement original sur ce solo de guitare. Il avait été souvent joué dans les clubs de folk. Anne Briggs fut la première que j’entendis jouer ainsi. Je le jouais aussi bien, et puis il y eut la version de Bert Jansch… »

Jimmy Page n’a jamais caché que le guitariste écossais fut l’une de ses influences majeures. Il dit d’ailleurs un jour : « À un certain moment, j’étais totalement obsédé par Bert Jansch. Lorsque j’ai entendu son album de 1965 pour la première fois, je ne pouvais pas y croire. C’était tellement à l’opposé de ce que tout le monde faisait. Personne, dans toute l’Amérique, n’était capable d’atteindre ça. » Neil Young rendit également un bel hommage à Bert en disant, lors d’une entrevue accordée au magazine Guitar Player : « Bert Jansch est à la guitare acoustique ce que Jimi Hendrix était à la guitare électrique. C’est mon guitariste acoustique préféré. » D’autres artistes manifestèrent leur admiration pour Jansch de plus belle manière encore. Sur son album Sunshine Superman paru en 1966, Donovan enregistra une chanson en hommage à ce guitariste qu’il admirait. Il l’intitula Bert’s Blues.

Le chanteur folk Al Stewart révéla que, lors de la session d’enregistrement d’un de ses singles, Jimmy Page officiait comme musicien de studio. Entre deux prises, Al aurait montré à Jimmy comment jouer Blackwaterside à la façon de Bert Jansch. Stewart se souvient d’avoir réalisé plus tard qu’il ne lui avait pas montré les bons accords. La séquence DADGAD jouée par Page est reconnue comme étant l’invention de Davey Graham qui la mit en oeuvre notamment dans son adaptation de She moved through the fair qui inspira tout autant le guitariste de Led Zeppelin…

À écouter : Blackwaterside par Bert Jansch

Dazed and Confused

Lors d’une entrevue donnée il y a quelques années, Jim McCarty raconta comment les Yardbirds (dont Page était le guitariste) s’approprièrent Dazed and Confused. « Nous jouions avec Jake Holmes à New York et j’étais fasciné par l’atmosphère de Dazed and Confused. Je suis allé à Greenwich Village pour y acheter son disque (ndlr : The Above Ground Sound of Jake Holmes enregistré en 1967) et nous avons décidé d’en faire une version. Nous y avons travaillé ensemble avec Jimmy qui contribua aux accords de guitare au milieu de la chanson. »

Page a longtemps prétendu qu’il n’avait jamais entendu la version originale de Jake Holmes. Ce à quoi Jim McCarty répondit : « He’s a fibber. We’ll have to bust him on that one. » Ce qui veut dire en quelque sorte : « C’est des bobards »… Nous avons d’ailleurs fini par apprendre que Jimmy avait lui-même acheté l’album à l’époque de sa sortie.

Est-ce vrai ou n’est-ce que légende ? On raconte que, lorsqu’on fit savoir à Jake Holmes que Led Zeppelin s’était approprié sa chanson, il aurait simplement dit : « Bah, je m’en fous… Qu’ils la gardent ! » Toutefois, dans les années 80, Holmes contacta les membres de Led Zeppelin pour leur demander de le créditer pour ce titre. Page et sa bande ne lui ont pas répondu…

En 2010, Holmes finit par porter l’affaire devant les tribunaux. Celle-ci se régla hors cour, les deux parties ayant trouvé un terrain d’entente.

Né le 18 décembre 1939 à San Francisco, Jake Holmes a enregistré 5 albums entre 1967 et 1972. Il composa l’intégralité de la musique du disque Watertown de Frank Sinatra en 1969 et écrivit également pour les Four Seasons, Lena Horne et Harry Belafonte. Il a gagné de nombreux prix pour avoir composé la musique de plusieurs campagnes publicitaires qui connurent un vif succès.

Les Yardbirds proposèrent une version quelque peu modifiée de la chanson de Jake Holmes dont ils changèrent le titre et les paroles. Leur adaptation s’appelait alors I’m Confused, et on peut l’entendre sur l’album Live Yardbirds Featuring Jimmy Page enregistré le 30 mars 1968 au Anderson Theatre de New York. Led Zeppelin lui réattribua plus tard son titre original, sans toutefois lui rendre le sens que lui avait donné Holmes. La chanson de Jake raconte un mauvais trip à l’acide.

Dans la version de Led Zeppelin, le solo de guitare de Page est identique à celui qu’il composa et joua sur Think about it avec les Yardbirds.

À écouter : Dazed and confused par Jake Holmes

(à suivre…)

Texte rédigé en 2001 et mis à jour en 2018

La face cachée de Led Zeppelin (1ère partie)

Les incontournables sondages de ce millénaire nous le confirment encore : le bon vieux rock des années 60 et 70 est toujours vivant ! Mais si les Beatles, les Stones et Led Zeppelin se partagent allègrement les premières places de la plupart des classements portant sur la musique du siècle dernier, force est de reconnaître que les artistes qui les ont grandement inspirés sont depuis longtemps tombés dans l’oubli ou ne sont jamais véritablement sortis de l’ombre…

Nombreux étaient certes les groupes ou musiciens qui, au cours des glorieuses années du rock, ne se cachaient guère d’avoir puisé leur inspiration dans le répertoire des grands bluesmen noirs américains. Mais, dans la majorité des cas, ils témoignaient du respect envers leurs aînés et les créditaient sur leurs albums. Il n’est toutefois plus un secret pour personne que les membres de Led Zeppelin ne s’embarrassaient guère de scrupules pour agir à l’inverse et s’appropriaient des chansons qu’ils se contentaient de copier. La formation dut bien sûr faire face à de virulentes critiques, voire à quelques procès retentissants lorsqu’on découvrit l’ampleur du plagiat.

Lors d’une entrevue accordée à Guitar World en décembre 1993, Jimmy Page déclarait : « Aussi loin que je puisse me souvenir, j’ai toujours essayé d’apporter quelque chose de nouveau à ce que j’utilisais. J’ai toujours veillé à proposer une certaine variation. En fait, je pense que dans la plupart des cas, vous ne sauriez jamais quelle pourrait être la source originale. Peut-être pas dans tous les cas, mais dans la plupart. Et Robert était censé changer les paroles, ce qu’il n’a pas toujours fait, et c’est ce qui nous a causé la plupart de nos problèmes. Ils ne pouvaient pas nous avoir sur les parties de guitare ou sur la musique, mais ils nous ont cloués sur les paroles. »

L’article que vous lisez présentement ne se veut nullement un réquisitoire contre l’un des plus fameux groupes de rock de tous les temps. Simplement, dans le but de rendre à César ce qui lui appartient, revenons sur quelques-unes des plus belles perles du répertoire de Led Zeppelin.

Babe, I’m gonna leave you

En 1968, après que Keith Relf et Jim McCarty annoncèrent à Peter Grant leur désir de quitter les Yardbirds, Jimmy Page, guitariste du groupe, décida de recruter d’autres musiciens afin d’honorer une tournée programmée en Scandinavie. Il pensa tout d’abord à s’associer à Terry Reid, mais ce dernier était déjà sous contrat. Terry présenta alors à Jimmy Page un jeune chanteur encore totalement inconnu, Robert Plant.

Dans les jours qui suivirent leur rencontre, Jimmy fit écouter à Robert les disques de quelques musiciens qui l’inspiraient. Aux noms de ceux-ci figuraient quelques grandes références de la scène folk de l’époque, dont Bert Jansch, John Renbourn, The Incredible String Band ainsi que Joan Baez. On raconte souvent qu’alors qu’ils écoutaient Babe, I’m gonna leave you chantée par Joan, Robert Plant se saisit de la guitare de Jimmy et joua devant lui la mélodie de cette chanson avec ses propres arrangements. Ces affirmations sont certes flatteuses pour Robert, mais elles sont néanmoins fausses. Jimmy remit les pendules à l’heure lors d’une entrevue qu’il accorda bien des années plus tard. Il raconte : « Le moment est venu de faire la lumière sur quelque chose qui m’a vraiment offensé. Notre ancien road manager, Richard Cole, a écrit un livre dans lequel il soutient que, lorsque Robert vint chez moi pour discuter de l’éventualité de former un groupe ensemble, je lui ai fait écouter un disque de Joan Baez sur lequel elle chante Babe et lui ai demandé « Peux-tu nous imaginer jouer quelque chose comme ça ? ». Le livre raconte que Robert s’est alors emparé de ma guitare et a commencé à jouer devant moi les arrangements de cette chanson tels qu’ils furent enregistrés sur l’album. Arrrghhh! Pouvez-vous imaginez ça ? Tout d’abord, j’avais travaillé sur ces arrangements bien avant que Robert ne vienne chez moi, et deuxièmement, Robert ne savait pas jouer de la guitare à cette époque ! De plus, je ne lui ai pas demandé s’il pouvait imaginer jouer cette chanson, je lui ai dit que je voulais le faire. »

Babe, I’m gonna leave you fut composée et enregistrée dans les années 50 par Anne Bredon. Joan Baez popularisa cette chanson en 1962, bien avant qu’elle ne soit reprise par Led Zeppelin. Dans les années 80, le fils d’Anne Bredon entendit sa mère jouer ce que lui et la majorité des gens de sa génération pensaient être une chanson de Led Zeppelin. Il lui demanda d’où lui venait l’idée de jouer Babe, I’m gonna leave you. La réponse de sa mère l’encouragea à effectuer quelques démarches suite auxquelles, à partir de 1990, Led Zeppelin accepta enfin de créditer Anne Bredon pour cette chanson.

À écouter : la version de Joan Baez sortie avant celle de Led Zeppelin

Black Dog

Les arrangements vocaux de Black Dog sont assez semblables à ceux de Oh Well, excellente chanson de Fleetwood Mac que l’on retrouve sur l’album Then play on enregistré en 1969. Jimmy Page a reconnu tardivement lors d’une entrevue que son groupe s’était inspiré de cette oeuvre écrite par Peter Green pour composer Black Dog.

À écouter : Oh Well par Fleetwood Mac

(à suivre…)

Ce texte a été écrit en 2001 et publié sur rock6070, puis il en a été retiré lors de la refonte du site. Il reste toujours actuel, le procès intenté à Led Zeppelin récemment pour le plagiat partiel concernant Stairway to heaven en atteste.

(Photo by Laurance Ratner/WireImage)